Conférence donnée à L'Ecole
Normale Supérieure, rue d'Ulm, le 12
dec. 2002,
Je vous remercie de m'avoir
invité et j'ai accepté avec plaisir de vous
par-ler de la manière dont le Phédon traite
de la mort, et plus j'y ai réfléchi, plus j'ai
été saisi non par d'angoisse devant la mort,
mais disons d'une certaine anxiété de-vant la
difficulté de ma tâche. Vous me demandez quelque
chose de très difficile, si, comme justement le Phédon
le dit, la mort (mais en quel sens ?) est le critère
qui permet de distinguer le vrai philosophe. Laissez moi donc
vous dire pour commencer que je suis particulièrement
heureux malgré l'épreuve à laquelle je
suis confronté, de voir que certains normaliens ont
encore vraiment le désir de philosopher, et essayons
de ne pas être trop indigne de cette exigence.
AVERTISSEMENT : PARLER EN PHILOSOPHE
DE LA MORT, C'EST DECEVOIR.
Sachez en outre, mais c'est
sans doute parce que vous le savez que vous m'avez invité,
que je ne vous apprendrai rien sur la mort ni même sur
le Phédon. Je ne crois pas dire grand chose
d'autre que ce qu'a écrit Madame Dixsaut. Mais
qui prétendra être le premier à comprendre
quelque chose à Platon ? Ainsi je ne crois pas que
Platon ait jamais eu le dessein de nous apprendre grand chose
sur la mort. Son écriture imite toujours le refus socratique
d'écrire un livre ; elle est faite pour que le lecteur,
s'il éprouve le désir de philosopher, dialogue
avec lui-même : on n'imagine pas qu'avant de mourir
Socrate ait fait quelque révélation sur l'autre
vie à ses amis et que le Phédon en soit la transcription.
Lors de son procès, So-crate avouait encore son ignorance
: il est absurde de craindre ce qu'on ignore, di-sait-il.
Je ne vois pas comment trente jours après il en aurait
su davantage sur le sort d'un homme après sa mort.
Et si Platon avait lui-même entre l'Apologie et le Phédon
changé d'avis, rien ne l'aurait empêché
de corriger le premier texte. Si donc quelqu'un parmi vous
croit qu'un professeur de philosophie peut apporter sur ce
genre de question quelque chose comme une révélation,
parce que c'est une question plus philosophique que d'autres,
ou plus grave que les autres questions qu'on peut se poser,
il sera déçu par mon propos. Et je crois que
Platon dans le Phédon fait tout ou fait tout faire
à Socrate pour décevoir ceux qui tournent autour
de la mort comme autour d'une énigme terrifiante et
pleine de sens. Les hommes en effet ont élaboré
tout une orchestration tragique de la mort, et ils croient
y voir des profondeurs infinies. Mais je ne crois pas que
figurer la vérité ou la mort par l'image de
l'abîme et du vertige soit très platonicien.
Ce serait même un contre-sens que de qualifier l'attitude
de Socrate dans le Phédon de sublime. Toute la dif-ficulté
pour nous, lecteurs, est de retrouver la simplicité
de cet homme et son refus de faire des histoires au moment
de mourir. Il va jusqu'à dire que même s'il se
trompe du tout au tout, au moins son attitude a le mérite
de le rendre supportable à ses amis en cette circonstance,
c'est-à-dire de leur éviter le cinéma
pitoyable des hommes lorsqu'ils savent qu'ils vont mourir
. Ainsi le Phédon est d'abord un grand paradoxe : c'est
le récit d'une mort qui n'émeut en rien celui
qui doit mourir et l'émotion que nous pouvons ressentir
vient des amis de Socrate et de nous-mêmes, qui ne sommes
pas assez philosophes, non de l'attitude et du discours de
Socrate. Socrate est totalement étranger au tragique
et ses derniers mots sont une boutade. Bossuet profite de
la terreur que la mort inspire pour nous rappeler au néant
de notre condition ; d'autres considèrent qu'il est
essentiel à la pensée en tant que pensée
- je cite un commentateur de Heidegger
- de " se livrer sans ré-serve à l'épouvante
qu'elle [la mort] suscite et d'accepter de demeurer constam-ment
sous son emprise ". Le Socrate du Phédon,
comparé à cela, fait preuve d'une grande désinvolture
et il paraîtra plat. Il y a sans doute là deux
idées fort différen-tes de la pensée.
POURQUOI SOCRATE ACCEPTE-T-IL DE REPONDRE
AUX HOMMES QUI ONT PEUR DE LA MORT ?
LA NEGATION DE L'APPROCHE RELIGIEUSE DE LA MORT.
On entend en effet par mort
au sens ordinaire du terme, le décès d'un homme
et ce qui advient ensuite : l'insensibilité, l'absence
de conscience et de vie du cadavre, et Socrate n'en parle
d'abord que pour répondre aux questions qui lui sont
posées par Cébès et Simmias qui veulent
savoir quelles raisons peuvent déli-vrer de la crainte
de la mort, et comment répondre à ceux qui se
représentent la philosophie comme étant la mort
ainsi entendue. S'il est vrai que non seulement Socrate n'a
pas peur de la mort, mais que le Phédon n'est pas une
méditation de la mort, c'est-à-dire une confrontation
de la conscience au néant de la mort, pour-quoi accepter
de répondre aux hommes qui ont peur de la mort ? Socrate
répon-dant à la demande de ses amis, il faut
comprendre que Platon accorde une grande importance à
la nécessité de vaincre cette peur et donc voir
tout ce que cette peur implique. Et pourquoi Platon prend-il
au sérieux la caricature des philosophes qui les représente
déjà morts, insensibles comme la pierre (comme
le dit Calliclès dans le Gorgias en 493a), incapables
de vivre ? Nous verrons qu'il reprend à son compte
cette caricature et, sans y toucher, lui fait représenter
la vérité de la philo-sophie. Je crois donc
que Montaigne ne s'y est pas trompé, lorsque, à
sa manière il est vrai, poursuivant l'exigence socratique
à partir du stoïcisme et de l'épicurisme,
mais aussi à partir de Platon, il propose pour toute
philosophie de la mort de vain-cre non pas la mort (ce serait
un contresens total que de dire que Socrate a triom-phé
de la mort !), mais la peur de la mort. Il a besoin pour y
parvenir d'une ruse qui prouve seulement qu'il n'a pas la
sagesse de Socrate : mais n'est-ce pas juste-ment le propos
des Essais que d'oser montrer aussi les faiblesses d'un homme
? L'enjeu est considérable, et dépasse le cadre
d'une interprétation scolastique des textes, s'il est
vrai qu'une certaine complaisance au tragique de la mort débouche
nécessairement sur l'esclavage d'esprit.
La mort est objet de terreur,
d'horreur ; c'est pourquoi elle donne lieu à toute
une mythologie, avec ses rites funèbres et aussi ses
superstitions - c'est bien la peur qui fait les superstitions.
Le paratonnerre inventé, les superstitions liées
au tonnerre s'estompent. Chasser les poètes, les tragiques,
tout ce qui nous apprend à pleurer et à ressentir
la pitié, c'est encore vaincre la peur de la mort.
Cette image tragique de la mort est partout présente
non pas seulement sur la scène des théâ-tres
mais dans l'histoire, sur la scène de la politique
: exécutions publiques ou non, massacres auxquels les
hommes ont coutume de s'adonner pour imposer leurs vues, satisfaire
leurs ambitions, etc. Sans la crainte de la mort, ni gesticula-tion
militaire, ni guerre. Sans cette crainte, aucune menace ne
peut plus porter. Ainsi la peur de la mort est partout présente
dans la vie des hommes et des cités. Telle est peut-être
la vérité de Hobbes. Mais ce qu'on appelle depuis
lors le pou-voir ne peut rien contre Socrate. Socrate est
libre même sous les Trente et ne va pas arrêter
Léon de Salamine (Apologie 32c) . Otez donc la peur
de la mort, et la tragédie de l'histoire humaine disparaît,
nul n'est plus soumis au tyran, le tyran est désarmé,
impuissant : le stoïcisme développera cette vérité.
Montaigne sait que ce-lui qui ne craint pas la mort est un
homme libre, libre à l'égard des pouvoirs quels
qu'ils soient. " La préméditation de la
mort est préméditation de la liberté.
Qui a appris à mourir, il a désappris à
servir ". Ces derniers mots sont sans doute un souvenir
de Sénèque, qui à la fin de la 26°
lettre à Lucilius commente Epicure , qui lui-même
disait : " exerce-toi à mourir ". Quelles
que soient les différences es-sentielles entre épicuriens
et stoïciens, ou entre eux et Platon, il y a là
une exi-gence commune qui est socratique : le contresens littéral
sur la formule du Phé-don, " philosopher, c'est
s'exercer à mourir ", n'est pas sans vérité.
Qu'est-ce en effet qu'une âme
déliée du corps ? Qu'est-ce que le Phédon
appelle un homme déjà mort ? C'est par exemple
un homme délivré de la pression sociale (la
société athénienne en veut à Socrate
de l'avoir désarmée). Qu'est-ce au contraire
que l'amoureux du corps, le philosomatos ? Celui qui a l'âme
chevillée au corps, qui l'y a bien enfoncée
comme on enfonce bien un clou (car Platon ne dit pas que notre
âme a été clouée par le sort ou
la nature à notre corps mais que celui qui l'a ainsi
enfoncée est, par ses épithumiai, par l'appétit,
cause de son em-prisonnement : il tient à son corps),
un tel homme est lié aux autres hommes, qui peuvent
lui donner ce que son amour réclame. Ainsi nous-mêmes,
qui à l'instant n'avons pas peur d'être massacrés
ou mis en prison, vivant dans des pays libres en un sens,
nous sommes soumis à la pression sociale ; nous sommes
aussi attachés à notre confort, à notre
chauffage, par exemple, donc à notre pétrole
: considérons à partir de là chacun nos
jugements politiques et demandons-nous si nous jugeons en
philosomatos ou en philosophos ! Qui parmi nous n'est pas
prisonnier de ses petits plaisirs d'universitaire embourgeoisé,
sinon des salons, des amitiés faites dans les congrès
ou dans les couloirs d'un lycée, etc. ?
Le vrai courage apparaît
alors. Ce n'est pas le courage apparent (68d) d'un homme qui
meurt pour sauver tout ce qui en lui est mortel, tout ce à
quoi son amour du corps lui fait tenir : ses biens, la cité
dont le Théétète dit que seul le corps
du sage y a localisation et séjour (173 c). Car ce
courage peut n'être fondé que sur la peur de
la mort. Le vrai courage, c'est le courage de penser selon
la pensée et non selon le corps et le monde qui l'entoure.
Selon la vérité et non selon les passions, qui
toutes en un sens se résolvent en peur de la mort :
je reviendrai tout à l'heure sur la peur panique qu'éprouve
le courageux Calliclès de ne plus ressentir de passion,
Calliclès le plus profond des personnages de Platon.
Nous verrons aussi que le propos de Socrate ne débouche
nullement sur l'ascétisme, d'autant que le courage
ne consiste pas à lutter contre les appétits,
mais à se laisser emporter par un autre désir,
celui de comprendre. L'amour de la vérité.
Cébès et Simmias
sont au-dessus de la crainte ordinaire et ils ont si bien
compris Socrate qu'ils lui demandent de leur donner avant
de mourir toutes les raisons qui permettent de faire taire
la crainte enfantine (77 d e) qui tenaille tout homme. Ils
voient que Socrate est absolument libre : il est libre comme
on le voit à son attitude ce jour là, puisque
l'urgence de la mort, principe de toute urgence, ne trouble
pas son loisir. Otez l'obsession de la mort, vous changez
le sens du temps. La crainte et l'espérance creusent
le temps et nous jettent hors de nous-mêmes. La pensée
et la pratique aussi bien épicuriennes que stoïciennes
du pré-sent me paraissent fidèles à l'exigence
socratique.
Ses amis demandent à
Socrate de bien faire comprendre en quoi consiste la libération
de l'âme de la peur de la mort, et Platon prend le temps
de développer la réponse parce que cette crainte
est le fond de toutes nos lâchetés (et en effet,
si nous n'avions pas peur de la mort, connaîtrions-nous
la moindre peur ?) et de no-tre lâcheté initiale,
première, essentielle, le refus de penser vraiment.
Seulement penser suppose que nous ne nous laissions pas séduire
par les poètes. Leurs fables font pleurer, elles nous
accoutument à la pitié et donc à la mollesse,
à la lâcheté. Platon veut conjurer tout
ce qu'il y a d'affectif et de poétique dans les propos
que les hommes tiennent sur la mort. C'est d'abord une question
de courage intellec-tuel : savoir ce qu'on dit, comprendre
au lieu de se laisser emporter par des dis-cours pathétiques,
toujours applaudis, comme le remarque le Prométhée
d'Eschyle , s'adressant à Io avant qu'elle raconte
son horrible histoire : " pleurer sur ses maux quand
on risque d'obtenir des pleurs de qui vous écoute mérite
le temps qu'on s'y donne ". Et peut-être les fables
platoniciennes ne sont-elles que l'incantation par laquelle
le philosophe s'assure de ne pas s'abandonner à la
peur enfantine, puérile, de la mort. La mythologie
ordinaire nous enferme dans l'enfance, les mythes platoniciens
nous en libèrent.
Chasser Xanthippe, chasser
les poètes, les tragiques, c'est refuser les fables
que les hommes se racontent dans leur ignorance, et qui sont
l'expression de leur crainte : les croyances religieuses,
certaines subtilités des métaphysiciens, l'ontologie
peut-être, voilà les divers prolongements de
leur épouvante. Socrate récuse ce qu'on entend
généralement par l'approche religieuse de la
mort. Je prends donc le risque de paraître tirer Platon
du côté d'Epicure et de Lucrèce. Mais
enfin le Phédon comparé aux discours des prédicateurs
chrétiens et des prê-tres de toute nature doit
paraître étrange, et plus étrange encore
le fait qu'il ait pa-ru préparer au christianisme.
La méditation religieuse de la mort est rhétorique,
et Socrate prend soin de faire disparaître tout le théâtre
que les hommes ont toujours soigneusement organisé
autour de l'événement. Difficulté majeure,
s'il est vrai que ce rapport religieux à la mort caractérise
l'humanité : lorsque près de fossiles, on trouve
des outils, on n'est pas encore absolument sûr d'avoir
des hommes, mais s'il y a la trace de rites funéraires,
on peut l'affirmer. A moins d'admettre que l'homme se distingue
alors des autres bêtes par la trace d'une illusion.
Il y a donc là un premier paradoxe, particulièrement
visible dans le désintérêt total de Socrate
pour ses obsèques et le sort de son cadavre, et une
plaisanterie de plus - ensevelissez moi comme vous voulez
" à condition que vous réussissiez à
m'attraper et que je ne vous échappe pas " , et
en effet ce cadavre ne sera pas So-crate. Ainsi la cérémonie
se fera selon l'usage, parce que c'est l'usage et non parce
que c'est sacré. Il n'est pas étonnant que les
athéniens aient cru que Socrate mettait en cause la
religion de la cité et corrompait la jeunesse. Son
procès et sa condamnation ne sont pas une erreur contingente.
Sa défense devait le perdre puisque sa désinvolture
devant l'éventualité d'une condamnation à
mort ne pou-vait passer que pour un défi. Que peut
la cité sur un homme qui se moque complè-tement
de mourir ? Que peuvent les prêtres sur un homme qui
avant de mourir ne craint rien ? Socrate, dans le Phédon,
ne confesse aucune faute, non parce qu'il aurait la prétention
d'être un saint, mais parce qu'il sait qu'il a pris
le meilleur par-ti, qui est de philosopher, et que même
sa disparition absolue n'y changerait rien. La mort révèle
à certains la vanité des choses humaines, des
richesses, des hon-neurs, et au moment de mourir ils regrettent
d'avoir pris le mauvais parti. Sentant la mort venir, il leur
arrive de se retirer du monde et de ses vanités. Socrate
n'a rien à regretter, il n'a pas eu à faire
retraite pour suivre le parti de la pensée. Il n'a
pas eu besoin de l'image de la mort comme anéantissement
pour savoir que les hommes appellent valeurs de faux biens.
Il n'a pas eu besoin de penser la mort pour distinguer la
réalité et l'apparence.
Je vais donc me contenter de
reprendre quelques paradoxes platoniciens. Car tout est paradoxe
ici, et par exemple la fable d'un au-delà de la vie
humaine qui est lumière, contrairement aux enfers de
la mythologie grecque qui sont fort sombres : le peur de la
mort, c'est la peur de ne plus voir la lumière ; or
justement cette lumière attique n'est rien à
côté de ce que verra (et voit déjà
!) le philosophe une fois mort, parvenu dans un monde à
côté duquel la Méditerranée n'est
qu'une mare couverte de brouillard. Lorsque Socrate raconte
une histoire, il ne cesse pas d'être ironique.
AUTRES PARADOXES
Socrate à la question
Autre paradoxe. D'abord le rôle des protagonistes
est inversé, puisque ce sont Cébès et
Simmias qui interrogent Socrate ; et lui-même s'en amuse
puisqu'il leur dit qu'il va devoir faire une seconde fois
son apologie. Exiger d'un ami qui meure sans s'en plaindre
qu'il s'explique sur son attitude pourrait paraître
pervers. Certes de braves confesseurs comme celui qui était
chargé d'obtenir de Montes-quieu qu'il renie L'esprit
des lois ne se priveront pas de ce genre de harcèlement
moral. Cébès et Simmias sont donc gênés
et hésitent à interroger encore Socrate qui
leur répond qu'ils peuvent l'interroger sans crainte,
car il n'est pas le moins du monde malheureux, et que son
dernier dialogue sera le chant du cygne ; et, nou-veau renversement,
nouveau paradoxe, le chant du cygne est le chant de joie de
l'oiseau d'Apollon qui sait quels biens il trouvera chez Hadès
(85 b). Etre platoni-cien, c'est ne pas admettre avec les
poètes que les chants désespérés
soient les plus beaux. Dans la manière dont Socrate
est invité à s'expliquer et dans la joie qu'il
y met, il y a donc quelque chose de tout à fait invraisemblable,
et par là le Phédon est bien le contraire d'une
pièce de théâtre. Mieux, à la fin
du dialogue, Socrate reprend son rôle ! Au moment où
il semble qu'on ait une démonstration de l'immortalité
de l'âme qui convainc Cébès et Simmias,
c'est Socrate qui distin-gue immortalité et indestructibilité
et par là même rend manifeste que rien n'a permis
jusqu'ici de prouver que la mort n'est pas l'anéantisse-ment
de l'âme .
Sens béotien et sens
socratique du zèle à mourir
Passons au plus célèbre
paradoxe du Phédon : à l'assimilation
de la philosophie et de la mort. Les béotiens compatriotes
de Cébès et Simmias, comme Calliclès,
rient de la vie de mort que les philosophes ont choisie. Vivre
en philosophe serait pour eux d'un ennui mortel. Or Socrate
parle comme s'il leur donnait rai-son. A Evénos qui
la veille demandait à Cébès pourquoi
Socrate s'était mis en pri-son à écrire
des fables (60 d), Socrate fait répondre : " dis-lui
que s'il veut se montrer sage il doit se mettre à ma
poursuite le plus vite possible " (61 b). Sim-mias voudrait
bien comprendre le sens de cette plaisanterie, et Socrate
alors assi-mile philosophie et mort, et en 63 e-64 a, lorsque
Socrate dit que s'appliquer droi-tement à la philosophie,
c'est ne rien faire d'autre que s'appliquer à mourir
et à être mort, Simmias ne peut pas s'empêcher
de rire : il voit là une nouvelle plaisan-terie. Or
n'a-t-il pas raison ? Et il est vrai aussi que c'est la plus
sérieuse des défi-nitions de la philosophie
!
Réfléchissons sur le double sens de cette formule.
Ce mot a en effet un sens "
béotien ", pour parler comme Simmias. Pour le
béotien qui sommeille ou plutôt s'agite en tout
homme, la vie ainsi entendue comme mort est méritée
: les philosophes ne sont pas dignes de vivre. Et Socrate
au lieu de s'opposer à ce discours béotien,
le reprend littéralement, il n'en change pas un mot,
mais dit que les béotiens le tiennent sans savoir son
vrai sens. Le dia-logue opère donc la subversion du
sens, mais c'est sans transformer la formula-tion : il parvient
à renverser la compréhension qu'on a des mêmes
mots. Sans tou-cher la lettre, Socrate change l'esprit. Ce
travail est éminemment platonicien. Pla-ton sait que
changer la lettre ne sert à rien et que le discours
le plus vrai peut être compris de travers. Aussi lui
suffit-il de donner une interprétation vraie du dis-cours
des non philosophes, des ennemis de la philosophie, discours
des philoso-matoi. Jamais en effet aucune formulation parlée
ou écrite ne dispensera personne de penser et n'évitera
par conséquent à quiconque se tromper. On ne
saurait ima-giner qu'un jour un livre dira la vérité
de telle façon qu'il suffirait de savoir dé-chiffrer
les caractères pour ne plus jamais se méprendre
! Ainsi le plus fort des pa-radoxes n'est pas de dire le contraire
de l'opinion mais de donner à penser le contraire en
disant littéralement la même chose. Socrate reprend
les mêmes termes que les philosomatoi, mais en sens
inverse ! De telle sorte qu'extérieurement, dans les
mots, il n'y a pas plus de différence entre le philosomatos
et le philosophos, qu'entre la vertu apparente et la vertu
réelle, entre la tempérance de la plupart et
celle de Socrate, par exemple. L'ironie suprême de Socrate
a consisté à vivre comme tout le monde, selon
les usages : Diogène est moins gênant et moins
dan-gereux que Socrate.
Il est vrai que cette façon
d'écrire est un piège pour le lecteur, et Platon
le savait, il le voulait. Par exemple, en 64c 65 b (GF 213-214),
Socrate en rajoute, comme on dit : il soutient, en bonne part
cette fois, exactement ce que les béotiens disaient,
mais à charge. Le lecteur risque donc de se précipiter
et de comprendre qu'il faut être insensible comme les
pierres et se priver de tout plaisir. Une fois le sens béotien
rejeté, reste une lettre que certains comprendront
comme le refus as-cétique du corps : toute une interprétation
ascétique du dialogue traversera l'histoire de la philosophie
et proposera un platonisme qui mérite les sarcasmes
de Calliclès. Or n'est-ce pas la preuve que l'ascétisme
est faux, puisque cela révèle que les porcs
de Béotie et les ascètes ont la même idée
du corps et de la vie hu-maine, les uns pour s'y vautrer,
les autres pour l'abhorrer ? Lorsqu'au contraire Alain dit
que l'âme, c'est le refus du corps, il n'envisage pas
un refus de vivre dans son corps ; mais par exemple le courage,
qui consiste, au lieu de trembler, à lutter, c'est
le courage de combattre : ce qui suppose maîtrise du
corps et gymnas-tique - comme on voit dans La république
: le refus philosophique du corps et la gymnastique, c'est
la même chose , pourvu toutefois qu'on ne confonde pas
la gymnastique et le body-b(u)ilding.
Les revenants
Et donc selon le même principe
qui consiste à donner aux formules les plus communes
un nouveau sens, il est possible en 64 b de partir de la définition
la plus commune de la mort, la séparation de l'âme
et du corps, celle qui fait peur aux enfants qui croient que
l'âme va en conséquence se disperser comme un
vent, surtout ajoute Socrate, si on a la malchance de mourir
par grand vent. (77 d e, GF 238) Apollodore doit rire très
fort à ce moment là. D'où cette fois
une nouvelle sorte de paradoxe, la reprise à la limite
du comique de la croyance aux revenants, avec une désinvolture
totale (81 c) : les fantômes sont pour les grecs des
âmes qui, parce qu'on ne leur a pas rendu les honneurs
qui leur sont dus, ne peuvent séjour-ner dans l'Hadès
et tournent autour des tombeaux jusqu'à ce qu'ont les
honore . Que devient cette superstition transformée
par Socrate en conte philosophique ? Les âme impures,
alourdies par leur corps parce qu'elles s'y sont trop attachées,
parce qu'elles y tiennent trop, comme je l'ai déjà
dit, font de leur corps un tom-beau. Car c'est nous qui faisons
du corps un tombeau, comme Calliclès : lorsque dans
le Gorgias Socrate reprend un poète sicilien qui aurait
prétendu que le corps est un tombeau, soma-sèma,
il s'agit du corps gorgé de vin dont il vient d'être
question dans le dialogue : son corps est en effet pour l'ivrogne
un tom-beau, non le corps de Socrate pour Socrate. Ainsi les
âmes des méchants ne par-viennent pas à
mourir, à rester dans l'Hadès, elles errent
à la recherche d'un corps, dévorées par
leur appétit, leur désir : âmes sans corps
donc, mais avec des épithu-miai, comme dans la tripartition
de l'âme de La République, ce qui veut dire en
ef-fet que l'âme qui a une partie irrationnelle et que
le corps n'est pas ce qui par sa nature de corps la souille
d'irrationalité (de même chez Descartes la finitude
n'est pas mise sur le compte du corps mais de la disproportion
de la volonté et de l'entendement qui ne lui doit rien,
disproportion qui est aussi bien la temporalité, laquelle
est de l'âme d'abord et comprise comme telle bien avant
que la dernière Méditation retrouve le corps).
L'irrationnel, ce n'est pas le corps, c'est l'appétit
d'avoir un corps (82 e). Donc les âmes des méchants
errent à la recherche d'un corps et finissent par en
retrouver un qui leur convient, un corps qui leur ressem-ble
: et du coup la fable de la métempsycose donne à
penser cet emprisonnement de l'âme du méchant
dans son corps. Seule l'âme du sage ne retrouvera pas
un corps ! Là encore, on voit que les béotiens
ne risquent pas d'être satisfaits du dis-cours de Socrate
qui promet la réincarnation aux pires des hommes et
la " mort " aux seuls philosophes, justement parce
qu'ils sont déjà morts ! Le discours de So-crate
n'est pas fait pour rassurer qui n'est pas philosophe, et
c'est en ce sens aussi qu'il exprime bien " l'opinion
des philosophes " : seul celui qui a pris le parti de
la pensée peut l'admettre.
Le paradoxe est poussé
très loin par Platon. L'âme amoureuse du savoir,
philosophe, s'élève et s'élèvera
vers les formes immuables, l'âme folle de son corps
s'alourdit et s'alourdira - selon la métaphore de la
pesanteur et de la chute que reprennent partout chez Platon
les mythes de l'âme. Cébès et Simmias
atten-dent sans doute une conclusion formelle concernant l'immortalité
entendue comme indissolubilité. Or Socrate envisage
une alternative : le sort de l'âme n'est pas le même
selon qu'elle a aimé la vérité ou aimé
son corps - alternative qui est celle du philosophos et du
philosomatos. L'âme du premier s'éternise, celle
du se-cond se somatise pour ainsi dire : somatiser, en français,
c'est traduire un sens en mouvement du corps, c'est vivre
dans son corps une pensée qu'on ne supporte pas. Ici,
je dis somatiser pour indiquer qu'un homme a le corps de ses
pensées, et c'est la nature de ses pensées qui
fait qu'une âme s'incorpore pour ainsi dire dans tel
corps. Son corps devient une prison, mais du coup cesse d'être
un corps d'homme ! Il sera loup ou hyène
Telle
est la métempsycose, dont beaucoup ont remarqué
que c'est plutôt une métemsomatose. Voilà
pourquoi nous ne croyons pas qu'il s'agisse ici d'un reste
de croyance archaïque dans un texte vieux de plus de
deux mille trois cents ans. La question n'est donc plus premièrement
celle de la durée de la vie mais de la nature de la
vie que l'âme choisit de mener. Le philoso-matos vit
comme une momie . Il se soucie de son corps, et, sorte d'hypocondriaque,
il oublie de prendre soin de son âme : l'alternative
oppose s'exercer à mourir ou à être mort
(cet exercice est la pensée comme déliaison),
et être obsédé de son corps - Platon utilisant
dans les deux cas le terme de mélétè
(81 c). Seuls les philosophes n'auront pas à se réincorporer,
seuls les autres hommes pourront revivre dans un corps, et
alors, c'est le cas de dire, ils auront le sort qu'ils méritent.
Ainsi je comprends de mieux en mieux pourquoi Apollodore pou-vait
rire aussi fort qu'il pleurait (59 a). Peut-être n'était-il
pas si stupide qu'il en a la réputation (note 17 GF)
! Une légère inflexion, et le propos de Socrate
se trans-forme en canular. Je n'ai pas eu le temps de noter
tous les passages du Phédon où l'on peut présumer
qu'Apollodore s'esclaffe, mais il faudrait le faire.
Le vraisemblable et le certain
Ainsi l'élucidation de la plaisanterie de Socrate
saluant Evénos et du célè-bre mot, "
philosopher, c'est s'exercer à mourir et à être
mort ", consiste dans la formulation d'une alternative
: les âmes des meilleurs des hommes et les âmes
des pires des hommes n'ont pas le même sort. Cette alternative
à elle seule signifie que le sort de l'âme n'est
pas celui d'une chose et dépend seulement de ce qu'elle
fait d'elle-même. Cela mériterait un long développement.
Nous voyons que nous sommes très loin d'une psychologie
rationnelle ! La question n'est pas de savoir si l'âme
comme substance subsiste, elle est seulement pour chacun de
savoir com-ment penser et vivre. Prendre soin de son âme,
ce n'est donc pas la préparer à une autre vie,
c'est en cette vie chercher à comprendre.
Notons à propos de cette
histoire de fantômes qu'en 81 d, on trouve une distinction
très claire entre le vraisemblable et le certain :
la destinée de l'âme qui tourne autour des tombes,
c'est vraisemblable, que de telles âmes ne soient pas
celles d'hommes de bien, ce n'est pas seulement vraisemblable
! Le sort de l'âme après la mort n'a rien de
certain, ce que nous avons à faire aujourd'hui l'est
tota-lement. Que philosopher, c'est prendre le meilleur parti,
c'est certain : les formes ne décevront jamais. Qu'une
fois morts nous continuerons d'être ainsi en relation
avec le divin, c'est seulement vraisemblable. La seule chose
certaine est que nous aurons de toute façon le sort
que nous permet d'avoir notre choix, c'est-à-dire no-tre
pensée. Que l'âme soit indestructible ou non
ne change donc rien à l'essentiel.
Paradoxe du portrait du
philosophe
On trouve dans le portrait que le Théétète
propose du philosophe la même manière de prendre
au mot le discours du refus de la philosophie. Il suffit de
décrire le philosophe tel que le voit la servante Thrace,
et la caricature devient la vérité. Il est aisé
de lire une première fois ce portrait en philosomatos
comme le font certains brillants poètes hellénistes
qui en veulent à Platon d'avoir chassé Homère
de sa République.
" Dès leur jeunesse,
ce que, tout d'abord, ils [les philosophes] ignorent, c'est
quelle route mène à la place publique, à
quel endroit se trouvent et le tribunal et la salle du conseil
et toutes autres salles de délibération commune
dans la cité. Les lois, les décisions, leurs
débats ou leur rédaction en décrets,
ils n'en ont ni le spectacle ni l'écho
"
Il est bien connu que le philosophe
est coupé du monde, du concret. La suite est plus difficile
à lire comme une caricature pour nous, mais sans doute
n'était-ce pas le cas pour un athénien aisé
du IV° siècle, puisque toute sa vie s'y trouve
niée :
" Les brigues des hétairies
à l'assaut des magistratures, les réunions,
fes-tins, parties agrémentées de joueuses de
flûte, ils ne songent même pas en rêves
à y prendre part. Ce qui est arrivé de bien
ou de mal dans la ville, la tare qu'à celui-ci ont
transmise ses ancêtres, hommes ou femmes, le philosophe
n'en a nul soup-çon, pas plus, dit le proverbe, que
du nombre de tonnelets que remplirait la mer. Et qu'il ignore
tout cela, lui-même ne le sait point ; car, s'il s'en
abstient, ce n'est point par gloriole : c'est qu'en réalité
son corps seul a, dans la ville, localisation et séjour
".
Le philosophe a quitté
le monde des hommes, il a fui, il est bien mort comme le croient
les béotiens dont parle Simmias ! Nous retrouvons donc
la mort du Phédon. La suite est particulièrement
célèbre :
" Ainsi Thalès
observait les astres, Théodore, et, le regard aux cieux,
venait choir dans le puits. Quelque Thrace, accorte et plaisante
soubrette, de le railler, ce dit-on, de son zèle à
savoir ce qui se passe au ciel, lui qui ne savait voir ce
qu'il avait devant lui, à ses pieds. Cette raillerie
vaut contre tous ceux qui passent leur vie à philosopher.
Socrate ici reprend en un sens
à son compte la plaisanterie. Mais il est déjà
clair que tout est renversé : ainsi Calliclès
l'aristocrate, et la servante sont du même côté.
La distinction sociale du maître et de l'esclave est
niée, comme celle des athéniens et des béotiens,
puisque c'est bien la même pensée qui les anime.
On ne dira jamais assez à quel point Platon est libre
à l'égard des préjugés sociaux
de son temps, et la page suivante rappel qu'il est imprudent
de faire la généalogie de sa famille : on y
trouvera un esclave ou un tyran. Mais poursuivons la lecture
:
" C'est que, réellement,
un tel être ne connaît ni proche ni voisin, ne
sait ni ce que fait celui-ci, ni même s'il est homme
ou s'il appartient à quelque autre bé-tail.
"
Cette fois l'absence du philosophe
au monde n'est plus seulement ridicule, elle devient inadmissible
: de quel droit faire preuve d'un tel mépris à
l'égard de ses voisins, de ses compatriotes (c'est
ce que Anytos menaçant reproche par exemple à
Socrate à la fin du Ménon).
Platon pousse ici délibérément
son propos jusqu'à la contradiction : de ce-lui qui
ne sait pas si son voisin est homme ou bête, et de lui
seul on peut dire : "
Qu'est-ce que l'homme, par
quoi une telle nature se doit distinguer des autres en son
activité ou sa passivité propres, voilà
quelle est sa recherche et l'in-vestigation à laquelle
il consacre ses peines. "
Je laisse tout ce qui concerne
le renversement du proche et du lointain.
La suite oppose le philosophe
et le sophiste, l'homme de la pensée et le pragmatique
sans scrupule : le jeu des contrastes alors aide à
comprendre. Si en effet nous reprenons la lecture des mêmes
mots en nous souvenant de la vie affai-rée du sophiste
qui contrairement à Socrate gagne ses procès,
nous concevons que la maladresse de Socrate est plus grande
encore que celle de Thalès ; qu'il n'a pas voulu vivre
selon l'opinion profitable, mais selon la justice. Alors nous
voyons ce qui distingue l'affairisme de l'un, si je puis traduire
ainsi ascholia, et le loisir de l'autre. Le loisir socratique
consiste à penser et vivre selon la pensée,
selon la vérité, et non selon ce que les circonstances
nous font considérer comme notre intérêt
: le corps est pour la pensée un concours de circonstances,
si je puis hasarder ce libre commentaire. Vivre selon la pensée
et non selon le corps, c'est ne pas faire des exigences du
corps le principe de notre existence - pour Socrate, ne pas
fuir vers Mégare ou la Béotie comme s'il n'était
qu'os, tendons et muscles, comme s'il se réduisait
à son corps.
D'un côté le sophiste
maître de la caverne, roi au royaume des ombres, de
l'autre le philosophe qui ne s'intéresse qu'à
la réalité et qui en effet est absent du monde
des sophistes et de l'opinion, d'une absence qui n'est donc
pas seulement apparente. En ce sens la caricature qui représente
l'absence du philosophe au monde est vraie de part en part
et c'est au lecteur d'accommoder pour ainsi dire et de voir
clair.
Une remarque. Il est permis
de s'étonner que des rapports de concours concernant
des épreuves de philosophie reprochent aux étudiants
de n'être pas au courant de ce qu'on appelle l'actualité.
Je ne dis pas que leur ignorance soit tou-jours la preuve
d'un tempérament philosophique, mais il est certain
que l'obsession de la modernité, c'est la peur de la
mort.
SOCRATE Et CALLICLES
Pour mieux comprendre, suivons
non plus le Phédon, mais le Gorgias, où
l'opposition de Socrate à Polos et surtout à
Calliclès porte aussi sur le rapport à la mort
: éviter la mort n'est pas une fin en soi, mourir assassiné,
mourir plutôt que d'être injuste n'est pas honteux
, voilà une certitude qui vaut à Socrate le
mépris des deux élèves de Gorgias. Calliclès,
après Polos, revient sur le pouvoir qu'a le tyran de
tuer qui il veut et Socrate, agacé par ce refrain ,
montre qu'au fond Cal-liclès est obsédé
à l'idée de vivre le plus longtemps possible
(511b) et qu'il devrait admirer au moins autant que les tyrans
les maîtres nageurs, les pilotes de bateau et tous ceux
qui sauvent des vies humaines. Ce n'est pas une caricature
du noble athénien, mais la mise en lumière de
ce qui finalement détermine ses choix et ses propos
: la peur de la mort. L'ambition se réduit à
la peur de la mort. Hobbes a bien compris le lien de l'ambition
et de la crainte de la mort. Si en effet - je para-phrase
Hobbes - les plus puissants, par exemple les rois, sont plus
soucieux que les autres d'accroître leur pouvoir, ce
n'est pas par l'espérance d'un plaisir plus intense,
mais par la crainte que leur pouvoir ne soit pas suffisant
. La conscience de leur insécurité se résout
finalement en crainte de la mort : voilà leur seul
mo-bile. Le pouvoir n'est que ce qui permet d'échapper
à la souffrance et à la mort et d'infliger souffrance
et mort aux autres pour se défendre. Ainsi le tyran
dont Cal-liclès, modèle de l'homme puissant
et valeureux, rêve, a le pouvoir de tuer et de dépouiller
les hommes de leurs biens et celui de garder saufs les biens
et la vie de ses amis comme les siens. Il n'a de pouvoir que
par la peur de la mort qu'éprouvent ses victimes et
ne veut le pouvoir que parce qu'il éprouve la même
peur : lui-même voudrait-il à un tel pouvoir
s'il n'avait pas la même façon de pen-ser ? En
ce sens il est faux que le maître soit plus que l'esclave
parce qu'il a su af-fronter la mort.
Calliclès refuserait
d'admettre qu'il est mu par un mobile aussi bas, et il est
vrai que sa prétention aristocratique ne se réduit
pas à la crainte. Il méprise les im-puissants,
qui se laissent massacrer avec leurs enfants, leur femme et
leurs amis, les minables qu'on peut dépouiller impunément.
Il oppose inlassablement la fai-blesse et l'incapacité
de Socrate et des justes, qui est vile, à la force
et à la gran-deur du tyran, qui est noble. Il ne veut
pas être réduit en esclavage (486b, Polos 466b
sqq. , 509 d e). Socrate sera impuissant le jour où
l'on requerra contre lui la peine de mort (486c) et cette
impuissance est indigne d'un homme vraiment homme. Calliclès
est scandalisé qu'on se laisse ainsi massacrer ou spolier.
Il se révolte. Mais précisément Socrate
ne se révolte pas d'être victime d'une injustice,
parce qu'il sait que cette révolte est irrationnelle
et que la vraie noblesse n'est pas de sauver à tout
prix sa vie et celle des autres. La question porte dans le
Gorgias sur ce qui est vraiment honteux ou au contraire ce
qui est vraiment noble. Calliclès est la passion de
la valeur, au sens le plus fort du terme, au sens cornélien
si l'on veut. Que les pires des hommes puissent assassiner
un homme juste sans que ce-lui-ci se défende, il ne
le supporte pas. C'est par indignation qu'il prend le parti
des tyrans ! Non pas pour dépouiller et tuer, mais
pour que celui qui a le pouvoir de tuer et de dépouiller
soit un homme comme lui, de véritable noblesse. Il
veut que la force et la valeur soient réunies et c'est
là son illusion. C'est ce point qu'ALAIN a parfaitement
compris : Calliclès voudrait que les coups du sort
frap-pent les hommes à proportion de leur valeur, il
veut une providence immanente, il veut qu'il y ait proportion
entre la noblesse et le pouvoir. Or cela, Socrate ne l'exige
pas. Calliclès s'indigne que l'homme de bien soit massacré
et ne sache pas se défendre. Que le juste ne puisse
s'opposer à la mort. La dimension eschatologi-que de
cette revendication est au contraire absente des mythes eschatologiques
de Platon ! Donc, que nous soyons mortels, cela veut dire
qu'il n'y a pas de rapport nécessaire entre les événements
du monde et la justice, entre le sort d'un homme et sa valeur
intrinsèque, entre nos conditions extérieures
d'existence, humaines et non divines, et la justice. Et il
n'y aura demain ni sur terre ni dans quelque autre monde une
vie où ces deux termes seraient réconciliés.
Un monde où Socrate se-rait roi est impossible, telle
est la leçon de Platon et particulièrement de
La répu-blique. Je comprends les fables platoniciennes
comme Alain.
Le crucifié
Peut-être faut-il aller plus loin encore dans le
paradoxe pour faire com-prendre que lire Platon nous éloigne
d'une représentation du platonisme assez commune et
assez chrétienne, et je vais prendre ici le risque
de choquer. Nul de toute façon n'est forcé de
prendre au sérieux une analyse philosophique et comme
Calliclès il est permis de n'y voir qu'un entraînement
pour jeunes gens aisés.
Donc Socrate jamais ne se plaint
d'être un juste victime du pouvoir ou du peuple (mais
c'est ici la même chose). Sans doute n'ignore-t-il pas
le sens de la condamnation qui le frappe. Mais a plusieurs
reprises, et pas seulement avec le Criton ou le Phédon,
Platon a tenu à nous faire voir que Socrate se moque
com-plètement de ce qui lui arrive et ne se révolte
pas contre le fait qu'un homme juste soit maltraité
et mis à mort. Etre soi-même injuste, voilà
ce que Socrate craint par dessus tout (Gorgias 522 e). Subir
une injustice, il ne le souhaite certes pas, mais ne le craint
nullement ; et lorsque Calliclès lui dit qu'il finira
mal s'il continue à parler comme il fait et qu'accusé
par le peuple il ne saura pas se défendre, c'est alors
qu'il lui répond que vivre pour défendre sa
vie ne présente aucun intérêt - en 521
c d. Ainsi Socrate ne meurt pas en martyr, pour prouver par
ses souffrances qu'il est injustement frappé et encore
moins pour gagner le ciel. Surtout le récit de la mort
de Socrate n'est pas la tragédie du juste supplicié
; Platon n'a pas été écrit pour soulever
l'indignation ou la pitié ni même pour qu'on
se souvienne que So-crate a été victime d'une
injustice. Il montre le sage continuant à parler comme
il l'a toujours fait sans se soucier de son sort. Peut-être
Platon lui-même a-t-il mis du temps à admettre
que Socrate ne se défende pas vraiment et ne fasse
rien pour échapper à son sort : n'était-ce
pas cela, la maladie qui l'a empêché de venir
assis-ter à ce qu'il ne pouvait alors supporter et
qu'il ne comprit que plus tard - et nous fait maintenant encore
comprendre par son uvre. Je ne fais pas ici le moins
du monde une conjecture historique mais une remarque sans
doute banale.
Je veux dire seulement que
l'image, car c'est une image, une icône, l'image du
juste torturé, crucifié, l'image qui arrache
des larmes des foules, cette rhétori-que n'est jamais
présente dans Platon. Au contraire il y a de cela dans
la rhétori-que de Polos. Dans le Gorgias, en 473 b
d, Socrate prétend que celui qui subit une injustice
est plus heureux que celui qui la commet, et il ajoute que
cet homme in-juste, s'il est pris sur le fait et puni, est
plus heureux que s'il réussit son coup. Je ne sais
si les commentateurs ont vraiment relevé la réplique
de Polos :
" Que dis-tu là
? Voici un homme qui est arrêté au moment où
il essaie de renverser criminellement un tyran ; aussitôt
pris on le torture, on lui coupe les membres, on lui brûle
les yeux, et après qu'il a été soumis
lui-même à mille souf-frances atroces, après
qu'il a vu ses enfants et sa femme livrés au même
supplices, on finit par le mettre en croix ou l'enduire de
poix et le brûler vif : et cet homme serait plus heureux
de la sorte que s'il avait pu s'échapper, devenir tyran,
gouver-ner la cité toute sa vie en se livrant à
tous ses caprices, objet d'envie et d'admiration pour les
citoyens et pour les étrangers ? Voilà la thèse
que tu dis irré-futable ? "
Polos a du souffle ! Et Socrate
répond :" Tu me présentes un épouvantail,
brave Polos non une réfutation
"
Le terme grec mormolùttei
se retrouve dans le Phédon, en 77 e, à propos
de la crainte qui nous fait voir la mort comme un masque de
sorcière (cf. GF note 154). Et un peu plus loin Polos
demande à Socrate si lui-même, Socrate, préfére-rait
subir une injustice plutôt que de la commettre (474
b).
Ainsi la représentation
des souffrances d'un homme, ici il est vrai un homme injuste,
un criminel de grande envergure, est un argument rhétorique,
et non un témoignage, et quand même cet homme
serait juste comme Socrate, sa souffrance et sa mort ne prouveraient
rien, car la question n'est pas là. Les tragi-ques,
les auteurs des textes qu'on dit religieux, ont cultivé
la rhétorique du juste qui souffre et qu'on tue injustement,
ce n'est jamais le cas chez Platon, et nul lec-teur de Platon
n'admirera jamais un martyr, quelle que soit sa cause. Socrate
ne se sacrifie en aucune façon. Son propos n'est pas
de dénoncer les malheurs des hommes, de prendre la
défense des victimes, il est seulement de déterminer
ce qui lui convient à lui de faire pour être
fidèle à son parti pris, le parti pris de la
pensée. Vivre ou mourir, cela est indifférent,
comme diront les stoïciens, vrais socratiques. Chez eux
non plus il n'y a pas de révolte contre le sort qui
frappe parfois dure-ment les meilleurs. L'exigence socratique
de justice n'est pas d'abord une révolte contre l'oppression.
Ce n'est pas d'abord une compassion pour les victimes. C'est
le souci de soi-même, l'égoïsme du sage
qui vise son propre bonheur et pour cette raison n'éprouve
aucunement le désir de commettre une injustice. Au
contraire, si nous ne savons pas lui interdire le gouvernement
de notre âme, l'indignation iné-vitablement fera
de nous des Calliclès ou des criminels.
RETOUR AUX FABLES
Toutefois la fable platonicienne des juges infernaux
peut sembler dire que les âmes des méchants sont
rendues meilleures par la punition qu'elles subissent, et
donc qu'il est permis d'espérer un autre monde où
règne enfin la justice. Or n'est-ce pas revenir à
la rhétorique de Polos que de dire que des souffrances
éter-nelles attendent les incurables ou que leurs hurlements
servent d'avertissement aux autres ? Et une telle espérance
n'est-elle pas plus conforme aux vux de Cal-liclès
qu'à ceux de Socrate ? Calliclès s'indigne qu'un
juste puisse être victime d'un injuste sans se défendre
: non pas seulement parce qu'il assimile le bien et la force,
et donc méprise ce juste et le tient pour un esclave,
mais aussi parce qu'il veut que les meilleurs gouvernent.
Il a une réelle exigence aristocratique. Ce n'est pas
une brute, comme Thrasymaque dans une certaine mesure. Je
m'explique. S'il trouve honteux qu'un homme se laisse assassiner
sans se défendre, ce n'est pas seulement parce que
c'est de la part de cet homme juste un signe de faiblesse,
c'est aussi, c'est d'abord parce qu'il ne supporte pas l'idée
que le meilleur ne l'emporte pas et que le pire l'emporte
(Gorgias 511 b). Que le meilleur gagne ! voilà ce que
j'appelle une exigence aristocratique. Calliclès voudrait
que le tempo-rel et le spirituel ne fassent qu'un. Les hommes
s'indignent de la faiblesse de l'esprit. Mais cette indignation
procède seulement du cur, elle est irrationnelle.
Telle me paraît être la leçon de Socrate
indifférent à sa propre mort. Au fond, la croyance
en l'immortalité de l'âme ne revient-elle pas
à la confusion du spirituel et du temporel, et cette
confusion théologico-politique n'est-elle au cur
de l'histoire des Eglises qui font de cette croyance un dogme
essentiel ?
Il faut donc relire les fables
platoniciennes qui racontent les voyages des âmes et
parlent d'un purgatoire pour les méchants et de souffrances
éternelles des pires d'entre eux. Ce genre de discours
est en effet inséparable d'un autre, qui re-vient partout,
dans le Phédon avec l'alternative que j'ai rappelée,
et particulière-ment dans le mythe d'Er à la
fin de La république : chaque âme une fois jugée
re-vivra une vie semblable à celle qu'elle a choisie,
c'est-à-dire injuste si elle a été injuste,
juste si elle a été réellement juste
(celles dont la vertu n'a été qu'apparente ne
seront pas confondues avec les vrais sages - Phédon
82 b). Il n'y a donc pas de jugement dernier qui rétablirait
la justice, ni un autre monde où tout adviendrait selon
la justice. Alain commente en ces termes provocateurs : (p.913)
" les désirs et les colères, quelquefois,
lassés de rivaliser, espèrent quelque ordre
meilleur où le juste serait roi ". Il faut savoir
se garder de l'interprétation irrationaliste de La
république qui y voit l'expression d'une espérance
politique idéaliste, comme on dit
avec à
la clé la condamnation d'un Platon totalitaire parce
qu'il veut imposer à la nature humaine le carcan de
sa philosophie.
Mais parler ainsi, n'est-ce
pas oublier que les mythes cosmologiques ren-dent compte de
l'ordonnance du monde de telle façon qu'elle est incompatible
avec l'injustice ? L'ordre du monde est bien juste, puisqu'il
est l'uvre d'un dé-miurge qui suit un modèle
divin. Chaque âme y peut trouver un modèle pour
sa propre justice. La fable du monde est même l'incantation
par laquelle l'âme se donne un modèle à
imiter. Mais n'est-ce pas dire justement que la beauté
de l'ordre du monde n'implique pas que chacun soit juste ?
A chacun de choisir. La justice du cosmos signifie que rien
ne justifie l'injuste, non que le juste ne sera pas victime
de l'injuste ou de la maladie. Il n'est pas vrai que les méchants
sont tou-jours punis ni qu'il y aura une autre vie où
ils le seront. Et croira-t-on que Socrate se réjouisse
des douleurs subies par le tyran puni ? Toutefois il est vrai,
en un au-tre sens, au sens socratique, que le tyran sera ou
plutôt qu'il est puni : en ce sens qu'en aucun cas Socrate
ne voudrait vivre sa vie, qu'elle est la pire de toutes, celle
qui lui fait le plus horreur, celle qu'il serait infernal
d'avoir à vivre ! Je le répète, c'est
d'être injuste et non de mourir que Socrate a peur (Gorgias
522e) et c'est cette peur que la description des supplices
du tyran entretient par le mythe. Tou-jours il s'agit de savoir
si vivre en tyran, en homme de pouvoir, est souhaitable pour
le tyran et l'homme de pouvoir, et non pas pour ceux sur lesquels
s'exerce ce pouvoir. Prendre le parti de la pensée,
c'est renoncer au pouvoir pour soi-même : la corruption
du pouvoir n'est pas un accident anthropologique ou psychologique.
Si donc la fable de l'immortalité
de l'âme racontée par Socrate dit que cha-cun
vivra toujours identique à lui-même sans se dissoudre
comme une vapeur fra-gile, ce n'est pas au sens de la psychologie
rationnelle (l'affirmation de la perma-nence d'une substance
simple indécomposable) : la fable platonicienne veut
dire que par la mort (le décès) nul ne sera
délivré de lui-même, ni le sage de sa
sagesse, ni le méchant de sa méchanceté,
d'autant, dit le livre X de La république, que ce serait
une chance pour le méchant d'être ainsi guéri
par la mort de son mal, sa mé-chanceté, ce qui
prouve à l'évidence l'immortalité de
l'âme. En 610 d, c'est Glau-con, qui comprend ainsi
la preuve apportée par Socrate. C'est dire qu'on ne
peut attendre d'un événement, pas même
de la mort (entendue comme décès), qu'il sauve
quiconque de lui-même. Alain commente en son style toujours
cavalier et fait pour irriter ceux qu'il appelle les sorbonagres
: (913) : " Il n'y a point d'espoir. Le sage nous laisse
à nous. Dieu nous laisse à nous. Ni l'un ni
l'autre ne nous font la grâce de nous punir. "
L'espoir de Socrate dans le Phédon me parait éclairé
par cette formulation ; ce n'est pas l'espoir des chrétiens
ni de tous ceux qui attendent le secours d'une puissance extérieure,
ce qui finit par les dispenser d'avoir à juger et à
vouloir. L'espoir socratique n'est pas ce qu'on entend généra-lement
par espoir. Alain remarquait aussi dans son Platon que notre
illusion est de toujours vouloir chercher l'éternel
ailleurs qu'ici (p.919).
CONCLUSION
Ainsi la question de savoir
si ce qu'on a choisi de faire ou d'être entraînera
ou non notre mort, plus vite ou plus lentement, naturellement
ou par la violence, cette question n'a aucun sens, pas plus
que celle de savoir ce qu'il adviendra alors de nous. Cette
issue n'a en aucune façon à entrer en ligne
de compte dans nos choix essentiels. Que nous soyons mortels,
même si cela signifie que nous allons totalement disparaître,
cela ne compte pas. Il n'y a rien dans la mort entendue comme
décès d'un homme et raideur d'un cadavre qui
par soi-même importe en quelque façon que ce
soit. Il n'y a même pas à y penser. La sagesse
de l'homme libre n'est pas une méditation de la mort
mais de la vie, dira Spinoza, et sur ce point il est proche
de Platon . Ce qui donne sens à une vie d'homme, cela
n'a rien à voir avec la question de la mort qui n'est
pas une question. La peur de la mort au contraire est la même
chose que la peur et même la haine de la pensée.
Nous l'avons vu, il y a un parallélisme entre amour
de la vérité et amour du corps, qui signifie
que c'est l'âme qui fait du corps une prison. Il serait
vain d'accuser le corps. Ainsi, de même que la fuite
philosophique hors du monde est d'abord élan vers la
vérité, de telle sorte que le corps n'est fui
qu'en tant qu'il fait obstacle à l'intelligence et
non par ascétisme moral, de même l'homme que
son désir en-ferme dans son corps fuit la pensée
et devient aveugle à la lumière véritable,
celle des formes. Les philosomatoi ont peur de la lumière
invisible de l'intelligible et la fuient comme ce qu'il y
a de plus obscur . La haine de la pensée est une chose
assez commune. Ce n'est pas la misologie, qui, elle, frappe
les praticiens du dis-cours et donc surtout les professionnels
de la raison, les intellectuels, s'il est per-mis d'entendre
ce mot en un sens péjoratif et de ne pas confondre
intellectuel et philosophe (car je sais que généralement
le mépris des intellectuels n'est pas très philosophique).
La haine de la pensée dévore au contraire tout
homme que la peur de la mort crispe pour ainsi dire dans la
minuscule portion de l'univers qu'il oc-cupe pour un instant.
Et l'on voit alors avec quelle rouerie, en un tel homme, l'intelligence
tout entière au service du refus de comprendre, s'aveugle
elle-même, mais calcule très bien les intérêts.
Ainsi s'explique qu'il puisse y avoir des hom-mes en apparence
très intelligents qui pourtant n'ont jamais rien compris
: ils pré-voient les ombres qui défilent sur
la paroi de la caverne et sont très forts en argu-ments.
Etre mort comme le philosophe du Phédon, c'est savoir
distinguer la clarté philosophique aussi bien des fausses
subtilités sophistiques qui prennent l'apparence de
la rigueur scientifique que des profondeurs tragiques qui
séduisent par leur obscurité prophétique.
Fin
Note 5 pour références
au Gorgias
511 a-c : trad. Croiset : Socrate à qui Calliclès
le dit une nouvelle fois ré-pond : " Je le sais,
excellent Calliclès. A moins d'être sourd,(b)
comment ne l'aurais-je pas entendu répété
maintes fois par toi-même, par Polos auparavant, et
par presque tous les athéniens, ou preque tous ? Mais
à ton tour écoute ceci : oui, cet homme, tuera,
s'il le veut, mais c'est un méchant qui tuera un honnête
homme de bien ! Calliclès : (N'est-ce pas justement
là ce qui rend la chose plus révoltante to aganaktèèto'n
? [sur ce point, Dixsaut, note 60 qui renvoie à Rép.
X 604e-605a).
cf. APOLOGIE idem
à partir d'Homère : 28 b
Toujours l'idée qu'il
est honteux de ne pas savoir se défendre
Un homme
doit être capable de casser la gueule à quelqu'un
de se comporter en homme, entre hommes
GF p. 282
Robin p. 163
Autres références
dans le Gorgias
Allusion au procès de
Socrate : 511c Calliclès : Oui certes, par Zeus, et
le conseil est bon ! (d'apprendre la rhétorique pour
le cas échéant te défendre de-vant les
tribunaux).
Cf. 521b sqq. sans doute le
passage le plus long sur la mort de Socrate dans les dialogues
Socrate demande à Calliclès s'il veut contribuer
à rendre les athéniens meilleurs ou les flatter
et Calliclès dit à Socrate dit de ne pas lui
objecter que d'avoir choisi la première voie le conduira
au tribunal et à la mort, qu'on le dé-pouillera
de tous ses biens
A quoi l'autre répond : tu
es bien sûr de toi ! Comme s'il avait compris que Socrate
ne voyais pas le danger et se croyais à l'abri de ce
genre de procès. D'où la réponse de Socrate,
qui singie qu'il ne serait pas étonné d'être
condamné à mort ! Pourquoi ? Parce qu'il est
le seul vrai politique ! La suite, ce sont les enfants qui
votent pour le confiseur contre le médecin. Même
chose à la fin du mythe final, 527a : toi, Calliclès,
devant les juges infernaux, tu seras comme moi devant le tribunal
athénien ! Cf. p.309, il t'arrivera ce que tu crains
en 486c : tu ne sauras pas plus te défendre que moi
devant le tribunal d'Athènes. Procès où
Socrate aurait du essayer de sauver sa tête. Dans l'apologie
du Phédon, il a à sauver tout autre chose
522 e GF Canto : "
personne
n'a peur de la mort si on la prend pour ce qu'elle est, on
alors on est incapable de faire le moindre raisonnement et
ne pas être vraiment un homme, non ce qui fait peur,
c'est l'idée de n'avoir pas été juste.
Jean-Michel Muglioni,
Professeur en Khâgne à Louis-le-Grand, Paris
|