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Retour à Pascal
Pierre
Magnard,
Professeur de Philosophie à la Sorbonne,
Le vocabulaire de Pascal
Éditions Ellipses, Paris, 1997
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Cœur
*On croyait depuis longtemps savoir en quoi consistait cet organe
de l'amour et de la réceptivité, qui permettait
de connaître Dieu même, de le connaître pour
l'aimer, de l'aimer pour le connaître : «
C'est le coeur qui sent Dieu » et non la raison
; voila ce que c'est que la foi : « Dieu sensible
au coeur, non a la raison » (424). Le débat
tournait depuis Augustin et Bernard de Clairvaux autour de la
priorité de l'amour sur la connaissance. «
On ne peut connaître la vérité sans l'aimer
», tranchera Pascal, qui déjà dans
l'Art de persuader avait souligné
cette antériorité. Le mot vient de la Bible,
où le coeur est le siège des sentiments et passions,
mais aussi l'organe de la conscience morale. Dieu sonde les
reins et les coeurs, mais le coeur est souvent «endurci»,
au point que Dieu dit à Ézéchiel qu'il
changera notre coeur de pierre» contre
un «coeur de chair». On retrouve
la notion chez saint Paul qui fait du coeur la mesure de l'homme
; «Si votre coeur vous condamne
Dieu est plus grand que votre coeur». Augustin
reprend l'imagerie biblique, insiste sur la «
profondeur » du coeur, y voit un «abîme
insondable» agité de tempêtes, mais
aussi capable de paix, quand Dieu s'y promène, comme
dans le coeur des saints. Il insiste sur le caractère
métaphorique d'une symbolique qui prète à
«un peu de chair placé sous nos côtes»
tout le dynamisme de la pensée (De anima
et ejus origine, IV, 6, n. 7).
** Quand Pascal reprend l'image, il s'inscrit dans cette tradition,
mais son choix n'est pas innocent, car il doit se départir
d'une autre tradition, celle des mystiques rhéno-flamands
qui ont développé une topique sensiblement différente:
le coeur est présenté comme la fine pointe de
l'âme (apex mentis), ce sommet
de la vie spirituelle auquel l'homme ne parvient qu'au terme
d'un mouvement de déification. Le coeur c'est l'homme
au-dessus de lui-même, l'homme de Dieu. A partir d'une
interprétation spirituelle du De anima
d'Aristote, Thierry de Freiberg confère au coeur une
véritable transcendance, au point que chez Maître
Eckhart ce coeur inhumain, surhumain, ultra-humain n'appartient
plus à l'homme mais a Dieu. En résultera toute
une mystique du Sacré-Coeur qui marquera profondément
la piété au XVIIe siècle. Point de contact
entre I'humain et le divin, le coeur est comme le lieu natal
de Dieu en notre monde.
*** On sait la réaction de Port-Royal contre une «dévotion
musculaire» imputée a saint Jean Eudes.
Un ressourcement aux textes d'Augustin inspirera à Saint-Cyran
son opuscule Le coeur nouveau, qui restitue au coeur humain
sa signification tant vitale que spirituelle : si le coeur est
au propre la source d'où irradie toute vie organique,
il est au figuré le point de départ de tous nos
élans ; il n'est de conversion qui ne parte de lui. D'où
le rôle principiel que lui reconnaît Pascal : «Coeur,
instinct, principes» (155), principes du discours
et de la représentation (espace, temps, mouvement, nombres),
sentiment de la consistance des choses qui nous entourent, foi
pratique qui fonde notre être au monde, certitude qu'il
fera jour demain ou que nous ne rêvons pas... C'est ainsi
qu'il mérite le nom d'instinct, d'où l'on voit
que toutes nos certitudes, qu'elles concernent la réalité
quotidienne ou I'existence de Dieu, procèdent de la même
expérience. On comprend dès lors qu'il se puisse
égarer, que les choses temporelles le puissent encombrer
au point de lui cacher Dieu et que I'on doive souvent faire
le constat que "le coeur de I'homme est vide et
plein d'ordures» (139).
Pierre Magnard,
Le vocabulaire de Pascal, pp.8-9 |
Autres extraits :
Divertissement - Finesse
- Moi - Pari
- Vérité
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