Comme il est vrai que la Bastille a été prise un 14
juillet. Que le fait soit présent ou passé, il est
ou fut à la fois réel et vrai. La vérité
s’applique donc aussi bien au passé qu’au présent.
Elle s’applique au réel et donc aussi aux faits des
hommes. Pour l’auteur, la vérité s’applique
à tous les faits qui se sont produits. Qu’ils s’agissent
de faits physiques (la formation de la Terre, par exemple), des
végétaux, des animaux ou des humains. L’énonciation
d’une valeur par un homme est un fait, qu’il soit oral
ou écrit. À ce fait, on pourra donc rattacher une
vérité (ou une fausseté). Elle s’applique
à l’énonciation vue comme un fait, mais pas
au contenu.
Cette conception de la vérité reste encore une conception
classique, en dehors de son aspect restrictif limitant la vérité
au réel et aux faits. Cette restriction est en cohérence
avec une pensée matérialiste et rationaliste. Pour
le matérialiste, on part de la matière, donc du réel.
Ce dernier est donc vrai de façon indéniable.
II. Le concept Valeur
André Comte-Sponville part du réel. Il refuse toute
transcendance. Il n’y a pas plus de Dieu qu’il n’y
a d’absolu. D’où son athéisme. Il s’agit-là
d’une option philosophique. D’autres philosophes ont
pris d’autres options. Platon pense, au contraire, à
un monde plus absolu que le monde réel, le monde des Idées.
C’est aussi l’option des philosophes chrétiens
qui croient en Dieu et donc en un absolu. Inversement, à
l’instar d’André Comte-Sponville, d’autres
philosophes sont matérialistes et athées, comme Epicure,
Lucrèce, Marx, Sartre...
Son option est donc de refuser toute transcendance et de partir
du réel. Et l’homme fait partie de ce réel.
L’homme réel. Pas un homme idéal. Ni un homme
façonné, tourné vers un idéal.
L’homme selon André Comte-Sponville est multiple, divers.
Et ce qui vaut pour cet homme varie selon les époques, les
civilisations, les pays, les couches sociales, et selon les individus.
Cette diversité, cette multiplicité, que l’on
retrouve dans la diversité philosophique, entraîne
vers le relativisme des valeurs. Les valeurs de Justice, de Paix,
d’Amour ne sont pas suivies par tous les hommes. Et ces valeurs
ne peuvent pas se mesurer à l’aune d’un absolu.
Faisons l’analogie habituelle du haut et du bas. Dans le cas
de pensée s’appuyant sur des absolus, ce sont des pensées
qui descendent de l’absolu vers l’homme, et que l’homme
tente de remonter! Dans une pensée vidée d’absolus,
la pensée s’élève, toute seule, du sol
vers le haut. Sans absolu, il n’y a plus de vrai. Comment
mesurer une longueur si l’on ne s’accorde pas sur l’unité
de mesure ?
Une valeur n’est pas universelle, puisqu’elle n’est
pas adoptée par tous les hommes. Et que parfois, certains
hommes se battent pour deux positions opposées. La valeur
n’est pas objective. Elle ne peut donc pas être vraie.
Et comme elle n’est pas vraie elle ne doit pas s’appliquer
à tous. André Comte-Sponville nomme alors dogmatisme
toute pensée qui prend la valeur pour une vérité.
Mais relativisme ne veut pas dire nihilisme. Relativité des
valeurs n’implique pas que rien ne vaut.
Une valeur ne s’impose pas d’elle-même. Comme
elle ne dérive pas d’un absolu, elle n’a rien
d’intrinsèque qui la rend vraie, et qui la rend vrai
aux yeux de tous. Mais doit-on la supprimer pour autant ? Une valeur
est quelque chose, un concept en lequel je crois et que j’aime.
On passe de l’universel à l’individuel. C’est
bien dommage que ce en quoi je crois, ne soit pas absolu. Mais dois-je
m’arrêter de croire pour autant ? Est-il possible de
vivre sans croyance ? Sans projets ? Non. Il s’agit d’une
étape philosophique, qui n’est pas sans difficulté.
Mais de même que l’enfant réalise un jour que
ses parents ne sont pas des Dieux infaillibles et tout puissants,
il faut aussi accepter que ses valeurs ne sont pas infaillibles
et absolues. L’enfant apprend alors la vraie vie. Il nous
faut vivre dans cette vie sans absolus.
Et l’humanité en ressort grandit. C’est l’homme
qui est à l’origine des valeurs. Ce sont ses valeurs,
et non des règles imposées. Il sait que ce ne sont
que ses croyances, mais ce sont ses croyances. Une valeur relative,
non absolue, est donc une valeur beaucoup plus fragile qu’une
valeur absolue. Mais c’est sa valeur, son projet. Une valeur
doit être défendue. Comme il n’y a pas de transcendance
pour la défendre, le seul qui peut défendre une valeur
est l’homme lui-même. C’est à nous de défendre
ce que nous croyons. Il n’y a pas de Dieu qui le fera pour
nous. Ni de vérité éclatante qui va tout arranger.
Si nous ne défendons pas nos valeurs, elles s’écrouleront….C’est
la mort, de mes idées, de moi-même, de mes croyances,
si je ne lutte pas pour elles. Ce doit être notre projet.
Il n’y a pas de nihilisme induit par le relativisme, il y
a surtout un volontarisme. Une place faite toute entière
pour l’homme. Le relativisme est un humanisme.
III. Le scepticisme d’André Comte-Sponville
André Comte-Sponville est rationaliste. Il croit fermement
en la raison, et en ses résultats. Mais quels sont les fondements
de la raison ? Le fonctionnement de la Raison repose sur des axiomes.
La rationalité est le fait de croire aux mécanismes
de déduction, mécanismes de déduction qui reposent
sur des axiomes. Mais quels sont les fondements de ces axiomes ?
Et quel est donc le fondement de la Rationalité ? Il y a
une croyance en la Raison pour les rationalistes. On ne peut pas
être absolument sûr de la Raison. Il y a donc une partie
Valeur en la Raison de la part des rationalistes. Là encore,
il n’y a pas d’absolu. Mais la recherche de la vérité
est un objectif.
La vérité existe. Mais la connaissance que j’en
ai est incertaine. Je ne peux pas avoir de certitudes. Mais ce n’est
pas pour cela que je dois abandonner. La Vérité n’est
pas donnée, on n’est jamais sûr de l’avoir
atteinte, mais la recherche de vérité est une exigence.
Il faut toujours remettre le travail sur l’ouvrage (dans le
domaine de la connaissance).
Ce n’est pas un doute systématique fondateur, comme
celui de Descartes, qui après avoir douté de tout,
fonde le certain et le vrai. Descartes se base ensuite sur le cogito,
c’est-à-dire sur ce qui a résisté au
doute, puis en déduit le Vrai, Dieu…Au contraire, pour
André Comte-Sponvile, il n’y a pas de résidu
au doute systématique. Mais là encore, cela ne signifie
pas qu’il n’y ait rien de vrai. Seulement qu’il
n’y a rien de certain. Puisque tout repose sur la Raison,
et que la raison est elle même non fondée. Ce n’est
pas que je ne doive croire à rien.
C’est que je crois à des valeurs, à des pensées
qui ne sont pas absolument certaines. Le dogmatique préfère
la certitude à la vérité, le sceptique préfère
la vérité à la certitude.
Le sceptique, au sens d’André Comte-Sponville, est
certain de l’existence de rationalité et de vérité,
mais il n’est pas certain que la connaissance qu’il
a est vraie. Dans ce sens, André Comte-Sponville s’oppose
à Pyrrhon pour qui la vérité n’existe
pas.
Examinons désormais plus précisément le champ
scientifique. La science opère plus par induction que par
déductions. Or l’induction est encore plus incertaine.
Que personne n’ait vu jusqu’à aujourd’hui
de corbeaux blancs, ne prouve pas que personne n’en verra
pas un jour, et donc qu’il n’y en ait pas, ni qu’il
n’y en ait jamais eu. L’induction est toujours limitée
sur le plan expérimental : des faits sont observés,
mais pas tous les faits. Par ailleurs, même si tous les faits
étaient observés, les faits à venir ne sont
pas encore observés. Que la loi de gravitation universelle
ait toujours été observée (par l’homme),
ne signifie pas que cette loi soit toujours vraie partout (contrairement
à son nom « d’universalité »), et
le sera toujours. Mais si ce doute doit rendre vigilant (de la bonne
compréhension des sciences), André Comte-Sponville
ne le présente pas comme paralysant. Il s’agit d’une
limite épistémologique. Incertitude, et non nihilisme
: absence de vrai. La science opère donc par corrections,
par ratures. Des modèles scientifiques sont utilisés.
Ces modèles sont validés par des résultats
expérimentaux. Mais ils restent des modèles et non
des vérités, et non des certitudes. D’où
l’histoire des sciences, qui n’est pas purement cumulative.
Et l’on voit bien que ce n’est pas l’avenir qui
nous donnera la clef. C’est le principe même de l’induction
qui est en cause.
Conclusions
La notion de vérité s’applique
au réel donc à un domaine beaucoup plus limité
qu’habituellement, puisqu’il exclut les valeurs qui
sont humaines donc non absolues et non vraies. Cette position dérive
d’un matérialisme-athéisme de son auteur. La
valeur n’est plus transcendante, ni absolue, mais elle est
humaine. Et c’est nous, humains, qui devons les défendre.
Leur survie ne dépend que de nous ! La responsabilité
que nous avons vis à vis de nos valeurs est donc entière
et est un engagement que nous nous devons d’assumer.
Pour conclure citons André Comte-Sponville : « Il faut
en conséquence renoncer au rêve des dogmatiques (la
grande paix du savoir), et laisser la philosophie en son lieu, qui
est l’examen des raisons et le conflit – sans issues
ni preuves – des croyances. Philosopher c’est penser
sans preuves, c'est-à-dire (puisqu’il n’est pas
de preuves absolues) penser. » Valeur et Vérité,
chap. 4, p. 122
Interrogations personnelles
André Comte-Sponville est rationaliste. Quel est le rapport
entre la Raison et un système de valeurs ? Ce n’est
pas la raison qui fonde la valeur, mais quel est l’apport
de la Raison ?
André Comte-Sponville rejette le dualisme. Mais est-il moniste
? Sans doute pas à la Spinoza.
Quelle est la conception de hasard et de prédestination chez
André Comte-Sponville? Est-elle celle de Spinoza ? André
Comte-Sponville rejette le libre arbitre. Quelle est alors la notion
de liberté chez André Comte-Sponville? Et le lien
avec la responsabilité?
Bernard Point
Le 05 août 2005 |