Le droit à
l'erreur
Qui aime la vérité ne se lasse
pas de la chercher et tout à la fois tolère
ses propres erreurs. Au contraire, le fanatique ne cherche
pas quelle chose est vraie, il veut que telle chose soit vraie.
Il lui faut, avant tout, avoir raison. C'est une précaution
qu'il prend contre lui-même. Car le doute est un risque
qu'il ne peut pas courir. Sa vérité perdue,
il ne lui resterait aucune raison de vivre.
S'il est vraiment convaincu que sa vérité
est bonne, pourquoi ne consent-il pas à la mettre en
question ? Au contraire il se replie sur soi pour se défendre
contre les incertitudes de sa propre pensée. À
cette fin, il simplifie le réel selon une loi grossière
de partage entre la vérité et l'erreur, le bien
et le mal. Il conçoit la vérité comme
un camp retranché où il engloutit toute la richesse
du monde.
Galilée n'avait pas besoin de persuader.
Le mouvement de la terre se défendait tout seul. Le
fanatique au contraire veut convaincre. Il est politique parce
qu'il est militant : il est religieux parce qu'il croit la
vérité profanée. L'erreur est un péché
dont il veut purifier le monde. Cette hantise du salut conduit
à l'inquisition. Cette belle générosité
qui croit sauver les hommes de l'erreur nourrit les flammes
du bûcher.
Le fanatisme est un règlement chirurgical
de l'incertitude. Mais il périt par sa propre violence,
car il méconnaît que ce qui prépare toute
vérité, c'est le libre examen, que ce qui la
fonde, c'est le libre consentement. Cette idée nous
montre la tolérance dans sa profondeur. La fausse tolérance,
celle des sceptiques, est une sorte d'indifférence
à la vérité. Elle revient à croire
que l'erreur est de mon côté ou que peut-être
toutes nos pensées se valent. La vraie tolérance,
c'est plutôt de consentir à l'existence d'autrui
et à son erreur possible. Tolérer l'erreur,
c'est plutôt comprendre que la vérité
ne peut être imposée du dehors, c'est comprendre
qu'elle a sa source dans la liberté l'esprit.
17 octobre 1958
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