La vérité
* Ce n'est pas en théoricien
de la connaissance comme Platon ou Aristote mais en moraliste
à la manière de Nietzsche que Pascal posele
problème de la vérité. Aussi de celle-ci
ne cherche-t-il pas à donner une définition,
s'attachant plutôt à en juer selon sa valeur
de vie, c'est-à-dire selon son importance pour le salut
: "Quand un homme serait persuadé que
les proportions des nombres sont des vérités
immatérielles, éternelles et dépendantes
d'une première vérité en qui elles subsistent
et qu'on appelle Dieu, je ne le trouverais pas beaucoup avancé
pour son salut" (449). Lorsqu'invoquant le modèle
perspectif, Pascal se demande qui "dans la vérité...assignera...le
point indivisible qui (est) le véritable lieu"
(21), il ne pense pas en théoricien de la connaissance
en quête du point du point de vue auquel s'ordonne la
représentation, mais en homme de foi en quête
d'un autre regard sur la réalité de l'existence.
Il s'agit, bien sûr, de cette "pensée
de derrière" (91), à laquelle
s'élève celui qui prend assez de hauteur pour
voir la diversité des opinions se disposer en "gradation"
selon la "raison des effets" (90).
**Prendre de la hauteur suppose un suffisant détachement
; l'intérêt en effet toujours s'interpose entre
l'homme et la vérité. Une vérité
intéressée est partiale, sinon compromise avec
l'erreur ; une vérité intéressante est
déjà suspecte : "Les malins sont
gens qui connaissent la vérité, mais qui ne
la soutiennent qu'autant que leur intérêt s'y
rencontre... Hors de là, ils l'abandonnent" (740).
Il faut aimer la vérité pour elle-même
et non pour ce qu'elle nous agrée. Qu'elle vienne à
nous déranger, nous l'avons en "aversion"
(978) : "N'est-il pas vrai que nous haïssons
la vérité et ceux qui nous la disent et que
nous aimons qu'ils nous trompent à notre avantage?"
(ibid.). Déjà, dans l'Art de persuader,
Pascal distinguait "deux entrées par où
les opinions sont reçues dans l'âme",
l'entendement et la volonté, expliquant ce dernier
terme en disant "qu'on n'entre dans la vérité
que par la charité" (Laf. p. 355 A).
C'était faire de la volonté l'organe de l'amour.
Aimer la vérité pour la connaître n'est
pas tant reconnaître à l'amour une valeur théorique,
a fortiori en faire une faculté cognitive, mais poser
que si on ne place pas la vérité au-dessus de
tout intérêt propre, on en vient à la
corconvenir, à la déformer et même à
la trahir. Il en est ainsi des "vérités
divines", dont Dieu a voulu "qu'elles
entrent du coeur dans l'esprit et non pas de l'esprit dans
le coeur" (ibid.). Il faut donc "les
aimer pour les connaître".
***Il ne faut pas prétendre se faire juge de la vérité,
car qui en jugee alors si ce n'est "l'amour-propre"
(978). Suivent "superstition et concupiscence",
qui inspirent la "mauvaise crainte"
non que Dieu se soit pas, mais précisément qu'il
soit, parce qu'on n'a pas eu foi en lui (908). L'homme en
vient alors à connaître une vérité
à sa mesure : "On se fait une idole de
la vérité même, car la vérité
hors de la charité n'est pas Dieu, et son image est
une idole qu'il ne faut point aimer ni adorer"
(926). Qu'aimons-nous et qu'adorons-nous en effet dans cette
idole sinon nous-mêmes?"
Pierre Magnard,
Le vocabulaire de Pascal, Éditions
Ellipses 2001, pp.56-57
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