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Europe, Éducation, École

CLASSE ETWINNING 2007-2008
Frédéric LAUPIES, CPGE, Versailles
Diversité des langues et universalité
vidéo en téléchargement et en streaming
Diffisuion séance TICE, jeudi 13 décembre 2007, 10h-12h
Peristeri
Modène
Alytus
Brno
Sèvres
Banska Bystrica
Sections Inter de Sèvres
Préparation de la journée européenne du projet Europe, Education, Ecole le 17 avril 2008 : Europe, culture et diversité des langues
Prochaine vidéo conférence : Jan PATOCKA, Europe et culture, diffusée sur Internet le 24 janvier 2008, 14h - 16h.
Frédéric Laupies, 13 Décembre 2007, Lycée Jean-Pierre Vernant, Sèvres (vidéo en téléchargement et en streaming.

Les langues ne sont pas des nomenclatures ; elles ne sont pas comme des étiquettes différentes associées aux mêmes choses. Si tel était le cas, la traduction consisterait simplement à changer d’étiquettes. Or, de toute évidence, il n’en est pas ainsi : la langue porte avec elle une vision du monde ; elle appréhende la réalité selon un état d’esprit particulier. Ses distinctions ne sont pas directement transposables dans une autre langue ; ses locutions idiomatiques sont souvent sans équivalents. Les particularités des langues sont telles que l’on peut reconnaître, en philosophie, l’existence d’ « intraduisibles » : le conatus latin de Spinoza, par exemple, n’est pas restitué par « désir », qui laisse croire à une orientation vers un bien absent, ni par effort, qui insiste trop sur la force de la volonté. Plutôt que de donner des équivalents pauvres ou ambigus, on préfère s’accorder sur l’emploi du terme original dans les textes traduits.
Cette réalité incontestable peut conduire à une conclusion simple : puisque chaque langue est une vision du monde, il n’est pas possible de dépasser les particularismes.
La diversité des langues est alors la meilleure preuve de la diversité indépassable des cultures. La possibilité d’énoncés universels est ainsi contestée en son principe même ; et cela pour deux raisons. D’une part, les représentations véhiculées par les langues ne dévoilent pas une réalité identique ; d’autre part, les sujets pensants ne pouvant pas dépasser la barrière de la langue sont impuissants à se communiquer leurs représentations. L’universel est ainsi mis en cause objectivement et subjectivement : quant à l’objet dont on parle, il n’est pas possible d’accéder à des énoncés valables sans exceptions ; quant aux sujets pensants, il n’est pas possible de fonder une entente au-delà des particularismes. Lire la suite ci-dessous...

Conférence de F. Laupies diffusée sur Internet le 15 nov. 2007

Questions des élèves de Modène, lues par un élève de Sèvres (R.C.) :
1/ En France, vous faites une différence entre les langues vivantes et les langues mortes. Nous, dans nos emplois du temps, nous avons les “lingue straniere”, "langues étrangères" et le latin. Ce lexique différent peut-il vehiculer des sens différents?
2/ Pourquoi, en France, le fait d’emprunter des mots des autres langues est-il consideré comme négatif?
3/ Dans certaines régions de l’Italie, par exemple dans la Vallée d’Aoste, il y a des langues minoritaires que l’on étudie à l’école. Il y a-t-il des langues minoritaires en France, et comment sont-elles sont considerées?

Studieuse prise de note par les élèves de TL1

Cette conclusion est pourtant problématique. Elle repose sur une inférence logique très contestable : sous prétexte que la langue exprime et conditionne une vision du monde, on en conclut qu’il existe un déterminisme linguistique. Or le fait d’une détermination de la pensée par la langue ne permet pas de conclure que, de droit, par principe, essentiellement, la pensée est déterminée par la langue. Le propre de la pensée est de pouvoir revenir sur soi ; cette reprise critique est toujours reformulation, questionnement du sens des mots, de leurs distinctions. Ainsi, même sans passer d’une langue à une autre, la pensée n’est pas déterminée par la langue puisqu’elle prend la langue pour objet. Cette labilité essentielle de la pensée, la rend apte à passer d’une langue à l’autre, à mettre en dialogue les présupposés inhérents à plusieurs langues. La confrontation de müssen et sollen, par exemple, éclaire le sens du devoir : le fait que le français n’ait qu’un mot là où l’allemand en a deux ne met pas en péril la possibilité de s’entendre ni la possibilité d’accéder à la connaissance ; bien au contraire, cet écart invite à une compréhension des distinctions. Ainsi ce qu’on appelle « intraduisible » n’est pas, en stricte rigueur, ce que l’on ne peut pas traduire mais ce que les traducteurs traduisent différemment sans jamais s’arrêter à une solution définitive. Il y a là une dynamique d’interprétation qui est le propre d’une pensée dialogique. Ces diverses traductions sont paradoxalement la preuve d’une possible communication entre les langues.

Il y a donc lieu de revenir sur le rapport entre diversité des langues et universalité. Ce rapport doit être envisagé sous les deux modalités de l’universalité, subjective et objective. Deux questions se posent en effet : une entente entre les sujets pensants par delà la diversité des langues est-elle pensable ? La diversité des langues est-elle un obstacle à la possibilité d’accéder à une vérité universelle ?

La première question porte sur l’existence d’un fond commun des sujets pensants par-delà les langues et les représentations du monde : existe-t-il quelque chose comme une raison universelle ? La seconde question porte sur la structure de la réalité : existe-t-il un ordre intelligible connaissable ou n’y a-t-il d’autre ordre que celui que nos distinctions produisent ?

M. HEIDEGGER, Hölderlins Hymne «Der Ister»
L’hymne d’Hölderlin «Der Ister», [cours professé en 1942], Klostermann, 1984, p. 80 sq. (trad. fr. J.-F. Courtine)

Si revenir au natal appartient à l'essence de l'historicité, alors un peuple historique ne peut jamais de lui-même et immédiatement trouver dans sa propre langue la satisfaction de son essence. Un peuple historique n'est tel qu'à partir de l’entre-langue (Zwiesprache) de sa langue avec des langues étrangères. C’est vraisemblablement pour cette raison qu'aujourd'hui encore nous apprenons des langues étrangères. Nous, tout comme les japonais, nous apprenons la langue anglo-américaine. Voila qui a sa nécessité technique-pratique, que personne ne songe à mettre en doute, et qui va de soi. Pourtant la question demeure de savoir si, en dehors de l'utilité de telles connaissances linguistiques, nous en connaissons aussi le danger essentiel. Il réside en ceci que nous apprécions désormais absolument tout rapport à une langue étrangère uniquement en fonction de la relation technique ordinaire aux langues étrangères ordinaires. Si nous faisons cela, alors le traduire n'est plus pour nous rien d'autre qu'un dispositif technique. Le traduire est comme un « détour » que doit emprunter le commerce linguistique. Nous n'avons plus le moindre pressentiment que le traduire peut être un entre-langue [dialogue], à supposer naturellement que la langue à traduire soit du genre des langues essentielles. « Traduire » (übersetzen) n’est pas une « trans-position » (über-setzen) et un franchissement conduisant à la langue étrangère à l'aide de sa propre langue. Le traduire est bien plutôt éveil, clarification, déploiement de sa propre langue à l'aide de l'explication avec la langue étrangère. Pour le calcul technique la traduction est la substitution de la langue étrangère par la propre, ou inversement. Pensé à partir d'une méditation historiale, le traduire est l’ex-plication avec la langue étrangère en vue de l’appropriation de sa propre langue. C’est pourquoi il n'est certes pas indifférent de savoir si nous n’apprenons absolument plus de langues étrangères, ou si l’on apprend par exemple exclusivement l'anglo-américain à des fins practico-techniques de commerce, ou bien si (ce qui à dire vrai est plus qu'un exemple), si nous cherchons à pénétrer dans l'esprit linguistique (Sprachgeist) de la langue grecque.

KANT, Critique de la faculté de juger
§ 40 Du goût comme d’une sorte de sensus communis

Lorsqu’on remarque moins la réflexion que le résultat de la faculté de juger, on donne souvent à celle-ci le nom de sens et on parle d’un sens de la vérité, d’un sens des convenances, de la justice, etc..., bien que l’on sache, ou que l’on doive raisonnablement savoir tout au moins, qu’il n’y a pas un sens en lequel ces concepts pourraient avoir leur siège et qu’un tel sens ne saurait posséder la moindre aptitude pour décider des règles générales et qu’au contraire nous n’aurions jamais à l’esprit une représentation semblable de la vérité, de la convenance, de la beauté ou de la justice, si nous ne pouvions nous élever au-dessus des sens jusqu’aux facultés supérieures de la connaissance. L’entendement commun, qui, lorsqu’il n’est qu’un entendement sain (encore inculte), est considéré comme la qualité inférieure, que l’on peut toujours attendre de celui qui prétend au nom d’homme, a donc l’honneur mortifiant d’être désigné par le nom de sens commun (sensus communis) et de telle sorte que sous ce terme commun (non seulement en notre langue qui sur ce point contient effectivement une ambiguïté, mais encore en beaucoup d’autres langues) on comprend le vulgare, qui se rencontre partout et dont la possession n’est absolument pas un mérite ou un privilège.

Sous cette expression de sensus communis on doit comprendre l’Idée d’un sens commun à tous <die Idee eines gemeinschaftlichen Sinnes>, c’est-à-dire d’une faculté de juger, qui dans sa réflexion tient compte en pensant (a priori) du mode de représentation de tout autre homme, afin de rattacher pour ainsi dire son jugement à la raison humaine tout entière et échapper, ce faisant, à l’illusion, résultant de conditions subjectives et particulières pouvant aisément être tenues pour objectives, qui exercerait une influence néfaste sur le jugement. C’est là ce qui est obtenu en comparant son jugement aux jugements des autres, qui sont < en fait> moins les jugements réels que les jugements possibles et en se mettant à la place de tout autre, tandis que l’on fait abstraction des bornes, qui de manière contingente sont propres à notre faculté de juger; on y parvient en écartant autant que possible ce qui dans l’état représentatif est matière, c’est-à-dire sensation, et en prêtant uniquement attention aux caractéristiques formelles de sa représentation ou de son état représentatif. Sans doute cette opération de la réflexion paraît être bien trop artificielle pour que l’on puisse l’attribuer à cette faculté que nous nommons le sens commun; toutefois elle ne paraît telle, que lorsqu’on l’exprime dans des formules abstraites; il n’est en soi rien de plus naturel que de faire abstraction de l’attrait et de l’émotion, lorsqu’on recherche un jugement qui doit servir de règle universelle.

Les maximes suivantes du sens commun n’appartiennent pas à notre propos en tant que parties de la critique du goût; néanmoins elles peuvent servir à l’explication de ses principes. Ce sont les maximes suivantes : 1. Penser par soi-même; 2. Penser en se met tant à la place de tout autre; 3. Toujours penser en accord avec soi-même. La première maxime est la maxime de la pensée sans préjugés, la seconde maxime est celle de la pensée élargie, la troisième maxime est celle de la pensée conséquente. La première maxime est celle d’une raison qui n’est jamais passive. On appelle préjugé la tendance à la passivité et par conséquent à l’hétéronomie de la raison; de tous les préjugés le plus grand est celui qui consiste à se représenter la nature comme n’étant pas soumise aux règles que l’entendement de par sa propre et essentielle loi lui donne pour fondement et c’est la superstition. On nomme les lumières <Aufklärung> la libération de la superstition (1); en effet, bien que cette dénomination convienne aussi à la libération des préjugés en général, la superstition doit être appelée de préférence (in sensu eminenti) un préjugé, puisque l’aveuglement en lequel elle plonge l’esprit, et bien plus qu’elle exige comme une obligation, montre d’une manière remarquable le besoin d’être guidé par d’autres et par conséquent l’état d’une raison passive. En ce qui concerne la seconde maxime de la pensée nous sommes bien habitués par ailleurs à appeler étroit d’esprit (borné, le contraire d’élargi) celui dont les talents ne suffisent pas à un usage important (particulièrement à celui qui demande une grande force d’application). Il n’est pas en ceci question des facultés de la connaissance, mais de la manière de penser et de faire de la pensée un usage final; et si petit selon l’extension et le degré que soit le champ couvert par les dons naturels <die Naturgabe> de l’homme, c’est là ce qui montre cependant un homme d’esprit ouvert <von erweiterter Denkungsart> que de pouvoir s’élever au-dessus des conditions subjectives du jugement, en lesquelles tant d’autres se cramponnent, et de pouvoir réfléchir sur son propre jugement à partir d’un point de vue universel (qu’il ne peut déterminer qu’en se plaçant au point de vue d’autrui). C’est la troisième maxime, celle de la manière de penser conséquente, qui est la plus difficile à mettre en oeuvre; on ne le peut qu’en liant les deux premières maximes et après avoir acquis une maîtrise rendue parfaite par un exercice répété. On peut dire que la première de ces maximes est la maxime de l’entendement, la seconde celle de la faculté de juger, la troisième celle de la raison.

Je reprends le fil interrompu par cet épisode et je dis que l’on pourrait donner avec plus de raison le nom de sensus communis au goût qu’au bon sens <der gesunde Verstand> et que la faculté esthétique de juger, plutôt que celle qui est intellectuelle, mériterait le nom de sens commun à tous <eines gemeinschaftlichen Sinnes> (2), si l’on veut bien appeler sens un effet de la simple réflexion sur l’esprit; on entend alors en effet par sens le sentiment de plaisir. On pourrait même définir le goût par la faculté de juger ce qui rend notre sentiment, procédant d’une représentation donnée, universellement communicable sans la médiation d’un concept.

L’aptitude des hommes à se communiquer leurs pensées suppose aussi un rapport de l’imagination et de l’entendement afin d’associer aux concepts des intuitions et inversement aux intuitions des concepts, qui s’unissent dans une connaissance; mais en ce cas l’accord des deux facultés de l’âme est légal et soumis à la contrainte de concepts déterminés. Ce n’est que lorsque l’imagination en sa liberté éveille l’entendement et que celui-ci incite sans concept l’imagination à un jeu régulier, que la représentation se communique, non comme pensée, mais comme sentiment intérieur d’un état final de l’esprit.

Le goût est ainsi la faculté de juger a priori de la communicabilité des sentiments, qui sont liés avec une représentation donnée (sans médiation d’un concept).
Si l’on pouvait admettre que la simple communicabilité universelle de son sentiment possède déjà en soi un intérêt pour nous (mais l’on n’est pas en droit de le conclure à partir de la nature d’une faculté de juger simplement réfléchissante), on pourrait s’expliquer pourquoi le sentiment dans les jugements de goût est supposé de tous pour ainsi dire comme un devoir.
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(1) On s’aperçoit bien vite que si in thesi l’Aufklàrung est chose facile, elle est in hvpothesi difficile et longue à réaliser; certes n’être point passif en tant que raison, mais se donner en tout temps sa propre loi, est chose bien facile pour l’homme, qui ne veut qu’être en accord avec sa fin essentielle et qui ne cherche pas à connaître ce qui dépasse son entendement; mais comme l’aspiration à une telle connaissance est presque inévitable et qu’il ne manquera jamais de gens prétendant avec beaucoup d’assurance pouvoir satisfaire cette soif de savoir, il doit être très difficile de maintenir ou d’établir dans la forme de pensée (surtout en celle qui est publique) ce moment simplement négatif (qui constitue l’Aufklärung proprement dite).
(2) on pourrait désigner le goût comme sensus communis aestheticus et l’entendement commun comme sensus communis logicus.
PLATON, Phèdre
Socrate
Il consiste à pouvoir de nouveau diviser une idée suivant ses articulations naturelles, et à ne point essayer, à la manière d’un mauvais boucher, de briser aucune de ses parties. [266] Ainsi, dans nos deux discours de tout à l’heure, nous avons ramené le délire de l’esprit à une idée générale commune ; puis, comme dans un corps unique il y a des membres doubles portant le même nom, les uns à droite, les autres à gauche : de même, nos deux discours ont avant tout envisagé le délire comme une forme unique par nature ; puis, l’un des deux, s’attaquant au côté gauche, l’a divisé et n’a point cessé de le subdiviser, avant d’avoir trouvé de ce côté une sorte d’amour de gauche, qu’il a blâmé avec juste raison. L’autre, nous conduisant à droite du délire, y a trouvé un amour du même nom, mais d’origine divine ; il l’a mis en avant et l’a loué comme la cause des plus grands biens pour nous.

Phèdre
Tu dis les choses les plus vraies.

Socrate
Voilà, Phèdre, ce dont je suis amoureux, des divisions et des synthèses, grâce auxquelles je puis être capable et de parler et de penser. Et si je crois qu’un autre homme est à même de voir dans les choses leur unité et multiplicité, « je marche sur ses traces comme sur celles d’un dieu ». Ceux qui ont ce pouvoir, Dieu sait si j’ai tort ou raison de les nommer ainsi, je les appelle, tout au moins jusqu’ici, des dialecticiens. Quant à ceux qui ont près de toi ou auprès de Lysias étudié, dis-moi de quel nom il faut les appeler ? Serait-ce là cet art de la parole dont Thrasymaque et les autres se sont servis pour devenir d’habiles orateurs et pour rendre également habiles ceux qui ont voulu, comme à des rois, leur apporter des présents ?
ARISTOTE, Métaphysique, 1051 a 35

L’Etre et le Non-Etre se disent d’abord selon les différents types de catégories ; ils se disent ensuite selon la puissance ou l’acte de ces catégories, ou selon leurs contraires ; et enfin selon le vrai et le faux, au sens le plus propre de ces termes. Or la vérité ou la fausseté dépend, du côté des objets, de leur union ou de leur séparation, de sorte que être dans le vrai, c'est penser que ce qui est séparé est séparé, et que ce qui est uni est uni, et être dans le faux, c'est penser contrairement à la nature des objets. Quand donc y a-t-il ou n'y a-t-il pas ce qu'on appelle vrai ou faux ? Il faut, en effet, bien examiner ce que nous entendons par là. Ce n'est pas parce que nous pensons d'une manière vraie que tu es blanc, que tu es blanc, mais c'est parce que tu es blanc, qu'en disant que tu l'es, nous disons la vérité. — Si donc il existe des choses qui sont toujours unies et qu'il soit impossible de distinguer ; s'il en est d'autres qui sont toujours distinctes et qu'il soit impossible d'unir ; si d'autres enfin admettent union et distinction : alors, être, c'est être uni, c'est être un; n'être pas, c'est ne pas être uni, c'est être multiple. Cela étant, quand il s'agit des choses contingentes, la même opinion ou la même proposition devient vraie et fausse, et il est possible qu'elle dise le vrai à un moment donné, et le faux à un autre moment; s'il s'agit, au contraire, des choses qui ne sauraient être autres qu'elles ne sont, la même opinion ne devient pas tantôt vraie et tantôt fausse, mais les mêmes opinions sont éternellement vraies ou fausses.

Pour les êtres incomposés, qu'est-ce qu'être ou n'être pas, qu'est-ce que le vrai et le faux ? Un être de ce genre, en effet, n'est pas composé de telle sorte qu'il est quand il est composé et qu'il n'est pas quand il est distingué, comme quand on dit que le bois est blanc, ou la diagonale, incommensurable. Le vrai et le faux ne seront pas non plus ici ce qu'ils dans les êtres composés ; en fait, de même que le vrai n'est pas le même pour les êtres incomposés pour les êtres composés, de même aussi l'Être pas le même. Voici ce qu'est alors le vrai ou le faux : le vrai, c'est saisir et énoncer ce qu'on saisit (affirmation et énonciation n'étant pas identiques) ; ignorer c'est ne pas saisir. En effet, on ne peut pas se tromper au sujet de la nature d'une chose, sinon par accident, et on ne le peut pas non plus pour substances non composées : il n'est pas possible d'être dans le faux à leur égard. Et toutes sont en acte, et non en puissance, car alors elles seraient générables et corruptibles ; or il n’y a pour l’Etre en soi ni génération, ni corruption, sans quoi il procéderait d’un autre être.
E. HUSSERL, Logische Untersuchungen, II
Recherches logiques, II, [1901], trad. fr. H. Élie, A. L. Kelkel & R. Schérer, t. II, Paris, PUF «Épiméthée», 1969, p. 53.

Toute expression, non seulement énonce quelque chose, mais énonce encore sur quelque chose ; elle n'a pas seulement sa signification, mais elle se rapporte aussi à des objets quels qu'ils soient. Ce rapport peut être éventuellement multiple pour une seule et même expression. Mais jamais l'objet ne coïncide avec la signification. Naturellement l'un et l'autre n'appartiennent à l'expression qu'en vertu des actes psychiques donateurs de sens ; et quand, en ce qui concerne ces « représentations », on distingue entre « contenu » et « objet », on veut dire par là la même chose que lorsqu'on distingue, en ce qui concerne l'expression, entre ce qu'elle signifie ou « énonce », et ce sur quoi elle dit quelque chose.

La nécessité de distinguer entre signification (contenu) et objet s'éclaire quand nous nous convainquons en comparant des exemples que plusieurs expressions peuvent avoir la même signification, mais des objets différents, ou bien des significations différentes, mais le même objet. En outre, il est aussi, bien entendu, possible qu'elles différent sur ces deux plans, ou bien encore qu'elles concordent sur tous les deux. Ce dernier cas est celui des expressions tautologiques, par exemple des expressions de même signification et nommant le même objet qui se correspondent dans différentes langues (London, Londres ; zwei, deux, duo, etc.).