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Retour à Pascal
Pierre
Magnard,
Professeur de Philosophie à la Sorbonne,
Le vocabulaire de Pascal
Éditions Ellipses, Paris, 1997
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Pari
* Le mot mérite-t-il de figurer dans un vocabulaire pascalien?
Pascal n'en use pas, mais seulement du verbe «
parier» dont on trouve trois occurrences dans
le fragment 418. Pourtant, la fortune éditoriale de ce
mot, pris comme titre de ce fameux fragment, nous incite à
le retenir. En fait cette dénomination recouvre deux
morceaux de papier, sans trous d'enfilure, donc étrangers
aux liasses, mais marqués de traces de pliure signifiant
« qu'ils ont été portés longtemps
dans la poche d'un habit» (2. Tourneur, H. Gouhier).
Si donc ce texte est étranger à la stricte conception
de l'Apologie de la religion chrétienne, il constitue
pourtant une pièce maîtresse de la stratégie
de l'apologiste. Il s'inscrit de surcroît parfaitement
dans la logique de la « règle des partis
», énoncée dès 1654 et dont
nous étudions l'usage moral, voire religieux, dans l'article
« parti ». Ne relève-t-il
pas en effet de cette « géométrie
des partis », dont parle Antoine Arnauld dans
sa lettre à Pascal du 10 mars 1657 ?
** Si tant est que nous puissions prêter à Pascal
cette notion de « pari », quelle
acception prend-elle chez lui? Écartons la tentation
de voir dans ce texte un argument qui viserait le libertin mathématicien
en appliquant le calcul des probabilités à la
question de la croyance. Ce qui ressort de ces pages c'est l'incertitude
de tous les enjeux de l'existence humaine, à commencer
par l'existence de Dieu elle-même, incertitude radicale
qui met au pied du mur le coeur et la raison et va conduire
celle-ci à prendre le pas sur celui-là, jusqu'à
lui imposer de s'affranchir de ses passions. C'est en définitive
ce heurt entre une raison joueuse, poussant à l'extrême
les conséquences de son calcul, et un coeur entravé
dans ses mauvaises craintes, qui inspire à Pascal cette
exhortation qu'il s'adresse à lui-même: «
Travaillez non pas à vous convaincre par t'augmentation
des preuves de Dieu, mais par la diminution de vos passions
».
*** Le pari de Pascal n'est ni frivole, ni gratuit; il n'est
pas le geste de ce qu'il est convenu d'appeler un joueur. «
Il faut parier », « on
me force à parier ». Qui m'oblige, qui
me force à jeter les dés? Qui me force à
jouer? La raison même, qui sait qu'il serait folie de
ne pas jouer, « quand il y a le fini à
hasarder à un jeu où il y a pareils hasards de
gain que de perte et l'infini à gagner ».
Mais n'est-ce pas passer d'une crainte à l'autre, de
la mauvaise crainte que Dieu puisse ne pas exister à
la bonne crainte qu'il puisse exister? « Ne craignez
point, pourvu que vous craigniez; mais si vous ne craignez pas,
craignez » (785). Or cette bonne crainte, cette
crainte supérieure que fait lever en nous le calcul de
la raison, n'est-ce pas ce que l'on appelle justement la crainte
de Dieu? On conçoit que le discours s'achève dans
le transport et le ravissement et que ce soit le geste d'une
raison forte qui mette ici un homme à genoux pour prier.
La certitude d'un gain infini n'a aucune peine à balancer
l'incertitude du « néant»
que l'on a hasardé: « Vous avez parié
pour une chose certaine, infinie, pour laquelle vous n'avez
rien donné ». Pascal peut conclure: «
Cela est démonstratif; et si les hommes sont capables
de quelque vérité, celle-là l'est».
Pierre Magnard,
Le vocabulaire de Pascal, Éditions
Ellipses, pp.44-45 |
Autres extraits :
Coeur - Divertissement
- Finesse - Moi
- Vérité
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