"Le concept
d’identité a subi dans l’histoire des idées
un glissement significatif de la sémantique. Le binôme
identité/coïncidence, théorisé par
Platon et Aristote, est une constante de la pensée
classique et médiévale. Dans cette optique,
le terme identité est synonyme de cohérence,
de conformité et de correspondance et est toujours
lié à la thématique de l’ontologie
et de la gnoséologie. À l’âge moderne,
Hegel a enrichi le concept d’identité en le décrivant
comme la résultante d’un processus d’auto-conscience
de l’esprit absolu, tout en restant sur la même
ligne de pensée qu’Aristote. L’identité
est toujours vue dans le sens de coïncidence, mais au
niveau de la synthèse des éléments différents
et opposés (thèse et antithèse). La pensée
philosophique contemporaine, dans sa richesse et sa spécificité,
offre une idée alternative de l’identité,
qui incorpore le sens de l’altérité, du
dialogue, de la confrontation, de l’ouverture, de la
cohabitation et du partage, mais aussi le sens de la problématique
et du conflit. E. Lévinas a parlé par exemple
d’une identité, qui se structure dans la forme
de l’altérité et L. Irigaray a décrit
le JE comme relation, dialogue et ouverture.
Dans le milieu de la psychologie et psychiatrie analytique,
S. Freud a représenté la personnalité
comme un équilibre instable de l’inconscient,
alors que E. Berne a parlé du JE comme une cohabitation
de plusieurs dimensions (adulte, parent, enfant). Dans la
perspective contemporaine, l’identité n’est
pas l’homologation, dans le sens classique et médiévale
du terme, ni la synthèse qui regroupe dans une unité
supérieure et indifférente les postulats de
départ, mais c’est la convergence d’éléments
constitutifs définis comme irréfutables et représentatifs.
Nous croyons qu’une identité culturelle européenne,
vue dans l’optique classique d’Aristote, risque
une importante forme d’homologation et d’aplatissement
des différentes réalités locales. De
la même manière, nous réfutons d’interpréter
dans la perspective de Hegel la proposition d’une identité
culturelle européenne, puisqu’il suggère
de nier la simple réalité territoriale au nom
d’une synthèse supérieure qui dépasse
et réfute l’identité spécifique
des pays.
On peut parler d’identité culturelle européenne
en intégrant au concept d’identité, vu
comme une convergence, tous les aspects qui contribuent à
offrir une représentation ouverte, ainsi que la problématique
d’un complexe de connaissances et de comportements typiques
d’un peuple. Dans cette perspective, il existe une manière
unique et particulière de ressentir et de faire des
expériences soi-même, des autres et du monde,
qui distingue l’homme européen et qui justifie
sa diversité.
En appliquant à ce sens le concept d’identité
culturelle à la dimension européenne, nous avons
découvert que les éléments de convergence
entre les différentes réalités politiques
européennes se font dans le temps avec les dimensions
du passé, présent et futur.
Dans les dimensions du présent : les différentes
expériences historiques, sociales et culturelles des
pays de la communauté Européenne convergent
vers les éléments suivants : modèle économique,
tutelle des droits de l’homme, capacité d’assimilation
fonctionnelle, imaginaire historique, vision du monde projeté
en avant, ouvert au progrès, à la recherche,
à la compréhension du réel, curiosité
et intérêt pour les autres phénomènes
culturels, tendance à l’unité et au dialogue,
à l’ouverture et à la tolérance,
capacité de repenser de manière critique les
conduites et expériences vécues.
Dans les dimensions du passé : il existe une matrice
historique commune aux différents Etats européens,
qui justifie leur appartenance actuelle au même «
milieu culturel », en particulier l’héritage
hellénistique, et qui a offert une contribution importante
à la formulation de l’identité culturelle
européenne. Le sentiment irréfutable de cet
apport de la Grèce est certainement l’humanisme
qui s’est affirmé avec force. Cet humanisme qui
se manifeste dans le célèbre écrit de
Protagoras d’Abdère « l’homme est
la mesure de toutes choses ». Mais cet héritage
est surtout significatif pour avoir marqué le passage
de l’oralité à l’écriture,
de la pensée par images et par mythes à la pensée
conceptuelle, et c’est pourquoi la Grèce doit
être considérée comme le berceau de la
culture occidentale et plus spécifiquement européenne.
Cette attitude qui consiste à se questionner «
Qu’est ce que c’est ? » ( Socrate ) et l’idée
de connaître est significative et développe rationnellement
les concepts ( Socrate, Platon, Aristote ) représentant
la genèse de la pensée philosophique. En outre,
l’européen doit l’homme grec une partie
de son imaginaire mental, dans le sens que grâce à
l’expérience hellénistique, il a intégré
les idées de réalité suprasensible et
intelligible ( Platon ), de bonheur comme recherche de la
connaissance, les idées de fin, de réalité,
de relation entre le tout et ses parties ( Pythagore ) et
d’autres encore.
La tradition hébraïque a développé
la réflexion sur l’histoire, en la considérant
dans son milieu existentiel des choix humains. On parle d’une
histoire non cyclique, comme dans la conception classique,
mais progressive.
Les racines chrétiennes ont représenté
le terrain sur lequel on a construit pendant des siècles
l’identité européenne. Sans oublier les
schismes sanglants, les guerres de religion, les buchers faits
par les catholiques et par les protestants, les condamnations
de la connaissance scientifique, les croisades, le sac de
Constantinople, on peut soutenir que le christianisme a jeté
les bases pour une synthèse culturelle entre le monde
ancien et la tradition latine, d’où naitra la
culture occidentale et a contribué à protéger
le patrimoine culturel du monde classique. Le christianisme
a aussi éduqué la sensibilité de l’homme
européen (valeurs, attention pour la pauvreté
et les souffrances…..), il a enrichi l’imaginaire
de l’homme européen (idée d’infini,
d’éternité, de liberté, de responsabilité
). Il a aussi favorisé, alimenté et diffusé
le binome connaissance-bonheur à la lumière
de la tension fides et ratio, il a diffusé l’attitude
à repenser d’une façon critique les conduites
morales, il a formulé le concept d’homme comme
personne placée par nature en relation avec les autres
et ouverte à la transcendance, considérée
dans sa profonde liberté et responsabilité.
La culture romaine a contribué à l’unité
géographique et linguistique de l’Europe et a
transmis l’attitude à l’éclectisme
qui constitue un aspect important de l’identité
culturelle européenne.
L’Humanisme et la Renaissance ont reformulé la
position centrale de l’homme par rapport à la
réalité, en soulignant la primauté de
la dignité de la personne humaine.
La Révolution scientifique a contribué à
redéfinir le rapport entre homme et nature, renforçant
l’attitude de l’homme européen à
penser la réalité comme ordre objectif de causes.
Le Siècle des Lumières a souligné
l’importance des droits de l’homme et a jeté
les bases de la démocratie moderne.
Dans la dimension du futur, les Etats européens partagent
l’engagement envers trois directions: la cohésion,
entendue à valoriser la diversité en tant que
richesse commune et pas comme séparation, la participation
démocratique de tous les citoyens européens
à la construction d’un sentiment collectif, l’identité
d’une réalité politique, pas renfermée
et protégée, mais ouverte sur le monde et capable
de faire face aux grands défis de notre temps.
En parlant d’identité culturelle, on ne peut
pas renoncer à souligner comment le concept de culture
a une structure dynamique. La culture n’est pas un élément
a priori que les différentes communautés appliquent
à leurs conduites. L’appartenance culturelle
va construite et dans ce but il nous semble significatif la
contribution que l’engagement philosophique peut offrir
à renforcer l’imaginaire collectif des Européens.
Il s’agit de promouvoir et conduire une attitude sérieuse
sur les racines de l’esprit européen et de démontrer
que l’Europe doit être vécue comme une
destinée commune , un chantier ouvert. Il s’agit
d’indiquer aussi tous les chemins capables de créer
au niveau culturel un sens d’identité et d’appartenance
plus enraciné dans les citoyens européens. Il
s’agit enfin de créer les instruments pour récupérer
le manque de proportion entre l’Europe des valeurs et
l’Europe de l’Euro, entre l’Europe politique
et l’Europe de l’économie.Une Europe ouverte
et problématique, tolérante et disponible au
dialogue, est vouée à avoir un rôle décisif
dans le contexte mondial, en se proposant comme médiatrice
et interprète des défis présents et futurs
et dénonciatrice des risques implicites dans une réalité
globalisée. Le fait de vivre dans une dimension de
village global, en effet, signifie opportunité d’échanges
et de rencontre mais aussi équilibres précaires
et conflits.
Dans la mesure, où l’Europe, récupérant
le sens de son histoire et repensant ses racines culturelles
réussira à se proposer comme une réalité
politique cohérente et unitaire, elle aura un rôle
décisionnel remarquable pour déterminer des
équilibres géopolitiques plus stables et pourra
offrir une alternative valable à la dérive capitaliste
des dernières années qui augmente l’écart
entre pauvreté et richesse.
L’engagement écologique est un autre grand défi
que l’Europe doit pouvoir gérer dans la limite
d’un développement soutenable en tenant compte
des ressources et de leurs possibilités de renouvellement.
Il faut aussi considérer le progrès des technologies
qui risque de créer de la marginalisation, une forme
d’individualisme importante, si il n’est pas bien
géré. Même sur les thèmes de nature
bioéthique, l’engagement collectif doit être
inspiré à la tutelle des droits de l’homme
et au respect de la personne.
Il ne s’agit naturellement, pour l’Europe du nouveau
millénaire, ni d’offrir des solutions faciles,
ni de se donner des roles de guide et de suprématie
par rapport à la complexité et à la problématique
des politiques en cours, mais d’indiquer des parcours
possibles dans le but d’un bien être partagé
en dénonçant les injustices et les abus de pouvoirs
décisionnels, en soulignant la primauté des
valeurs et de la vraie politique par rapport à la productivité
et de la compétitivité."
Repères bibliographiques:
E. MORIN, Pensare l’Europa, traduzione italiana
di R. BERTOLAZZI, Feltrinelli, Milano 1988
G. REALE, Radici culturali e spirituali dell’Europa,
Raffaello Cortina Editore, Milano 2003
H. G. GADAMER, L’eredità dell’Europa,
traduzione italiana di F. CUNIBERTO, Einaudi, Torino 1991
J. PATOCKA, Platone e l’Europa, traduzione
italiana di M. CAJTHAML e G. GIRGENTI, Vita e Pensiero, Milano
1997
L. IRIGARAY, La democrazia comincia a due, Bollati
Boringhieri, Torino 1994.
Elisabetta
Imperato, professeur
de philosophie,
Traduction : Raffaella Lodi et Murielle Goby
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