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Philippe FONTAINE,
Maitre de Conférences à l'Université de Rouen

La science,
Éditions Ellipses, 2006, 174 pages

La science domine aujourd'hui sans partage le champ du savoir. Cette domination est le résultat du progrès ininterrompu des sciences qui, à partir d'une origine commune, dans l'Antiquité, avec la pensée philosophique, se sont progressivement émancipées de la tutelle philosophique, grâce à la généralisation sans limite de l'outil mathématique qui a permis d'imposer la physique mathématique comme paradigme universel.

Mais ce progrès comporte un paradoxe : il est de plus en plus difficile de définir la science, du fait de son éclatement en multiples sciences particulières dédiées à des objets hétéroclites et incommensurables. L'essence même de la science est incertaine, au moment où plusieurs sciences connaissent une crise de leurs fondements, rendant ainsi l'unité de la science toujours plus problématique.

Par ailleurs, l'instauration de la science en modèle absolu d'interprétation du monde fait problème pour l'homme en quête du sens de son existence. Car dans son analyse de ce qui est , la science est impuissante à dire ce qui doit être ; du fait à la valeur, la conséquence n'est pas bonne. Si la science nous fournit des moyens, elle est muette sur les fins.
L'ouvrage propose une analyse équilibrée des contributions de la science au progrès de l'humanité dans son projet de conquête et de maîtrise de la nature, mais aussi des limites que sa méthode implique dans la détermination des fins dernières de notre vie, et du sens même de notre rapport existentiel au monde.

Lire ci-dessous un extrait : L'Introduction : L'ambivalence de la science et la crise des fondements à l'époque moderne

Lire le texte d'une conférence sur La science, donnée par Ph. Fontaine aux étudiants de classes prépa : (Format PDF 270 Ko), (Format RTF).

Table des matières
Introduction
: L'ambivalence de la science et la crise des fondements à l'époque moderne, 5

L'origine "philosophique" de la science : une archéologie commune, 13
La science et les sciences, 21
Le problème de la science dans une ontologie pluraliste, 21
Le devenir des sciences : historicité et scientificité
, 25
Les déterminations épistémologiques de la science moderne,
29
La science comme abstraction, 29
Le passage, en physique, d'un déterminisme rigoureux à un déterminisme statistique, 31
La perte de dimension et de forme de la particule élémentaire, 34
La théorie ondulatoire de la lumière, 35
La théorie cinétique de la chaleur, 36
Du caractère statistique des lois de la théorie physique, 37
La causalité statistique de la mécanique quantique, 40
L'exemple des champs de force, 41
La théorie de la relativité, 43
Les enseignements de la théorie de la relativité, 48
La théorie de la lumière : ondulatoire ou corpusculaire?, 52
La notion de corpuscule dans la physique moderne, 56
La rupture de la science avec les données sensibles, 60
Causalité et statistique, 64
La thèse du pluralisme des déterminismes, 67
La signification des relations d'incertitude, 70
Les conséquences épistémologiques du principe d'indétermination, 72
Un paradoxe quantique : la "désubstantialisation" du monde physique, 73
La crise des fondements de la physique contemporaine, 76
La crise du système des catégories héritées, 78
Catégorie et régionalité, 80
Des faits à la théorie, et retour, 84

Les limites de la science et l'interrogation philosophique, 87
L'analyse husserlienne de la crise des sciences européennes, 87
Le sens de la crise comme crise du sens, 93
L'analyse husserlienne de la mathématisation galiléenne de la nature, 95
Le "monde de la vie" comme fondement de sens oublié de la science de la nature, 96
La question de la différenciation et de la pluralisation des ordres de vérité, 101


Les sciences humaines et le projet de scientificité, 107
Les sciences de l'homme et la question de la valeur, 107
La contradiction inhérente au projet d'exemption de toute valeur de la science, 107
L'exemple de la psychologie et la critique sartrienne, 111
Michel Henry et la critique de l'objectivisme du projet galiléen, 113
Critique des présupposés des disciplines anthropologiques, 116
Les présupposés inavoués de la science économique, 118
Les ambiguïtés de la sociologie, 124
La critique husserlienne du naturalisme et de l'objectivisme de la science, 131
Science de fait et "humanité de fait", 134
La pseudo-séparation des faits et des valeurs, 136
Le scientisme et l'imposture de la compétence universelle, 140
La domination technologique du rationnel, au détriment du raisonnable, 146
Le "langage scientifique des déterminations" et la liberté humaine, 148
Le triomphe de la science et la menace de la"barbarie", 153


Conclusion :
L'hégémonie de la science et le pluralisme des ordres de vérité, 161
Bibliographie, 169

Un extrait : pp. 5-11 (Format PDF, Ko)
Introduction
L’ambivalence de la science et la crise des fondements à l’époque moderne



Notre époque est, plus qu'aucune autre, l'époque du triomphe de la science érigée à la dignité de modèle exclusif de toute connaissance possible. Comme le note le philosophe C. Castoriadis, "l'époque contemporaine, incertaine de tout, aime se croire certaine au moins d'une chose : de son savoir."(1) Mais cette prétendue certitude ne cache-t-elle pas une incertitude autrement plus profonde? Car l'époque moderne est celle de la crise, diagnostiquée par de nombreux auteurs, crise universelle, qui touche tous les domaines, et telle que plus rien ne semble assuré. Il est donc nécessaire d'interroger la signification, mais aussi la légitimité, de cette thèse de la valeur supérieure de la science et de sa prétention à se présenter comme modèle absolu, c'est-à-dire universel, de tout savoir. Car, derrière la façade orgueilleuse d'une science exerçant aujourd'hui une manière de domination absolue sur l'histoire de l'humanité, pourrait bien se cacher une inquiétude sourde qui ronge l'époque contemporaine : "Certes, explique le même auteur à propos de la science, s'interroge-t-elle, périodiquement et spasmodiquement, sur le rapport, fait d'un surprenant manque de rapport, entre ce prétendu savoir et le désarroi total où elle vit, l'absence de fins ou d'illusions qui en tiennent lieu, l'impossibilité de définir une économie de moyens voués à une prolifération sans précédent, la préoccupante confirmation de la relation E = mc 2 par les cadavres d'Hiroshima et de Nagasaki et, plus récemment, les destructions peut-être irréparables qu'à l'aide de ce savoir elle a pu infliger en moins d'un siècle à l'équilibre d'une biosphère vieille de milliards d'années. Mais la nature, la valeur, l'orientation, le mode de production et les produits de ce savoir lui paraissent au-dessus de toute discussion, dogmes qui ne diffèrent en rien, quant à la solidité et au mode d'adhésion subjectif, des dogmes religieux qui régnaient naguère."(2) La légitimité du savoir scientifique, aujourd'hui, constitue une doxa inébranlable, inaccessible à quelque remise en cause que ce soit, qui se trouve renforcée par l'extension sans précédent d'une idéologie de la science, le "scientisme", pour laquelle la science constitue, dans tous les domaines, la réponse ultime aux questions que l'humanité peut se poser.

Mais cette domination insolente du modèle scientifique n'est pas sans paradoxe ; en effet, l'idéologie scientiste triomphe dans la société au moment même où, pour les scientifiques eux-mêmes, devient manifeste la mort de la science telle que l'Occident l'avait créée depuis 1600 et presque cru réalisée vers 1900, la science galiléenne : "Ce qui a en effet succombé, écrit encore Castoriadis, aux explosions successives des quanta, de la relativité, des relations d'incertitude, de la renaissance du problème cosmologique, de l'indécidable mathématique, ce ne sont pas simplement des conceptions spécifiques déterminées, mais l'orientation, le programme et l'idéal de la science galiléenne, au fondement de l'activité scientifique et au faîte de son idéologie pendant trois siècles : le programme d'un savoir constituant son objet comme processus en soi indépendant du sujet, repérable sur un référentiel spatio-temporel valant pour tous et privé de mystère, assignable à des catégories indiscutables et univoques (identité, substance, causalité), exprimable, enfin, dans un langage mathématique à la puissance illimitée, dont ni la préadaptation miraculeuse à l'objet ni la cohérence interne ne semblaient poser de question."(3) De plus, le constat de la grande régularité des phénomènes naturels, observés à grande échelle, ne faisait que renforcer le sentiment d'évidence qu'il existe un système unique des lois de la nature, certes indépendant de l'homme, mais accessible à sa compréhension grâce au développement et à l'élargissement continus du savoir scientifique ; l'écart entre l'état, toujours partiel et inachevé, des connaissances à un moment donné et l'idéal d'un savoir absolu pouvait être considéré comme indéfiniment réductible en droit, "soit qu'il fût dû aux limitations de la base inductive, constamment élargie, soit qu'il résultât de l'imprécision des mesures, continuellement réduite. Ainsi parlait-on - et l'on continue de le faire - de progrès asymptotique de la science vers le savoir, sans paraître soupçonner que l'expression, privée de sens si l'on ne possède pas l'asymptote que l'on invoque, serait absurde si on la possédait."(4)

De fait, c'est bien ce modèle, en grande partie imaginaire, voire fantasmatique, qui se trouve radicalement remis en question aujourd'hui, et ce, du fait même de l'avancée de la science, qui a eu pour conséquence de briser le système conceptuel et logique sur lequel reposait l'antique et classique conception de la science. Rien n'est devenu plus improbable que cette idée d'un "progrès" continu et linéaire des sciences rapprochant indéfiniment les connaissances humaines du Savoir absolu. Comme l'écrit Castoriadis, "Ce progressisme scientifique peut aujourd'hui trouver sa place parmi les grandes illusions fécondes de l'histoire. L'incontestable progrès de la science n'est pas accumulation de vérités, construction des ailes d'un grand bâtiment s'ajoutant harmonieusement les unes aux autres par le travail d'ouvriers curieusement condamnés à ignorer à jamais le plan d'ensemble. Il n'est certes pas non plus, comme la déception l'a peut-être fait dire à certains, simple élimination des erreurs, falsification d'hypothèses controuvées, flotte fantomatique de théories désarmées. Ce qu'est le progrès scientifique est en soi un problème de première grandeur - et certainement pas scientifique."(5) Et si une certaine conception du progrès scientifique doit décidément être abandonnée aujourd'hui, ce n'est pas pour des raisons conjoncturelles, liées à l'écart, provisoire, entre la réalité de la science et l'idéal classique du savoir, mais pour des raisons de fond, qui tiennent à l'essence même de la science comme théorie ; comme le dit Castoriadis : " La science comporte l'incertitude en son centre dès lors qu'elle dépasse la manipulation empirico-computationnelle ou la simple description et qu'elle veut être théorie. A réfléchir, du reste, sur de ce terme même de théorie, on ne voit pas comment il pouvait jamais en être autrement, et l'étonnement surgit plutôt de ce que l'on ait pu pendant si longtemps croire le contraire."(6)

En tout cas, une telle croyance est décidément devenue impossible aujourd'hui. Car le doute, ou l'incertitude, ne portent plus sur telle ou telle théorie particulière, mais sur la science dans son ensemble, en sorte que l'interrogation n'est plus intra-scientifique, d'ordre interne à la science comme telle, mais déborde largement son champ, et porte sur le fondement même de l'approche scientifique du monde : "Surgissant de ce travail même, l'entravant et le fécondant à chacun de ses grands pas, l'incertitude est devenue mise en question et crise de l'armure catégoriale de la science, et renvoie ainsi explicitement l'homme de science à l'interrogation philosophique. Cette interrogation ne laisse rien hors de son champ. Car ce qui est en cause, c'est aussi bien la métaphysique sous-jacente à la science de l'Occident depuis trois siècles - à savoir l'interprétation, implicite et non consciente, du type d'être que manifestent les objets mathématiques, physiques, vivants, psychiques, sociaux-historiques - que la logique, dans l'élément de laquelle ces objets étaient réfléchis ; que le modèle de savoir visé ; que les critères de ce que l'on a appelé la démarcation entre science et philosophie ; et que la situation et la fonction social-historique de la science , des organisations et des hommes qui la portent."(7) Cette interrogation est indissociable d'une crise des fondements de la science, telle que cette crise échappe par principe à toute résolution scientifique ; comme le montre encore Castoriadis : "La cohérence de la mathématique n'est pas une question mathématique et ne peut pas être discutée à l'intérieur de la mathématique et avec ses ressources."(8) Hilbert a pu ainsi montrer qu'un système formalisé non trivial contient nécessairement des propositions indécidables, en sorte qu'il est imposible de démontrer, à l'intérieur d'un tel système, sa non-contradiction (théorème de Gödel, 1931)(9).

Que l'ensemble de l'édifice de la science se trouve ainsi frappé d'incertitude est trop peu dire : "La situation épistémologique ainsi créée est absolument unique et hautement paradoxale. En un sens, les théorèmes de Gödel n'ont aucune importance réelle ; en un autre sens, ils signifient une catastrophe totale et irrémédiable. A supposer qu'un jour on démontre un théorème qui contredit d'autres théorèmes déjà démontrés, il est probable que l'on parviendra à sauver l'essentiel du système en l'amputant de certaines de ses parties ; et cette éventualité apparaît comme hautement improbable. Mais précisément, elle n'est qu'improbable. L'ensemble des particules de l'univers seraient-elles des mathématiciens démontrant un nouveau théorème par seconde, et ce pendant quinze milliards d'années sans qu'aucune contradiction apparaisse, la situation logique ne serait pas changée : l'apparition ultérieure d'une contradiction resterait toujours logiquement possible, la cohérence du système ne serait qu'une conjecture hautement probable."(10) Cette conséquence est décisive, car, dans les disciplines déductives, un abîme sépare un énoncé infiniment probable d'un énoncé vrai, à savoir apodictiquement nécessaire. La science se donne ainsi comme une science rigoureusement déductive qui ne doit rien à l'expérience, mais qui pourrait être falsifiée par un fait d'expérience, ce fait n'étant pas tant un fait empirique que l'acte d'un mathématicien.

Une situation nouvelle est ainsi créée, qui contraint les mathématiciens à se confronter en permanence avec la question du fondement de leur discipline, question qui échappe de fait au domaine de législation sur lequel règne précisément la mathématique. Cette remise en question du caractère de certitude absolue des mathématiques constitue un fait inédit, dans l'histoire de la pensée philosophique et scientifique, puisqu'aussi bien les deux disciplines sont historiquement indissociables. Castoriadis note l'influence considérable de la mathématique sur la pensée philosophique : "La fascination, écrit-il, exercée par la mathématique sur la philosophie, de Pythagore et Platon à Kant et Husserl, n'a pas été, comme on le dit souvent, motivée par la croyance que la mathématique offrait le paradigme d'une certitude absolue ; Platon savait parfaitement qu'elle ne s'appuyait que sur des hypothèses. Mais, dans la mathématique, on croyait posséder précisément le modèle d'une certitude hypothético-déductive : une fois la question de la "vérité" des hypothèses suspendue (...), le système d'inférences mathématique paraissait exhiber une certitude apodictique. On croyait donc pouvoir se référer à un domaine où l'hypothéticité n'affectait que le "contenu", mais où du moins la "forme" - le type de concaténation nécessaire des énoncés - se présentait comme absolument catégorique."(11) Or, c'est précisément cette confiance dans le pouvoir déductif des mathématiques et l'idée d'une logique rigoureuse autant que féconde qui se trouve ruinée aujourd'hui, avec les théorèmes de Gödel, ainsi qu'un certain nombre d'autres théorèmes d'indécidabilité.

Cette nouvelle problématique ne saurait trouver sa résolution dans l'édification de métalangages, destinés à "démontrer" la non-contradiction des systèmes de départ. Elle risque plutôt de s'en trouver multipliée à l'infini ; en effet, comme l'explique Castoriadis, "On sait, à partir d'un résultat absolument général de Tarski, que l'on peut rendre tous les énoncés d'un système formel indécidables (et tous ses termes indéfinissables), à condition de se placer dans un système plus riche. Bien entendu, ce dernier comportera alors des énoncés indécidables et des termes indéfinissables ; on pourra s'en débarrasser, en passant derechef à un nouveau métasystème, encore plus riche. Il est clair que ce regressus ad infinitum non seulement ne "résout" pas la question initiale, mais l'aggrave ; car l'utilisation de langages de plus en plus riches équivaut à la mise en oeuvre d'hypothèses de plus en plus fortes."(12) Aucun système formel ne saurait éliminer définitivement les caractères d'indécidabilité qui l'habitent, et le recours à des systèmes plus riches, plus complexes, requiert la position d'hypothèses elles-mêmes plus complexes, en sorte que le système jouant le rôle de "métalangage", loin de réduire le caractère d''indécidabilité, le multiplie à proportion des hypothèses qu'il convoque.

Telle est la situation actuelle de la science qui, à tout le moins, justifie le principe d'une interrogation philosophique sur ses fondements et sa portée ; l'événement décisif, à l'époque contemporaine, est la découverte, à laquelle les scientifiques ne peuvent plus se dérober, qu'il est désormais "impossible de présenter le processus historique de la science comme une "addition", une "généralisation" ou un "perfectionnement" le long desquels les nouvelles connaissances laisseraient intactes celles qui existaient déjà, bref, qu'il est impossible de le présenter comme un processus cumulatif "(13), ce qui revient à dire " que ce que l'on appellera, faute d'un meilleur terme, les étapes historiques de la science correspondent à autant de ruptures . Dès lors, plusieurs nouvelles questions surgissent : de quoi ces ruptures sont-elles ruptures, autrement dit, qu'est-ce qui, à chaque étape et à travers toutes les étapes, constitue "l'essence" du système scientifique accepté ? Quels sont les facteurs qui, à chaque fois, conduisent à la rupture ? Quelle est, enfin, la relation entre les étapes ainsi distinguées et, corrélativement, des connaissances scientifiques successivement produites ?"(14)

Ces questions possèdent indiscutablement un statut philosophique, parce qu'elles engagent une réflexion sur l'essence du connaître scientifique, sur son historicité et sur la nature de son objet. Il est d'autant plus remarquable qu'elles sont généralement évacuées, aujourd'hui encore, du champ de la science elle-même, grâce à des interprétations du développement dans l'histoire de la connaissance scientifique qui insistent sur sa discontinuité, faite de ruptures successives, de "sauts", de fractures, de solutions de continuité dans les hypothèses et les théories. Car ce qui est en jeu ici n'est autre que l'essence de la science, si le recours à un tel concept peut encore avoir un sens dans ce contexte. C'est en tout cas à une telle réflexion que nous voudrions nous consacrer dans les pages qui suivent, dans l'espoir d'être ainsi en mesure de prononcer un jugement éclairé sur la signification et les conséquences de cette domination absolue de la science dans la vie quotidienne de l'homme contemporain.

Philippe Fontaine
Notes
(1) C. Castoriadis, "Science moderne et interrogation philosophique", in : Les Carrefours du labyrinthe, Paris, Seuil, 1978, p. 150.
(2) C. Castoriadis, Les Carrefours du labyrinthe, op. cit., p. 150.
(3) C. Castoriadis, Les Carrefours du labyrinthe, op. cit., p. 151.
(4) C. Castoriadis, Les Carrefours du labyrinthe, op. cit., p. 151.
(5) C. Castoriadis, Les Carrefours du labyrinthe, op. cit., p. 151.
(6) C. Castoriadis, Les Carrefours du labyrinthe, op. cit., p. 152.
(7) C. Castoriadis, Les Carrefours du labyrinthe, op. cit., p. 152.
(8) C. Castoriadis, Les Carrefours du labyrinthe, op. cit., p. 153.
(9) Kurt Gödel (1906-1978) énonce, en 1931, le théorème dit d'"incomplétude" , qui met en lumière les limites de la formalisation. La théorie des systèmes formels comporte un certain nombre de résultats négatifs qui peuvent être interprétés d'un point de vue intuitif comme imposant des limites aux possibilités de la méthode de formalisation. Un système formel est une entité idéale qui engendre, selon des procédures canoniques, à partir de certains objets posés comme "valables", d'autres objets qui seront également reconnus comme "valables". Cette entité fait apparaître, sous forme de "théorèmes", toutes les conséquences qui découlent selon des critères déterminés (les "règles" du système) d'un certain corps de propositions (les "axiomes" du système). Le système doit, en tout état de cause, être considéré comme distinct de ses représentations. Un système formel peut être considéré en lui-même, en tant qu'il constitue un ensemble de schèmes canoniques de déduction (c'est le point de vue "syntaxique"). Il peut aussi être considéré en tant qu'il correspond à telle ou telle théorie non formalisée (c'est le point de vue "sémantique"). Cependant, ainsi que les théorèmes de limitation le montrent, il n'est pas possible d'obtenir une représentation formelle adéquate d'une théorie dès que celle-ci a une certaine ampleur. Un système formel est constitué de symboles, de règles de formation, d'axiomes et de règles de dérivation. Or on demande que l'ensemble des symboles d'un système soit récursif (c'est-à-dire qu'il soit possible de déterminer de façon effective si un symbole donné fait partie ou non d'un système). Le théorème de Gödel s'applique à tout système formel qui satisfait à ces conditions d'effectivité, qui est non contradictoire (c'est-à-dire dans lequel il est impossible de dériver à la fois une proposition et sa négation), et qui contient une représentation de l'arithmétique récursive (c'est-à-dire de cette partie de l'arithmétique qui concerne exclusivement les propriétés récursives des nombres). Ces caractères sont très généraux et, en fait, tous les grands systèmes qui ont été utilisés pour formaliser les mathématiques répondent aux hypothèses du théorème de Gödel. Ce théorème affirme que, dans de tels systèmes, il existe des propositions indécidables, c'est-à-dire des propositions qui ne sont ni dérivables ni réfutables. Il y a ainsi une inadéquation irréductible entre le système et ce qu'il représente. Pour que la correspondance entre un système et le domaine d'énoncés qu'il représente fût adéquate, il faudrait en effet que tout énoncé vrai soit représenté par une proposition dérivable et tout énoncé faux par une proposition réfutable. Une des conséquences du théorème de Gödel est qu'il est impossible de représenter dans un système formel répondant aux hypothèses du théorème la démonstration de la non-contradiction de ce système. Cela signifie que, pour démontrer la non-contradiction d'un système formel, il est nécessaire de faire appel à des procédés de preuve qui sont étrangers au système et donc, en un sens, plus puissants que ceux dont il se sert.
(10) C. Castoriadis, Les Carrefours du labyrinthe, op. cit., p. 154.
(11) C. Castoriadis, Les Carrefours du labyrinthe, op. cit., p. 154-155.
(12) C. Castoriadis, Les Carrefours du labyrinthe, op. cit., p. 155.
(13) Ce processus cumulatif des découvertes scientifiques est à l'origine de l'idée de "progrès", dont on sait à quel point elle a pu être généralisée au-delà de la seule sphère du savoir scientifique. Or c'est là précisément que gît le plus grand risque d'illusion. P. Ricoeur en explique bien l'enjeu : "Les découvertes techniques ont une manière assez semblable de s'enchaîner par cumulation et de durer par capitalisation. Ainsi se constitue un temps du progrès, qui n'est nullement le seul axe temporel de notre existence , mais qui traverse toutes les histoires comme une flèche de devenir; là rien ne se perd, tout s'accumule : la poudre des Chinois, l'écriture des Sémites, la machine à vapeur des Anglais, etc. Toutes les histoires qui ont ce même style cumulatif - l'histoire des découvertes scientifiques, des inventions instrumentales, des techniques du travail, du bien-être et de la guerre, - toutes ces histoires sont aisées à coucher sur le même axe de durée, que nous confondons sans grand dommage avec le temps de la mécanique, réglé sur le mouvement des astres. Là est l'occasion de l'illusion ; un unique rythme historique, en collusion avec le temps de la mécanique, fournit le canevas des dates, c'est-à-dire des coïncidences et des rendez-vous, telles les barres de mesure de la partition symphonique. Mais d'autres rythmes historiques s'enchevêtrent, qui ne se couchent pas exactement sur l'axe du progrès des sciences et les techniques...." P. Ricoeur, Histoire et vérité , Paris, Seuil, 1955, p. 188-189.
(14) C. Castoriadis, Les Carrefours du labyrinthe, op. cit., p. 167.

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