Un extrait : pp. 5-11
(Format PDF, Ko)
Introduction
L’ambivalence de la science et la crise des fondements à
l’époque moderne
Notre époque est, plus qu'aucune autre, l'époque du
triomphe de la science érigée à la dignité
de modèle exclusif de toute connaissance possible. Comme
le note le philosophe C. Castoriadis, "l'époque contemporaine,
incertaine de tout, aime se croire certaine au moins d'une chose
: de son savoir."(1) Mais cette prétendue certitude
ne cache-t-elle pas une incertitude autrement plus profonde? Car
l'époque moderne est celle de la crise, diagnostiquée
par de nombreux auteurs, crise universelle, qui touche tous les
domaines, et telle que plus rien ne semble assuré. Il est
donc nécessaire d'interroger la signification, mais aussi
la légitimité, de cette thèse de la valeur
supérieure de la science et de sa prétention à
se présenter comme modèle absolu, c'est-à-dire
universel, de tout savoir. Car, derrière la façade
orgueilleuse d'une science exerçant aujourd'hui une manière
de domination absolue sur l'histoire de l'humanité, pourrait
bien se cacher une inquiétude sourde qui ronge l'époque
contemporaine : "Certes, explique le même auteur à
propos de la science, s'interroge-t-elle, périodiquement
et spasmodiquement, sur le rapport, fait d'un surprenant manque
de rapport, entre ce prétendu savoir et le désarroi
total où elle vit, l'absence de fins ou d'illusions qui en
tiennent lieu, l'impossibilité de définir une économie
de moyens voués à une prolifération sans précédent,
la préoccupante confirmation de la relation E = mc 2 par
les cadavres d'Hiroshima et de Nagasaki et, plus récemment,
les destructions peut-être irréparables qu'à
l'aide de ce savoir elle a pu infliger en moins d'un siècle
à l'équilibre d'une biosphère vieille de milliards
d'années. Mais la nature, la valeur, l'orientation, le mode
de production et les produits de ce savoir lui paraissent au-dessus
de toute discussion, dogmes qui ne diffèrent en rien, quant
à la solidité et au mode d'adhésion subjectif,
des dogmes religieux qui régnaient naguère."(2)
La légitimité du savoir scientifique, aujourd'hui,
constitue une doxa inébranlable, inaccessible à quelque
remise en cause que ce soit, qui se trouve renforcée par
l'extension sans précédent d'une idéologie
de la science, le "scientisme", pour laquelle la science
constitue, dans tous les domaines, la réponse ultime aux
questions que l'humanité peut se poser.
Mais cette domination insolente du modèle scientifique n'est
pas sans paradoxe ; en effet, l'idéologie scientiste triomphe
dans la société au moment même où, pour
les scientifiques eux-mêmes, devient manifeste la mort de
la science telle que l'Occident l'avait créée depuis
1600 et presque cru réalisée vers 1900, la science
galiléenne : "Ce qui a en effet succombé, écrit
encore Castoriadis, aux explosions successives des quanta, de la
relativité, des relations d'incertitude, de la renaissance
du problème cosmologique, de l'indécidable mathématique,
ce ne sont pas simplement des conceptions spécifiques déterminées,
mais l'orientation, le programme et l'idéal de la science
galiléenne, au fondement de l'activité scientifique
et au faîte de son idéologie pendant trois siècles
: le programme d'un savoir constituant son objet comme processus
en soi indépendant du sujet, repérable sur un référentiel
spatio-temporel valant pour tous et privé de mystère,
assignable à des catégories indiscutables et univoques
(identité, substance, causalité), exprimable, enfin,
dans un langage mathématique à la puissance illimitée,
dont ni la préadaptation miraculeuse à l'objet ni
la cohérence interne ne semblaient poser de question."(3)
De plus, le constat de la grande régularité des phénomènes
naturels, observés à grande échelle, ne faisait
que renforcer le sentiment d'évidence qu'il existe un système
unique des lois de la nature, certes indépendant de l'homme,
mais accessible à sa compréhension grâce au
développement et à l'élargissement continus
du savoir scientifique ; l'écart entre l'état, toujours
partiel et inachevé, des connaissances à un moment
donné et l'idéal d'un savoir absolu pouvait être
considéré comme indéfiniment réductible
en droit, "soit qu'il fût dû aux limitations de
la base inductive, constamment élargie, soit qu'il résultât
de l'imprécision des mesures, continuellement réduite.
Ainsi parlait-on - et l'on continue de le faire - de progrès
asymptotique de la science vers le savoir, sans paraître soupçonner
que l'expression, privée de sens si l'on ne possède
pas l'asymptote que l'on invoque, serait absurde si on la possédait."(4)
De fait, c'est bien ce modèle, en grande partie imaginaire,
voire fantasmatique, qui se trouve radicalement remis en question
aujourd'hui, et ce, du fait même de l'avancée de la
science, qui a eu pour conséquence de briser le système
conceptuel et logique sur lequel reposait l'antique et classique
conception de la science. Rien n'est devenu plus improbable que
cette idée d'un "progrès" continu et linéaire
des sciences rapprochant indéfiniment les connaissances humaines
du Savoir absolu. Comme l'écrit Castoriadis, "Ce progressisme
scientifique peut aujourd'hui trouver sa place parmi les grandes
illusions fécondes de l'histoire. L'incontestable progrès
de la science n'est pas accumulation de vérités, construction
des ailes d'un grand bâtiment s'ajoutant harmonieusement les
unes aux autres par le travail d'ouvriers curieusement condamnés
à ignorer à jamais le plan d'ensemble. Il n'est certes
pas non plus, comme la déception l'a peut-être fait
dire à certains, simple élimination des erreurs, falsification
d'hypothèses controuvées, flotte fantomatique de théories
désarmées. Ce qu'est le progrès scientifique
est en soi un problème de première grandeur - et certainement
pas scientifique."(5) Et si une certaine conception du progrès
scientifique doit décidément être abandonnée
aujourd'hui, ce n'est pas pour des raisons conjoncturelles, liées
à l'écart, provisoire, entre la réalité
de la science et l'idéal classique du savoir, mais pour des
raisons de fond, qui tiennent à l'essence même de la
science comme théorie ; comme le dit Castoriadis : "
La science comporte l'incertitude en son centre dès lors
qu'elle dépasse la manipulation empirico-computationnelle
ou la simple description et qu'elle veut être théorie.
A réfléchir, du reste, sur de ce terme même
de théorie, on ne voit pas comment il pouvait jamais en être
autrement, et l'étonnement surgit plutôt de ce que
l'on ait pu pendant si longtemps croire le contraire."(6)
En tout cas, une telle croyance est décidément devenue
impossible aujourd'hui. Car le doute, ou l'incertitude, ne portent
plus sur telle ou telle théorie particulière, mais
sur la science dans son ensemble, en sorte que l'interrogation n'est
plus intra-scientifique, d'ordre interne à la science comme
telle, mais déborde largement son champ, et porte sur le
fondement même de l'approche scientifique du monde : "Surgissant
de ce travail même, l'entravant et le fécondant à
chacun de ses grands pas, l'incertitude est devenue mise en question
et crise de l'armure catégoriale de la science, et renvoie
ainsi explicitement l'homme de science à l'interrogation
philosophique. Cette interrogation ne laisse rien hors de son champ.
Car ce qui est en cause, c'est aussi bien la métaphysique
sous-jacente à la science de l'Occident depuis trois siècles
- à savoir l'interprétation, implicite et non consciente,
du type d'être que manifestent les objets mathématiques,
physiques, vivants, psychiques, sociaux-historiques - que la logique,
dans l'élément de laquelle ces objets étaient
réfléchis ; que le modèle de savoir visé
; que les critères de ce que l'on a appelé la démarcation
entre science et philosophie ; et que la situation et la fonction
social-historique de la science , des organisations et des hommes
qui la portent."(7) Cette interrogation est indissociable d'une
crise des fondements de la science, telle que cette crise échappe
par principe à toute résolution scientifique ; comme
le montre encore Castoriadis : "La cohérence de la mathématique
n'est pas une question mathématique et ne peut pas être
discutée à l'intérieur de la mathématique
et avec ses ressources."(8) Hilbert a pu ainsi montrer qu'un
système formalisé non trivial contient nécessairement
des propositions indécidables, en sorte qu'il est imposible
de démontrer, à l'intérieur d'un tel système,
sa non-contradiction (théorème de Gödel, 1931)(9).
Que l'ensemble de l'édifice de la science se trouve ainsi
frappé d'incertitude est trop peu dire : "La situation
épistémologique ainsi créée est absolument
unique et hautement paradoxale. En un sens, les théorèmes
de Gödel n'ont aucune importance réelle ; en un autre
sens, ils signifient une catastrophe totale et irrémédiable.
A supposer qu'un jour on démontre un théorème
qui contredit d'autres théorèmes déjà
démontrés, il est probable que l'on parviendra à
sauver l'essentiel du système en l'amputant de certaines
de ses parties ; et cette éventualité apparaît
comme hautement improbable. Mais précisément, elle
n'est qu'improbable. L'ensemble des particules de l'univers seraient-elles
des mathématiciens démontrant un nouveau théorème
par seconde, et ce pendant quinze milliards d'années sans
qu'aucune contradiction apparaisse, la situation logique ne serait
pas changée : l'apparition ultérieure d'une contradiction
resterait toujours logiquement possible, la cohérence du
système ne serait qu'une conjecture hautement probable."(10)
Cette conséquence est décisive, car, dans les disciplines
déductives, un abîme sépare un énoncé
infiniment probable d'un énoncé vrai, à savoir
apodictiquement nécessaire. La science se donne ainsi comme
une science rigoureusement déductive qui ne doit rien à
l'expérience, mais qui pourrait être falsifiée
par un fait d'expérience, ce fait n'étant pas tant
un fait empirique que l'acte d'un mathématicien.
Une situation nouvelle est ainsi créée, qui contraint
les mathématiciens à se confronter en permanence avec
la question du fondement de leur discipline, question qui échappe
de fait au domaine de législation sur lequel règne
précisément la mathématique. Cette remise en
question du caractère de certitude absolue des mathématiques
constitue un fait inédit, dans l'histoire de la pensée
philosophique et scientifique, puisqu'aussi bien les deux disciplines
sont historiquement indissociables. Castoriadis note l'influence
considérable de la mathématique sur la pensée
philosophique : "La fascination, écrit-il, exercée
par la mathématique sur la philosophie, de Pythagore et Platon
à Kant et Husserl, n'a pas été, comme on le
dit souvent, motivée par la croyance que la mathématique
offrait le paradigme d'une certitude absolue ; Platon savait parfaitement
qu'elle ne s'appuyait que sur des hypothèses. Mais, dans
la mathématique, on croyait posséder précisément
le modèle d'une certitude hypothético-déductive
: une fois la question de la "vérité" des
hypothèses suspendue (...), le système d'inférences
mathématique paraissait exhiber une certitude apodictique.
On croyait donc pouvoir se référer à un domaine
où l'hypothéticité n'affectait que le "contenu",
mais où du moins la "forme" - le type de concaténation
nécessaire des énoncés - se présentait
comme absolument catégorique."(11) Or, c'est précisément
cette confiance dans le pouvoir déductif des mathématiques
et l'idée d'une logique rigoureuse autant que féconde
qui se trouve ruinée aujourd'hui, avec les théorèmes
de Gödel, ainsi qu'un certain nombre d'autres théorèmes
d'indécidabilité.
Cette nouvelle problématique ne saurait trouver sa résolution
dans l'édification de métalangages, destinés
à "démontrer" la non-contradiction des systèmes
de départ. Elle risque plutôt de s'en trouver multipliée
à l'infini ; en effet, comme l'explique Castoriadis, "On
sait, à partir d'un résultat absolument général
de Tarski, que l'on peut rendre tous les énoncés d'un
système formel indécidables (et tous ses termes indéfinissables),
à condition de se placer dans un système plus riche.
Bien entendu, ce dernier comportera alors des énoncés
indécidables et des termes indéfinissables ; on pourra
s'en débarrasser, en passant derechef à un nouveau
métasystème, encore plus riche. Il est clair que ce
regressus ad infinitum non seulement ne "résout"
pas la question initiale, mais l'aggrave ; car l'utilisation de
langages de plus en plus riches équivaut à la mise
en oeuvre d'hypothèses de plus en plus fortes."(12)
Aucun système formel ne saurait éliminer définitivement
les caractères d'indécidabilité qui l'habitent,
et le recours à des systèmes plus riches, plus complexes,
requiert la position d'hypothèses elles-mêmes plus
complexes, en sorte que le système jouant le rôle de
"métalangage", loin de réduire le caractère
d''indécidabilité, le multiplie à proportion
des hypothèses qu'il convoque.
Telle est la situation actuelle de la science qui, à tout
le moins, justifie le principe d'une interrogation philosophique
sur ses fondements et sa portée ; l'événement
décisif, à l'époque contemporaine, est la découverte,
à laquelle les scientifiques ne peuvent plus se dérober,
qu'il est désormais "impossible de présenter
le processus historique de la science comme une "addition",
une "généralisation" ou un "perfectionnement"
le long desquels les nouvelles connaissances laisseraient intactes
celles qui existaient déjà, bref, qu'il est impossible
de le présenter comme un processus cumulatif "(13),
ce qui revient à dire " que ce que l'on appellera, faute
d'un meilleur terme, les étapes historiques de la science
correspondent à autant de ruptures . Dès lors, plusieurs
nouvelles questions surgissent : de quoi ces ruptures sont-elles
ruptures, autrement dit, qu'est-ce qui, à chaque étape
et à travers toutes les étapes, constitue "l'essence"
du système scientifique accepté ? Quels sont les facteurs
qui, à chaque fois, conduisent à la rupture ? Quelle
est, enfin, la relation entre les étapes ainsi distinguées
et, corrélativement, des connaissances scientifiques successivement
produites ?"(14)
Ces questions possèdent indiscutablement un statut philosophique,
parce qu'elles engagent une réflexion sur l'essence du connaître
scientifique, sur son historicité et sur la nature de son
objet. Il est d'autant plus remarquable qu'elles sont généralement
évacuées, aujourd'hui encore, du champ de la science
elle-même, grâce à des interprétations
du développement dans l'histoire de la connaissance scientifique
qui insistent sur sa discontinuité, faite de ruptures successives,
de "sauts", de fractures, de solutions de continuité
dans les hypothèses et les théories. Car ce qui est
en jeu ici n'est autre que l'essence de la science, si le recours
à un tel concept peut encore avoir un sens dans ce contexte.
C'est en tout cas à une telle réflexion que nous voudrions
nous consacrer dans les pages qui suivent, dans l'espoir d'être
ainsi en mesure de prononcer un jugement éclairé sur
la signification et les conséquences de cette domination
absolue de la science dans la vie quotidienne de l'homme contemporain.
Philippe Fontaine
Notes
(1) C. Castoriadis, "Science moderne et interrogation philosophique",
in : Les Carrefours du labyrinthe, Paris, Seuil, 1978,
p. 150.
(2) C. Castoriadis, Les Carrefours du labyrinthe, op. cit.,
p. 150.
(3) C. Castoriadis, Les Carrefours du labyrinthe, op. cit.,
p. 151.
(4) C. Castoriadis, Les Carrefours du labyrinthe, op. cit.,
p. 151.
(5) C. Castoriadis, Les Carrefours du labyrinthe, op. cit.,
p. 151.
(6) C. Castoriadis, Les Carrefours du labyrinthe, op. cit.,
p. 152.
(7) C. Castoriadis, Les Carrefours du labyrinthe, op. cit.,
p. 152.
(8) C. Castoriadis, Les Carrefours du labyrinthe, op. cit.,
p. 153.
(9) Kurt Gödel (1906-1978) énonce, en 1931, le théorème
dit d'"incomplétude" , qui met en lumière
les limites de la formalisation. La théorie des systèmes
formels comporte un certain nombre de résultats négatifs
qui peuvent être interprétés d'un point de vue
intuitif comme imposant des limites aux possibilités de la
méthode de formalisation. Un système formel est une
entité idéale qui engendre, selon des procédures
canoniques, à partir de certains objets posés comme
"valables", d'autres objets qui seront également
reconnus comme "valables". Cette entité fait apparaître,
sous forme de "théorèmes", toutes les conséquences
qui découlent selon des critères déterminés
(les "règles" du système) d'un certain corps
de propositions (les "axiomes" du système). Le
système doit, en tout état de cause, être considéré
comme distinct de ses représentations. Un système
formel peut être considéré en lui-même,
en tant qu'il constitue un ensemble de schèmes canoniques
de déduction (c'est le point de vue "syntaxique").
Il peut aussi être considéré en tant qu'il correspond
à telle ou telle théorie non formalisée (c'est
le point de vue "sémantique"). Cependant, ainsi
que les théorèmes de limitation le montrent, il n'est
pas possible d'obtenir une représentation formelle adéquate
d'une théorie dès que celle-ci a une certaine ampleur.
Un système formel est constitué de symboles, de règles
de formation, d'axiomes et de règles de dérivation.
Or on demande que l'ensemble des symboles d'un système soit
récursif (c'est-à-dire qu'il soit possible de déterminer
de façon effective si un symbole donné fait partie
ou non d'un système). Le théorème de Gödel
s'applique à tout système formel qui satisfait à
ces conditions d'effectivité, qui est non contradictoire
(c'est-à-dire dans lequel il est impossible de dériver
à la fois une proposition et sa négation), et qui
contient une représentation de l'arithmétique récursive
(c'est-à-dire de cette partie de l'arithmétique qui
concerne exclusivement les propriétés récursives
des nombres). Ces caractères sont très généraux
et, en fait, tous les grands systèmes qui ont été
utilisés pour formaliser les mathématiques répondent
aux hypothèses du théorème de Gödel. Ce
théorème affirme que, dans de tels systèmes,
il existe des propositions indécidables, c'est-à-dire
des propositions qui ne sont ni dérivables ni réfutables.
Il y a ainsi une inadéquation irréductible entre le
système et ce qu'il représente. Pour que la correspondance
entre un système et le domaine d'énoncés qu'il
représente fût adéquate, il faudrait en effet
que tout énoncé vrai soit représenté
par une proposition dérivable et tout énoncé
faux par une proposition réfutable. Une des conséquences
du théorème de Gödel est qu'il est impossible
de représenter dans un système formel répondant
aux hypothèses du théorème la démonstration
de la non-contradiction de ce système. Cela signifie que,
pour démontrer la non-contradiction d'un système formel,
il est nécessaire de faire appel à des procédés
de preuve qui sont étrangers au système et donc, en
un sens, plus puissants que ceux dont il se sert.
(10) C. Castoriadis, Les Carrefours du labyrinthe, op.
cit., p. 154.
(11) C. Castoriadis, Les Carrefours du labyrinthe, op.
cit., p. 154-155.
(12) C. Castoriadis, Les Carrefours du labyrinthe, op.
cit., p. 155.
(13) Ce processus cumulatif des découvertes scientifiques
est à l'origine de l'idée de "progrès",
dont on sait à quel point elle a pu être généralisée
au-delà de la seule sphère du savoir scientifique.
Or c'est là précisément que gît le plus
grand risque d'illusion. P. Ricoeur en explique bien l'enjeu : "Les
découvertes techniques ont une manière assez semblable
de s'enchaîner par cumulation et de durer par capitalisation.
Ainsi se constitue un temps du progrès, qui n'est nullement
le seul axe temporel de notre existence , mais qui traverse toutes
les histoires comme une flèche de devenir; là rien
ne se perd, tout s'accumule : la poudre des Chinois, l'écriture
des Sémites, la machine à vapeur des Anglais, etc.
Toutes les histoires qui ont ce même style cumulatif - l'histoire
des découvertes scientifiques, des inventions instrumentales,
des techniques du travail, du bien-être et de la guerre, -
toutes ces histoires sont aisées à coucher sur le
même axe de durée, que nous confondons sans grand dommage
avec le temps de la mécanique, réglé sur le
mouvement des astres. Là est l'occasion de l'illusion ; un
unique rythme historique, en collusion avec le temps de la mécanique,
fournit le canevas des dates, c'est-à-dire des coïncidences
et des rendez-vous, telles les barres de mesure de la partition
symphonique. Mais d'autres rythmes historiques s'enchevêtrent,
qui ne se couchent pas exactement sur l'axe du progrès des
sciences et les techniques...." P. Ricoeur, Histoire et
vérité , Paris, Seuil, 1955, p. 188-189.
(14) C. Castoriadis, Les Carrefours du labyrinthe, op.
cit., p. 167.
Tous droits réservés. |