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Frédéric
Laupies, 13 Décembre 2007, Lycée
Jean-Pierre Vernant, Sèvres (vidéo
en téléchargement
et en streaming.
Les langues ne sont pas des nomenclatures ; elles ne sont
pas comme des étiquettes différentes associées
aux mêmes choses. Si tel était le cas, la traduction
consisterait simplement à changer d’étiquettes.
Or, de toute évidence, il n’en est pas ainsi
: la langue porte avec elle une vision du monde ; elle appréhende
la réalité selon un état d’esprit
particulier. Ses distinctions ne sont pas directement transposables
dans une autre langue ; ses locutions idiomatiques sont
souvent sans équivalents. Les particularités
des langues sont telles que l’on peut reconnaître,
en philosophie, l’existence d’ « intraduisibles
» : le conatus latin de Spinoza, par exemple, n’est
pas restitué par « désir », qui
laisse croire à une orientation vers un bien absent,
ni par effort, qui insiste trop sur la force de la volonté.
Plutôt que de donner des équivalents pauvres
ou ambigus, on préfère s’accorder sur
l’emploi du terme original dans les textes traduits.
Cette réalité incontestable peut conduire
à une conclusion simple : puisque chaque langue est
une vision du monde, il n’est pas possible de dépasser
les particularismes.
La diversité des langues est alors la meilleure preuve
de la diversité indépassable des cultures.
La possibilité d’énoncés universels
est ainsi contestée en son principe même ;
et cela pour deux raisons. D’une part, les représentations
véhiculées par les langues ne dévoilent
pas une réalité identique ; d’autre
part, les sujets pensants ne pouvant pas dépasser
la barrière de la langue sont impuissants à
se communiquer leurs représentations. L’universel
est ainsi mis en cause objectivement et subjectivement :
quant à l’objet dont on parle, il n’est
pas possible d’accéder à des énoncés
valables sans exceptions ; quant aux sujets pensants, il
n’est pas possible de fonder une entente au-delà
des particularismes. Lire la suite ci-dessous... |
Conférence de F.
Laupies diffusée sur Internet le 15 nov. 2007
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Questions des élèves de Modène,
lues par un élève de Sèvres (R.C.)
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1/ En France, vous
faites une différence entre les langues vivantes
et les langues mortes. Nous, dans nos emplois du
temps, nous avons les “lingue straniere”, "langues
étrangères" et le latin. Ce lexique différent
peut-il vehiculer des sens différents?
2/ Pourquoi, en France, le fait d’emprunter des mots
des autres langues est-il consideré comme négatif?
3/ Dans certaines régions de l’Italie, par exemple
dans la Vallée d’Aoste, il y a des langues minoritaires
que l’on étudie à l’école.
Il y a-t-il des langues minoritaires en France, et comment
sont-elles sont considerées? |
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Studieuse prise de note par les élèves
de TL1
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Cette conclusion
est pourtant problématique. Elle repose sur une
inférence logique très contestable : sous
prétexte que la langue exprime et conditionne une
vision du monde, on en conclut qu’il existe un déterminisme
linguistique. Or le fait d’une détermination
de la pensée par la langue ne permet pas de conclure
que, de droit, par principe, essentiellement, la pensée
est déterminée par la langue. Le propre
de la pensée est de pouvoir revenir sur soi ; cette
reprise critique est toujours reformulation, questionnement
du sens des mots, de leurs distinctions. Ainsi, même
sans passer d’une langue à une autre, la
pensée n’est pas déterminée
par la langue puisqu’elle prend la langue pour objet.
Cette labilité essentielle de la pensée,
la rend apte à passer d’une langue à
l’autre, à mettre en dialogue les présupposés
inhérents à plusieurs langues. La confrontation
de müssen et sollen, par exemple, éclaire
le sens du devoir : le fait que le français n’ait
qu’un mot là où l’allemand en
a deux ne met pas en péril la possibilité
de s’entendre ni la possibilité d’accéder
à la connaissance ; bien au contraire, cet écart
invite à une compréhension des distinctions.
Ainsi ce qu’on appelle « intraduisible »
n’est pas, en stricte rigueur, ce que l’on
ne peut pas traduire mais ce que les traducteurs traduisent
différemment sans jamais s’arrêter
à une solution définitive. Il y a là
une dynamique d’interprétation qui est le
propre d’une pensée dialogique. Ces diverses
traductions sont paradoxalement la preuve d’une
possible communication entre les langues.
Il y a donc lieu de revenir sur le rapport entre diversité
des langues et universalité. Ce rapport doit être
envisagé sous les deux modalités de l’universalité,
subjective et objective. Deux questions se posent en effet
: une entente entre les sujets pensants par delà
la diversité des langues est-elle pensable ? La
diversité des langues est-elle un obstacle à
la possibilité d’accéder à
une vérité universelle ?
La première question porte sur l’existence
d’un fond commun des sujets pensants par-delà
les langues et les représentations du monde : existe-t-il
quelque chose comme une raison universelle ? La seconde
question porte sur la structure de la réalité
: existe-t-il un ordre intelligible connaissable ou n’y
a-t-il d’autre ordre que celui que nos distinctions
produisent ?
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M. HEIDEGGER, Hölderlins
Hymne «Der Ister»
L’hymne d’Hölderlin «Der Ister»,
[cours professé en 1942], Klostermann, 1984, p.
80 sq. (trad. fr. J.-F. Courtine)
Si revenir au natal appartient à l'essence de l'historicité,
alors un peuple historique ne peut jamais de lui-même
et immédiatement trouver dans sa propre langue
la satisfaction de son essence. Un peuple historique n'est
tel qu'à partir de l’entre-langue (Zwiesprache)
de sa langue avec des langues étrangères.
C’est vraisemblablement pour cette raison qu'aujourd'hui
encore nous apprenons des langues étrangères.
Nous, tout comme les japonais, nous apprenons la langue
anglo-américaine. Voila qui a sa nécessité
technique-pratique, que personne ne songe à mettre
en doute, et qui va de soi. Pourtant la question demeure
de savoir si, en dehors de l'utilité de telles
connaissances linguistiques, nous en connaissons aussi
le danger essentiel. Il réside en ceci que nous
apprécions désormais absolument tout rapport
à une langue étrangère uniquement
en fonction de la relation technique ordinaire aux langues
étrangères ordinaires. Si nous faisons cela,
alors le traduire n'est plus pour nous rien d'autre qu'un
dispositif technique. Le traduire est comme un «
détour » que doit emprunter le commerce linguistique.
Nous n'avons plus le moindre pressentiment que le traduire
peut être un entre-langue [dialogue], à supposer
naturellement que la langue à traduire soit du
genre des langues essentielles. « Traduire »
(übersetzen) n’est pas une «
trans-position » (über-setzen) et
un franchissement conduisant à la langue étrangère
à l'aide de sa propre langue. Le traduire est bien
plutôt éveil, clarification, déploiement
de sa propre langue à l'aide de l'explication avec
la langue étrangère. Pour le calcul technique
la traduction est la substitution de la langue étrangère
par la propre, ou inversement. Pensé à
partir d'une méditation historiale, le traduire
est l’ex-plication avec la langue étrangère
en vue de l’appropriation de sa propre langue.
C’est pourquoi il n'est certes pas indifférent
de savoir si nous n’apprenons absolument plus de
langues étrangères, ou si l’on apprend
par exemple exclusivement l'anglo-américain à
des fins practico-techniques de commerce, ou bien si (ce
qui à dire vrai est plus qu'un exemple), si nous
cherchons à pénétrer dans l'esprit
linguistique (Sprachgeist) de la langue grecque.
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KANT, Critique de la faculté
de juger § 40 Du goût comme d’une
sorte de sensus communis
Lorsqu’on remarque moins la réflexion que le
résultat de la faculté de juger, on donne souvent
à celle-ci le nom de sens et on parle d’un sens
de la vérité, d’un sens des convenances,
de la justice, etc..., bien que l’on sache, ou que l’on
doive raisonnablement savoir tout au moins, qu’il n’y
a pas un sens en lequel ces concepts pourraient avoir leur
siège et qu’un tel sens ne saurait posséder
la moindre aptitude pour décider des règles
générales et qu’au contraire nous n’aurions
jamais à l’esprit une représentation semblable
de la vérité, de la convenance, de la beauté
ou de la justice, si nous ne pouvions nous élever au-dessus
des sens jusqu’aux facultés supérieures
de la connaissance. L’entendement commun, qui, lorsqu’il
n’est qu’un entendement sain (encore inculte),
est considéré comme la qualité inférieure,
que l’on peut toujours attendre de celui qui prétend
au nom d’homme, a donc l’honneur mortifiant d’être
désigné par le nom de sens commun (sensus
communis) et de telle sorte que sous ce terme commun
(non seulement en notre langue qui sur ce point contient effectivement
une ambiguïté, mais encore en beaucoup d’autres
langues) on comprend le vulgare, qui se rencontre partout
et dont la possession n’est absolument pas un mérite
ou un privilège.
Sous cette expression de sensus communis on doit comprendre
l’Idée d’un sens commun à tous <die
Idee eines gemeinschaftlichen Sinnes>, c’est-à-dire
d’une faculté de juger, qui dans sa réflexion
tient compte en pensant (a priori) du mode de représentation
de tout autre homme, afin de rattacher pour ainsi dire son
jugement à la raison humaine tout entière et
échapper, ce faisant, à l’illusion, résultant
de conditions subjectives et particulières pouvant
aisément être tenues pour objectives, qui exercerait
une influence néfaste sur le jugement. C’est
là ce qui est obtenu en comparant son jugement aux
jugements des autres, qui sont < en fait> moins les
jugements réels que les jugements possibles et en se
mettant à la place de tout autre, tandis que l’on
fait abstraction des bornes, qui de manière contingente
sont propres à notre faculté de juger; on y
parvient en écartant autant que possible ce qui dans
l’état représentatif est matière,
c’est-à-dire sensation, et en prêtant uniquement
attention aux caractéristiques formelles de sa représentation
ou de son état représentatif. Sans doute cette
opération de la réflexion paraît être
bien trop artificielle pour que l’on puisse l’attribuer
à cette faculté que nous nommons le sens commun;
toutefois elle ne paraît telle, que lorsqu’on
l’exprime dans des formules abstraites; il n’est
en soi rien de plus naturel que de faire abstraction de l’attrait
et de l’émotion, lorsqu’on recherche un
jugement qui doit servir de règle universelle.
Les maximes suivantes du sens commun n’appartiennent
pas à notre propos en tant que parties de la critique
du goût; néanmoins elles peuvent servir à
l’explication de ses principes. Ce sont les maximes
suivantes : 1. Penser par soi-même; 2. Penser en se
met tant à la place de tout autre; 3. Toujours penser
en accord avec soi-même. La première maxime est
la maxime de la pensée sans préjugés,
la seconde maxime est celle de la pensée élargie,
la troisième maxime est celle de la pensée conséquente.
La première maxime est celle d’une raison qui
n’est jamais passive. On appelle préjugé
la tendance à la passivité et par conséquent
à l’hétéronomie de la raison; de
tous les préjugés le plus grand est celui qui
consiste à se représenter la nature comme n’étant
pas soumise aux règles que l’entendement de par
sa propre et essentielle loi lui donne pour fondement et c’est
la superstition. On nomme les lumières <Aufklärung>
la libération de la superstition (1); en effet, bien
que cette dénomination convienne aussi à la
libération des préjugés en général,
la superstition doit être appelée de préférence
(in sensu eminenti) un préjugé, puisque
l’aveuglement en lequel elle plonge l’esprit,
et bien plus qu’elle exige comme une obligation, montre
d’une manière remarquable le besoin d’être
guidé par d’autres et par conséquent l’état
d’une raison passive. En ce qui concerne la seconde
maxime de la pensée nous sommes bien habitués
par ailleurs à appeler étroit d’esprit
(borné, le contraire d’élargi) celui dont
les talents ne suffisent pas à un usage important (particulièrement
à celui qui demande une grande force d’application).
Il n’est pas en ceci question des facultés de
la connaissance, mais de la manière de penser et de
faire de la pensée un usage final; et si petit selon
l’extension et le degré que soit le champ couvert
par les dons naturels <die Naturgabe> de l’homme,
c’est là ce qui montre cependant un homme d’esprit
ouvert <von erweiterter Denkungsart> que de
pouvoir s’élever au-dessus des conditions subjectives
du jugement, en lesquelles tant d’autres se cramponnent,
et de pouvoir réfléchir sur son propre jugement
à partir d’un point de vue universel (qu’il
ne peut déterminer qu’en se plaçant au
point de vue d’autrui). C’est la troisième
maxime, celle de la manière de penser conséquente,
qui est la plus difficile à mettre en oeuvre; on ne
le peut qu’en liant les deux premières maximes
et après avoir acquis une maîtrise rendue parfaite
par un exercice répété. On peut dire
que la première de ces maximes est la maxime de l’entendement,
la seconde celle de la faculté de juger, la troisième
celle de la raison.
Je reprends le fil interrompu par cet épisode et je
dis que l’on pourrait donner avec plus de raison le
nom de sensus communis au goût qu’au bon sens
<der gesunde Verstand> et que la faculté
esthétique de juger, plutôt que celle qui est
intellectuelle, mériterait le nom de sens commun à
tous <eines gemeinschaftlichen Sinnes> (2),
si l’on veut bien appeler sens un effet de la simple
réflexion sur l’esprit; on entend alors en effet
par sens le sentiment de plaisir. On pourrait même définir
le goût par la faculté de juger ce qui rend notre
sentiment, procédant d’une représentation
donnée, universellement communicable sans la médiation
d’un concept.
L’aptitude des hommes à se communiquer leurs
pensées suppose aussi un rapport de l’imagination
et de l’entendement afin d’associer aux concepts
des intuitions et inversement aux intuitions des concepts,
qui s’unissent dans une connaissance; mais en ce cas
l’accord des deux facultés de l’âme
est légal et soumis à la contrainte de concepts
déterminés. Ce n’est que lorsque l’imagination
en sa liberté éveille l’entendement et
que celui-ci incite sans concept l’imagination à
un jeu régulier, que la représentation se communique,
non comme pensée, mais comme sentiment intérieur
d’un état final de l’esprit.
Le goût est ainsi la faculté de juger a priori
de la communicabilité des sentiments, qui sont liés
avec une représentation donnée (sans médiation
d’un concept).
Si l’on pouvait admettre que la simple communicabilité
universelle de son sentiment possède déjà
en soi un intérêt pour nous (mais l’on
n’est pas en droit de le conclure à partir de
la nature d’une faculté de juger simplement réfléchissante),
on pourrait s’expliquer pourquoi le sentiment dans les
jugements de goût est supposé de tous pour ainsi
dire comme un devoir.
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(1) On s’aperçoit bien vite que si in thesi
l’Aufklàrung est chose facile, elle est
in hvpothesi difficile et longue à réaliser;
certes n’être point passif en tant que raison,
mais se donner en tout temps sa propre loi, est chose bien
facile pour l’homme, qui ne veut qu’être
en accord avec sa fin essentielle et qui ne cherche pas à
connaître ce qui dépasse son entendement; mais
comme l’aspiration à une telle connaissance est
presque inévitable et qu’il ne manquera jamais
de gens prétendant avec beaucoup d’assurance
pouvoir satisfaire cette soif de savoir, il doit être
très difficile de maintenir ou d’établir
dans la forme de pensée (surtout en celle qui est publique)
ce moment simplement négatif (qui constitue l’Aufklärung
proprement dite).
(2) on pourrait désigner le goût comme sensus
communis aestheticus et l’entendement commun comme
sensus communis logicus. |
PLATON, Phèdre
Socrate
Il consiste à pouvoir de nouveau diviser une idée
suivant ses articulations naturelles, et à ne point
essayer, à la manière d’un mauvais boucher,
de briser aucune de ses parties. [266] Ainsi, dans nos deux
discours de tout à l’heure, nous avons ramené
le délire de l’esprit à une idée
générale commune ; puis, comme dans un corps
unique il y a des membres doubles portant le même nom,
les uns à droite, les autres à gauche : de même,
nos deux discours ont avant tout envisagé le délire
comme une forme unique par nature ; puis, l’un des deux,
s’attaquant au côté gauche, l’a divisé
et n’a point cessé de le subdiviser, avant d’avoir
trouvé de ce côté une sorte d’amour
de gauche, qu’il a blâmé avec juste raison.
L’autre, nous conduisant à droite du délire,
y a trouvé un amour du même nom, mais d’origine
divine ; il l’a mis en avant et l’a loué
comme la cause des plus grands biens pour nous.
Phèdre
Tu dis les choses les plus vraies.
Socrate
Voilà, Phèdre, ce dont je suis amoureux, des
divisions et des synthèses, grâce auxquelles
je puis être capable et de parler et de penser. Et si
je crois qu’un autre homme est à même de
voir dans les choses leur unité et multiplicité,
« je marche sur ses traces comme sur celles d’un
dieu ». Ceux qui ont ce pouvoir, Dieu sait si j’ai
tort ou raison de les nommer ainsi, je les appelle, tout au
moins jusqu’ici, des dialecticiens. Quant à ceux
qui ont près de toi ou auprès de Lysias étudié,
dis-moi de quel nom il faut les appeler ? Serait-ce là
cet art de la parole dont Thrasymaque et les autres se sont
servis pour devenir d’habiles orateurs et pour rendre
également habiles ceux qui ont voulu, comme à
des rois, leur apporter des présents ? |
ARISTOTE, Métaphysique,
1051 a 35
L’Etre et le Non-Etre se disent d’abord selon
les différents types de catégories ; ils se
disent ensuite selon la puissance ou l’acte de ces catégories,
ou selon leurs contraires ; et enfin selon le vrai et le faux,
au sens le plus propre de ces termes. Or la vérité
ou la fausseté dépend, du côté
des objets, de leur union ou de leur séparation, de
sorte que être dans le vrai, c'est penser que ce qui
est séparé est séparé, et que
ce qui est uni est uni, et être dans le faux, c'est
penser contrairement à la nature des objets. Quand
donc y a-t-il ou n'y a-t-il pas ce qu'on appelle vrai ou faux
? Il faut, en effet, bien examiner ce que nous entendons par
là. Ce n'est pas parce que nous pensons d'une manière
vraie que tu es blanc, que tu es blanc, mais c'est parce que
tu es blanc, qu'en disant que tu l'es, nous disons la vérité.
— Si donc il existe des choses qui sont toujours unies
et qu'il soit impossible de distinguer ; s'il en est d'autres
qui sont toujours distinctes et qu'il soit impossible d'unir
; si d'autres enfin admettent union et distinction : alors,
être, c'est être uni, c'est être un; n'être
pas, c'est ne pas être uni, c'est être multiple.
Cela étant, quand il s'agit des choses contingentes,
la même opinion ou la même proposition devient
vraie et fausse, et il est possible qu'elle dise le vrai à
un moment donné, et le faux à un autre moment;
s'il s'agit, au contraire, des choses qui ne sauraient être
autres qu'elles ne sont, la même opinion ne devient
pas tantôt vraie et tantôt fausse, mais les mêmes
opinions sont éternellement vraies ou fausses.
Pour les êtres incomposés, qu'est-ce qu'être
ou n'être pas, qu'est-ce que le vrai et le faux ? Un
être de ce genre, en effet, n'est pas composé
de telle sorte qu'il est quand il est composé et qu'il
n'est pas quand il est distingué, comme quand on dit
que le bois est blanc, ou la diagonale, incommensurable. Le
vrai et le faux ne seront pas non plus ici ce qu'ils dans
les êtres composés ; en fait, de même que
le vrai n'est pas le même pour les êtres incomposés
pour les êtres composés, de même aussi
l'Être pas le même. Voici ce qu'est alors le vrai
ou le faux : le vrai, c'est saisir et énoncer ce qu'on
saisit (affirmation et énonciation n'étant pas
identiques) ; ignorer c'est ne pas saisir. En effet, on ne
peut pas se tromper au sujet de la nature d'une chose, sinon
par accident, et on ne le peut pas non plus pour substances
non composées : il n'est pas possible d'être
dans le faux à leur égard. Et toutes sont en
acte, et non en puissance, car alors elles seraient générables
et corruptibles ; or il n’y a pour l’Etre en soi
ni génération, ni corruption, sans quoi il procéderait
d’un autre être. |
E. HUSSERL, Logische Untersuchungen,
II Recherches logiques, II, [1901], trad. fr.
H. Élie, A. L. Kelkel & R. Schérer, t. II,
Paris, PUF «Épiméthée», 1969,
p. 53.
Toute expression, non seulement énonce quelque chose,
mais énonce encore sur quelque chose ; elle n'a pas
seulement sa signification, mais elle se rapporte aussi à
des objets quels qu'ils soient. Ce rapport peut être
éventuellement multiple pour une seule et même
expression. Mais jamais l'objet ne coïncide avec la signification.
Naturellement l'un et l'autre n'appartiennent à l'expression
qu'en vertu des actes psychiques donateurs de sens ; et quand,
en ce qui concerne ces « représentations »,
on distingue entre « contenu » et « objet
», on veut dire par là la même chose que
lorsqu'on distingue, en ce qui concerne l'expression, entre
ce qu'elle signifie ou « énonce », et ce
sur quoi elle dit quelque chose.
La nécessité de distinguer entre signification
(contenu) et objet s'éclaire quand nous nous convainquons
en comparant des exemples que plusieurs expressions peuvent
avoir la même signification, mais des objets différents,
ou bien des significations différentes, mais le même
objet. En outre, il est aussi, bien entendu, possible qu'elles
différent sur ces deux plans, ou bien encore qu'elles
concordent sur tous les deux. Ce dernier cas est celui des
expressions tautologiques, par exemple des expressions de
même signification et nommant le même objet qui
se correspondent dans différentes langues (London,
Londres ; zwei, deux, duo, etc.). |
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