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Europe, Éducation,
École
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Le Club
de Philosophie, lauréat du prix eTwinning
d'Innovation Pédagogique,
a invité Monsieur Bernard
Bourgeois, philosophe et académicien,
pour débattre avec ses partenaires
des lycées francophones de l'Éducation
à l'Europe.
Le projet de constitution européenne, le rôle
de la culture, le statut de l'éducation, nationale
ou européenne, ont été au coeur de
sa conférence et du débat.
Les élèves de l'École
Dzukija d'Alytus, en Lituanie, du Lycée
classique L. A. Muratori de Modène, en Italie,
du Lycée
n° VII de Peristeri, en Grèce, sont intervenu
en direct pour présenter leurs points de vue et
poser leurs questions.
Le Gymnazium Tajovskeho
de Banska Bystrica, en Slovaquie, et le Lycée
Matyas Lerch de Brno, en République tchèque,
ont formulé leurs questions via chat.
On trouvera ci-dessous un résumé de la conférence
et ensuite quelques extraits des questions posées
par les élèves.
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Résumé
L’éducation à l’Europe
suppose que l’on réfléchisse d’abord
sur l’Europe elle-même et que l’on pense
sa dimension normative. En effet, on constate qu’aujourd’hui
les peuples européens hésitent à se
décider pour son unification politique, et en viennent
même à donner un coup d’arrêt au
projet du Traité constitutionnel. Il faut donc s’interroger
sur les raisons de ces difficultés et voir si la
culture ne pourrait pas réussir là où
la politique semble échouer ? En outre, aucune idée
n’étant aujourd’hui proposée à
ce sujet, on se contente dans cette entreprise de construction
européenne d’un empirisme plutôt médiocre,
et cela est grave. Il nous faudrait donc une éducation
à l’Europe susceptible, par son souci de la
culture, de nourrir l’esprit européen et de
le définir.
L’idée de l’Europe a une histoire. Celle-ci
pourrait se résumer de la manière suivante
: quand il y avait une idée de l’Europe, personne
ne songeait à la réaliser, et quand on s’est
mis à construire l’Europe, personne ne songeait
à la définir. Le destin de cette idée
est exprimé dans la discordance entre idée
et réalité.
Certes, il y avait bien eu une tentative d’unification
de l’Europe, avec Rome et son droit, avec le christianisme,
avec les sciences et ses élites, mais l’idée
d’une unification politique n’a fait son apparition
qu’au XVIIe siècle, avec Sully. Il voulait
réunir 15 États chrétiens, certes en
excluant le turc, mais en traitant avec le monde musulman.
Il y avait bien là une idée de l’Europe,
mais on ne s’occupait pas des conditions de son édification
politique.
Au XVIIIe et au XIXe siècle, l’idée
européenne change de lieu : de la France, qui est
un Etat-nation, elle passe dans Allemagne, qui est un pays
sans Etat. Rousseau ne croit pas à la construction
politique de l’Europe : je ne vois plus de Français,
plus d’Anglais etc. ; il n’y a plus de patriotes
; il n’y a que des apatrides européens, dit-il.
C’est en Allemagne donc, où il n’y avait
pas d’État, que l’Europe sera désormais
pensée. La naissance d’une nation allemande
sera aussi liée à la naissance d’une
nation européenne. On en appellera à la constitution
d’une Europe politique fédérale, qui
concilierait l’ordre et la liberté. On exaltera
l’Allemagne comme étant le cœur d’une
Europe fédérale.
Après 1945, l’entreprise de construction européenne
repartira du noyau franco-allemand. On prendra le pool Charbon-Acier
pour opérer une réconciliation franco-allemande.
Seuls les intérêts économiques seront
pris en compte. On en viendra même à croire
que l’Europe pourrait se faire toute seule, que la
communauté européenne ne pourrait que s’élargir,
comme si elle naissait presque par mégarde. Or, c’était
oublier que le politique ne se constitue qu’à
son propre niveau, et qu’il ne peut se faire naturellement.
Sa construction est beaucoup plus difficile que la construction
économique, car elle exige une idée claire
de l’Europe elle-même. A cet égard, il
est intéressant de noter que récemment, le
Parlement Européen a voté un texte pour demander
aux députés de définir l’Europe.
Il était temps, après 50 ans de réalisation
! Pour l’esquisser, il nous faut considérer
maintenant le rapport entre l’Europe et la culture.
Kant, qui, à côté de son immense oeuvre
philosophique, a fait des cours de géographie toute
sa vie, observe que les Européens aiment voyager,
et qu’ils voyagent pour voir. Cela signifie, dit-il,
qu’ils cherchent à s’ouvrir à
l’universel. Chez les Chinois, l’histoire est
statique. C’est toujours la même chose ! Or,
elle exige l’attention aux différences et l’effort
d’identification de ces différences. C’est
seulement ainsi que les hommes nouent des relations entre
eux et s’identifient par-delà les différences
qui les caractérisent.
En ce sens, on peut dire que l’Europe est née
en Grèce, parce que la Grèce a su se donner
une culture capable d’aller au-delà d’elle-même.
Elle n’est pas née de simples échanges
culturels, mais proprement du mélange des cultures.
En Grèce, toutes les cultures se sont mélangées
: l’égyptienne, la phénicienne, la perse,
etc. L’Europe, c’est le continent de l’universel,
et la philosophie, c’est l’ouverture à
l’universel. Cela signifie que, même si la philosophie
s’exprime à l’intérieur d’une
culture particulière, elle doit toujours être
critique à son égard et se montrer utopique
et intempestive. Loin d’être un luxe, comme
on dit parfois, la philosophie est un moyen de prendre de
la distance par rapport aux particularismes culturels et
donc de pacifier ceux-ci.
C’est cela précisément que l’on
attend de l’idée de l’Europe. Elle doit
être l’artisan de la paix dans le monde. Elle
n’atteindra cet objectif que par l’éducation.
Il n’y aura pas d’Europe politique sans éducation
! une éducation qui enseigne l’histoire européenne,
les langues et la riche variété des cultures.
C’est bien une éducation européenne
qu’il faut à l’Europe !
Affirmer l’universel, c’est se critiquer soi-même,
et il faut toujours être critique vis-à-vis
de sa nation et, tout autant, vis-à-vis de l’entreprise
européenne. La simple tolérance ne suffit
pas, car elle n’est pas sans quelque condescendance,
et elle est aléatoire. La vraie culture fait abstraction
de soi, se « nie » elle-même, pour écouter
les autres. C’est aussi l’attitude de la vraie
laïcité, qui consiste à pouvoir faire
abstraction des engagements qu’on ne renie pourtant
aucunement, pour pouvoir s’accorder aux autres.
Document
vidéo
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Texte
de l'intervention faite par les élèves de
l'Ecole Dzukija d'Alytus, Lituanie :
I. Roberta. Ici le lycée Dzukija,
Alytus, Lituanie. Voilà les réfléxions
de 4 élèves suivies de 2 questions.
L’Union Europeenne n’a pas de de frontières
très remarquables et les gens ont toutes les possibilités
d’être en relations avec les habitants de tous
les pays de l’UE. A côté des questions
politiques et économiques, c’est la question
de la culture qui commence à dominer et devient l’objet
de débats.
Aujourd’hui je voudrais parler de la langue qui sert
de base de chaque culture. On ne dispute plus sur la nécessité
de l’anglais. Il est clair que c’est la langue
commune du monde actuel, comme c’était le cas
du latin autrefois. Mais la langue française est
digne d’occuper aussi sa place.
Moi, je voudrais défendre la langue française.
En défendant la langue française, je compte
défendre une Europe plurilingue. Le monde que nous
voulons, c’est un monde, où l’Europe
jouera un rôle majeur. Pour que l’Europe ne
verse pas dans l’anglophonie, pour que le français
y conserve son importance, nous devons défendre les
autres langues européennes comme l’allemand,
l’espagnol, l’italien et enfin le lituanien.
La force culturelle de l’Europe consiste à
sauvegarder l’éthno-culture de toutes les nations
européennes
Et maintenant je donne la parole à Rasa
II. Rasa. Chacun est désormais convaincu
de la nécessité de l’enseignement de
langues étrangères plus précoce, plus
adapté et plus diversifié. Depuis quelques
années, les initiatives se multiplient. Des écoles
primaires offrent des initiations précoces aux langues
étrangères et, hélas à l’anglais
en particulier, Au niveau supérieur, plusieurs institutions
réfléchissent à rendre obligatoire
l’enseignement de deux langues étrangères.
Cette floraison d’initiatives démontre qu’à
tous les niveaux, la décision a été
prise de mettre fin à la domination d’une seule
langue.
Mais l’Europe a des autres inquiétudes dites
inquiétudes globales. On ne peut pas oublier les
immenses mutations du monde contemporain et des grandes
aires de l’Europe orientale, du monde arabe et d’Asie.
Est-ce qu’il faudrait apprendre les langues orientales,
le chinois, l’arabe ? M.Bourgeois, permettez- moi
de vous poser la question suivante : où se situe
le français dans le cadre global des langues ?
C’est Estela qui continue notre intervention.
III. Estela : ma question concerne l’apprentissage
des trois langues étrangères.
La grande force de la proposition des trois langues étrangères
obligatoires, c’est qu’elle est totalement cohérente
avec le développement du monde actuel. Ne pas insister
sur l’anglais, c’est ignorer ce phénomène
incontournable qu’est la mondialisation. Négliger
les grandes langues européennes, c’est oublier
le devoir citoyen majeur qu’est devenu le devoir d’Europe.
Ne pas y ajouter une grande langue du monde, c’est
ignorer que notre univers s’est élargi et que
sa vraie richesse réside dans la diversité.
Je donne la parole à Zivile
IV. Zivile : Et moi, je voudrais aborder
la question de l’enseignement artistique à
l’école. Les travaux les plus récents
montrent que l’école joue un rôle mineur
dans l’accès à l’art et à
la culture.
D’abord, les programmes ne font qu’une part
minime aux arts qui se trouvent dévalorisés
de fait. L’enseignement des arts plastiques ou de
la musique occupe une place relativement secondaire. Les
matières artistiques sont situées au bas de
la hiérarchie scolaire, devant l’éducation
physique, mais loin derrière le français ou
l’anglais, les mathématiques etc. tout se passe
comme si l’institution scolaire pensait que le fait
d’être bien éduqué dans les domaines
littéraire, scientifique, etc. conduisait naturellement
à d’autres formes de culture comme le théâtre,
la peinture et la musique. Je pense que c’est n’est
pas bien. Les faits exposés entraînent une
conclusion naturelle, à savoir que ce sont les parents
qui doivent s’occuper de la culture de leurs enfants.
Et l’école bat en retraite ? Nous voudrions
entendre votre commentaire. Merci.
Nous rendons l’antenne au lycée de Sèvres.
C’est à vous. |
Lycée n° VII de Peristeri, Grèce
Emilios Politis, Professeur de français et Proviseur
Adjoint
Bonjour, à vous Sèvres,
Modène, Alytus, Brno, Banska Brynstica ! Pour ma part,
j’aborderai le thème de « L’art comme
facteur d’unification ». Les grands mouvements
artistiques qui ont sillonné le « vieux continent
», le style Roman, Gothique, le Baroque, le Romantisme,
l’impressionnisme, le réalisme, le naturalisme,
le vers libre, l’art abstrait, sont tout d’abord
des états d’esprit qui trouvent leur écho
dans maintes pays en dehors des pays qui les ont inaugurés.
Comment se peut-il que des peuples différents adoptent
avec telle facilité des styles venus d’ailleurs
? C’est une preuve à mon avis du substrat commun
de l’être européen.
Mais je voudrais insister sur le fait de la libre circulation
des personnes en me servant de la musique comme exemple. Nul
obstacle pour Domenico Scarlatti à faire carrière
en Espagne, pour Haendel en Angleterre, pour Lully (et Chopin
plus tard) en France, pas de barrière de langue, de
coutume, de mentalité, pas non plus d’esprit
corporatiste ou le sentiment d’être étranger,
intrus. L’origine, l’identité dont on parle
beaucoup aujourd’hui n’avait aucune importance
semble-t-il. L’éducation musicale aussi était
pan-européenne. Mais ayant prononcé ma thèse
je passe l’antenne à mes élèves… |
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