" Peu m'importe qu'on approuve mes réponses,
si l'on ne peut ignorer mes questions ".
La Tête d'obsidienne, p. 213
Préface : Une métaphysique de
l'art
" La pensée sur l'art de Malraux
" ?
Quelques biographies récentes vous diront
encore qu'aventurier, militant, romancier, ministre, André
Malraux s'est aussi - certains précisent même
: sur le tard - intéressé à l'Art. C'est
ignorer Malraux et le sens même de son uvre que
de ne pas reconnaître cette interrogation sur la création
comme le fondement de sa pensée.
L'ouvrage de Jean-Pierre Zarader est là
pour le rappeler. Et il n'est pas sans signification que ce
soit aujourd'hui. Malraux vient d'entrer au Panthéon,
peut-être serait-il temps qu'à l'extérieur
sa statue change de socle. Victime d'une légende qu'il
a fortement contribué à établir ? Sans
doute, peut-on dire que Malraux a créé et entretenu
un double et mystérieux sentiment à son égard.
Ce pourrait être une assez bonne question de se demander
à quel prix on achète son propre mythe. Méfions-nous
quand même : si l'on retient l'aventurier contre le
métaphysicien, ce n'est pas parce que Malraux a vendu
son âme au diable, c'est parce que nous n'avons pas
su le lire.
A cet égard, le fidèle lecteur
du romancier n'est pas plus rassurant que le contempteur des
Voix du silence. Ce sont les mots dévoyés qui
entraînent les malentendus. On loue l'auteur des Conquérants
en négligeant d'y reconnaître l'annonce d'une
internationalisation du phénomène culturel ;
on critique " l'historien d'art " en oubliant que
l'auteur de la Métamorphose des dieux a repoussé
tout projet " d'histoire " de l'art et toute notion
d'esthétique pour faire admettre une problématique
et une métaphysique de la création.
Nous trouvons dans l'étude de Jean-Pierre
Zarader le fil conducteur qui éclaire cette interrogation
permanente et - à travers les différentes étapes
d'une uvre (y compris dans l'aventure romanesque) -
nous conduit par la conquête du réel, à
la poursuite de l'insaisissable, vers ce qui, en l'homme,
dépasse l'homme, comme ce qui, en art, dépasse
l'art.
D'où le fructueux parallèle que
l'auteur propose avec la pensée de Hegel et, en particulier,
son sentiment de " dépassement ". "
Malraux, nous dit Zarader, réalisera cette Aufhebung
qui, au travers du Musée permettra de penser un humanisme
pluraliste, une culture occidentale qui, loin d'être
fermée sur elle-même et de refuser toute altérité,
n'aura d'autre identité que son accueil des cultures
autres ".
Il est évident que cette possibilité
d'accéder aujourd'hui à l'ensemble des uvres,
d'y faire jouer nos curiosités et nos admirations les
plus diverses, implique une idée de " pluralité
" qui, pour l'amateur d'art d'hier, n'aurait eu aucun
sens ; son esthétique relevait alors de ses goûts,
notion fondée, non sur la communion des uvres,
mais sur leurs différences.
Le double intérêt de cet essai
est qu'il permet d'une part de marquer l'importance, la permanence
et la valeur ordonnatrice d'une méditation sur le fait
artistique qui se fonde en philosophie ; et d'autre part,
pour notre bonheur et celui de Malraux, il précise
ce qu'elle n'est pas.
C'est là régler le compte des
malentendus sur l'homme et sur l'uvre. Ici, et dans
la lignée hégélienne, la philosophie
déborde d'elle-même, comme l'uvre de Malraux
de ses propres formes. La présence continue et obstinée
de son interrogation nous invite du reste à le lire
à l'envers.
De La Métamorphose des dieux à
La Condition humaine, il y a une sorte de rétro-lecture
révélatrice. Et révélatrice des
dominantes d'une pensée : ce recours à "
l'anti-destin ", c'est-à-dire aux moyens que se
donne l'homme de lutter contre les fatalités qui l'accablent.
Victoire, nous dit l'auteur des Conquérants comme celui
de La Tête d'obsidienne, que représente toute
forme qui " arrache l'homme à la mort et le rend
moins esclave ". La formule court dans toute l'uvre.
Délivré du temps des hommes pour
reconnaître le mystère de l'Intemporel, nous
retrouvons dans cet essai le vrai Malraux. Celui-là
même qui nous disait : " On s'est beaucoup intéressé
à l'histoire de l'art et bien peu à son énigme.
Je ne m'intéresse qu'à sa part énigmatique
".
C'est pour l'avoir compris que Jean-Pierre Zarader
nous ouvre les yeux sur l'essentiel.
André Brincourt
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