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Tomber amoureux semble relever d'une expérience commune, sans que cela affecte pourtant la valeur d'exception que nous prêtons à cette expérience. C'est que « l'amour, dit Nietzsche, est bête et possède une riche corne d'abondance ; il en tire les dons qu'il distribue, à tout un chacun, même s'il ne les mérite pas, mieux, s'il ne lui en sait aucun gré. Il est impartial comme la pluie, laquelle, selon la Bible et l'expérience, trempe jusqu'aux os non seulement l'injuste, mais le juste aussi à l'occasion. » (Humain trop humain, « Pour servir à l'histoire des sentiments moraux » §69 « Amour et justice »). Mais pourquoi disons-nous que nous « tombons amoureux » ?
Si l'amour est « impartial » en ce qu'il tombe sur nous indépendamment de nos qualités, il semble qu'il nous oriente également vers tel ou tel objet d'amour indépendamment de ses qualités réelles. « L'amour est aveugle », dit-on, soulignant ainsi le caractère trompeur de cette passion qui travestirait la réalité de cet objet en produisant en nous des illusions. En ce sens, « tomber amoureux » peut s'entendre comme « tomber dans un piège » - celui que l'amour, source d'aveuglement et d'erreur, nous tendrait.
Pourtant, le désir amoureux est aussi au coeur de la philosophie, qui se définit, étymologiquement, comme un « désir de connaissance ». Le philosophe est l'amant de la vérité : celui qui, sachant qu'il ne la possède pas, la recherche toujours.
Mais alors, l'amour nous détourne-t-il de la vérité, ou nous guide-t-il vers elle ?
L'amour me fait-il vraiment « chuter », comme trop lourd pour moi, en me plongeant dans l'erreur, ou bien est-il cette force légère qui fait de moi l'inventeur de l'aimé - que j'imagine, que j'embellis - et de moi-même - qui change ? Et si l'amour est avant tout puissance d'engendrement, tomber amoureux, n'est-ce pas finalement s'élever - au-delà de soi et de la réalité ? |