Concepts clés
Le vide
Il existe un espace intangible et immatériel:
le vide.
C'est essentiellement l'argument du mouvement qui fonde,
pour les épicuriens, l'absolue certitude de "existence
du vide dans l'univers. Cela s'oppose notamment à
la conception aristotélicienne du mouvement comme
circuit de substitutions successives et instantanées:
la théorie du mouvement dans le plein (antipéristasis),
celle qui conçoit tout déplacement sur le
modèle de la progression du poisson au sein de l'élément
liquide, constitue une impensable fiction.
Tout comme la matière (c'est-à-dire les atomes),
le vide est immense, sans limite, infini.
L'univers, qui inclut deux sous-ensembles
infinis (le corps et le vide) est donc, a fortiori,
infini. On pense au bel argument de Lucrèce, - qu'il
reprend au pythagoricien Archytas de Tarente (Cf Diels,
47A24) : «Supposons maintenant limité tout
l'espace existant; si quelqu'un dans son élan s'avançait
jusqu'au bout de son extrême bord, et que de là
il fit voler un trait dans l'espace; ce trait balancé
avec grande vigueur, préfères-tu qu'il s'en
aille vers son but et s'envole au loin, ou est-tu d'avis
qu'il peut y avoir un obstacle pour interrompre sa course?
C'est une de ces deux hypothèses qu'il faut choisir
et adopter; or l'une et l'autre te ferment toute retraite,
et t'obligent à reconnaître que l'univers s'étend
affranchi de toute limite. » (De la nature,
ch. l, v. 968-976.)
le plaisir
Le mot « plaisir» (voluptas), s'indigne
Cicéron, « a quelque chose d'odieux, de mal
famé, de suspect,) (Des fins, II, IV, 12).
Il «manque de noblesse » (ibid., II,
XXIII, 75).
Or Épicure est celui qui a proclamé que le
plaisir est l'unique fin souveraine et
qu'absolument tout lui est subordonné.
Épicure distingue le plaisir en mouvement
du plaisir en repos (ou plaisir
catastématique). «L'absence de trouble et l'absence
de douleur, déclare-t-il, sont des plaisirs en repos;
au contraire la joie et la gaieté sont regardées,
par leur activité, comme des plaisirs en mouvement»
(Diogène Laërce, X, 136). Épicure diverge
d'avec Aristippe de Cyrène (vers 435-350 av. J.-c.),
qui n'admettait pas qu'il pût exister un plaisir en
repos. Il enseigne, tout au contraire, que, malgré
l'unité ontologique du plaisir, il existe, pour l'âme
et pour le corps, deux modalités et comme deux
cadences du plaisir.
Épicure, que Sénèque qualifiera de
« maître de volupté» (Lettres
à Lucilius, 18, 9), enseigne ainsi une arithmétique
des plaisirs, en vertu de laquelle la réflexion devrait
peser les conséquences de chaque plaisir.
Car si personne ne peut mépriser le plaisir
en tant que plaisir, il reste que celui-ci est
suivi de grandes douleurs « pour ceux qui ne savent
pas en faire un usage calculé » (Cicéron,
Des fins, I, X, 32).
Nous pourrions n'être pas vertueux si la vertu ne
conduisait pas au plaisir. « Si les choses qui procurent
des plaisirs aux gens dissolus pouvaient délivrer
l'esprit des angoisses qu'il éprouve au sujet des
phénomènes célestes, de la mort et
des souffrances, et si en outre elles nous enseignaient
la limite des désirs, nous ne trouverions rien à
reprendre en eux... », déclare la Maxime
fondamentale X d'Épicure.
On voit, comme l'a écrit un commentateur britannique,
qu'il y a de la « dynamite théorique
» dans cette philosophie (E.J. Kenney Lucretius,
Oxford, Clarendon Press, 1977, p. 40).
les atomes
Tout - l'usure des statues aux portes des villes, la force
et les effets dévastateurs du vent que pourtant nous
ne voyons pas, l'odeur dont nous devinons la présence
alentour -, tout prouve que la nature accomplit son oeuvre
au moyen de corpuscules invisibles: les
atomes (cf. à ce propos: Lucrèce, De la
nature, ch. 1, v. 265-328).
Les atomes sont absolument pleins et, partant, ils sont
insécables. Ils sont éternellement
en mouvement au sein du vide infini. Il y a trois
causes qui sont susceptibles d'expliquer le mouvement des
atomes : leur pesanteur propre, les chocs et la déclinaison
(ou clinamen).
Le nombre des formes différentes d'atomes n'est pas
infini. Mais le nombre des atomes de chaque forme est infini
(pensez à une imprimerie dont les tiroirs
seraient au nombre de 26, et dont chaque tiroir, chaque
« casse », comporterait un nombre infini de
A, de B, de C, etc.).
Les épicuriens conçoivent les atomes comme
des grandeurs physiques et comme des grandeurs multiples
d'une certaine grandeur-unité (la «
petite partie », qui n'existe jamais à
l'état séparé).
Les atomes n'ont ni couleur, ni chaleur; ils ne sont pas
sonores et sont dépourvus de saveur comme d'odeur.
Ils sont totalement insensibles: la vie
et la pensée ne sont que des accidents pouvant siéger
provisoirement dans certains agrégats atomiques.
Jean Salemfesseur de Philosophie
à l'Université de Paris
I - SorbonProfe
Professeur de Philosophie à
l'Université de Paris I - Sorbonne
Épicure, Lettres,
Éd. Nathan, 1998, pp. 84-86PProfesseur
de Philosl'Université de Paris I -hilosophie à
l'Université de Paris I - Sorbon
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