Bernard
Bourgeois
HEGEL
INTRODUCTION : LE MESSAGE HÉGÉLIEN
1. Pensée et réalité
Hegel accomplit la révolution copernicienne inaugurée
par Kant en philosophie et qui consiste à penser l’être
comme devant tout son sens à un « Je pense »
assumant ainsi pleinement sa responsabilité intellectuelle.
Il supprime, en effet, les limites qui affectent encore une
telle révolution de la problématique du savoir
chez Kant d’abord, mais aussi chez les grands post-kantiens
Fichte et Schelling. Kant distingue l’être de
son sens en affirmant la chose en soi. Fichte, tout en voulant
éliminer cette chose en soi dans une totale réduction
de l’être à la pensée, la maintient
à l’intérieur même de la pensée
de l’être : celle-ci repose sur la différence
originaire de ses deux principes constitutifs (auto-position
du Moi et auto-négation du même Moi dans sa position
du Non-Moi), qui l’empêche de maîtriser
comme pensée (pensante) son propre être (pensé).
La transposition objective que Schelling opère des
principes fichtéens interdit tout autant à sa
philosophie de la nature, en dépit de sa prétention,
de s’avérer comme un savoir absolu. Hegel, au
contraire, fait de la pensée de l’être,
alors absolument manifesté comme être, la pensée
de soi de l’être lui-même. Le hégélianisme,
c’est d’abord, cette inouïe confiance
en soi de la pensée : «L’essence
fermée de l’univers n’a en elle aucune
force qui pourrait résister au courage du connaître,
elle doit nécessairement s’ouvrir devant lui
et mettre sous ses yeux ainsi qu’offrir à sa
jouissance sa richesse et ses profondeurs» (Allocution
universitaire de 1818 à Berlin, Enc,
I, B, p. 149).
2. Science et dialectique
Mais la pensée étant essentiellement l’identification
à soi d’une différence qui, par opposition,
lui apparaît alors comme être, l’identification
de l’être à la pensée requiert de
faire de la différence le produit de l’auto-différenciation
de l’identité. Le renversement de l’identité
à soi pensante en son opposé fait ainsi de la
pensée une pensée dialectique.
Et c’est précisément par son caractère
dialectique que la pensée hégélienne
peut réaliser la prescription kantienne d’élever
la philosophie à la scientificité
par la systématisation de
son contenu, car, pour Hegel aussi, « la figure vraie
en laquelle la vérité existe ne peut être
que le système scientifique d’elle-même
» (Phg. E, Préface,
cf. H, I, p. 9 – L, p. 30
– JL, p. 71). Les déterminations différentes
qui constituent le contenu du discours hégélien
peuvent d’autant mieux s’identifier en un tout
systématique de celui-ci que chacune, en son identité
à soi qui la différencie des autres, se fait
dialectiquement différente d’elle-même
et donc identique aux autres. La systématisation kantienne
– encore partielle – et, surtout, fichtéenne-schellingienne,
enchaînait B à A pour que A fût conforme
à l’idée essentielle que s’en faisait
le philosophe (un Moi concret, une
nature vivante); avec Hegel, la
dialectique philosophique est celle du contenu pensé
lui-même, tel qu’il est à chaque fois pensé,
si bien que le philosophe peut et doit, au plus loin de tout
arbitraire viciant la toute-puissance de la pensée,
assister en simple spectateur, tel un pur miroir (speculum),
à l’auto-développement absolument nécessaire,
en sa parfaite immanence à lui-même, du contenu
de son discours. L’audace de la spéculation dialectique
hégélienne ne fait que libérer la nécessité
scientifique-systématique de la vérité.
3. Philosophie et monde
Cependant, la dialecticité spéculative d’une
telle science lui permet de réaliser selon un troisième
aspect la prescription kantienne de la scientificité
philosophique; celle-ci exige conjointement la rigueur scolastique
de la science et l’attention cosmique
requise par la philosophie en tant qu’elle est, selon
sa désignation populaire en Allemagne, « sagesse
du monde [Weltweisheit] ».
Car Hegel veut, lui aussi, que ce qui ne doit plus être
simplement « amour du savoir », mais « savoir
effectif » (Phg. E, ibid.)
soit, en même temps et du même coup, l’assomption
de la vie du monde. La pensée spéculative achevée
n’est plus la simple identification, alors formelle
et abstraite, d’une réalité différente
d’elle en ses différences ou déterminations
propres, et qui pourrait, du fait de cette altérité
originelle, la démentir; elle n’est plus la pensée
d’entendement qui régit, aux yeux de Hegel, la
raison kantienne, fichtéenne et schelligienne. Elle
est cette auto-différenciation de l’identité
qui définit la raison véritable et qui fait
de celle-ci l’âme même du réel en
ses déterminations ou différences constitutives
des choses. La célèbre équation redoublée
de la Préface des Principes de la philosophie
du droit : « tout ce qui est rationnel
est réel, et tout ce qui est réel est rationnel
»(PPD, D, p. 55) s’exemplifie
dans le lien privilégié de la philosophie hégélienne,
où triomphe idéalement la raison, et du monde
réel qui se révèle lui aussi, à
travers l’existence même du hégélianisme,
atteindre la fin de sa longue histoire universelle. Si la
philosophie transcendantale pré-hégélienne
expose simplement les conditions de possibilité de
l’expérience mondaine, elle-même non envisagée
en toute son ampleur, la philosophie spéculative de
Hegel expose la totalité de cette expérience
et vie du monde dans le mouvement même de sa concrétisation,
et elle se sait elle-même n’être rien d’autre
qu’une telle vie du monde se faisant philosophie. C’est,
d’ailleurs, par cette expression rationnelle du contenu
mondain en sa présence la plus vivante qu’elle
a pu jouer – comme aucune autre philosophie n’a
pu le faire – un rôle absolument mondain, socio-politique,
à travers la référence essentielle par
laquelle le marxisme s’est opposé à elle.
Le hégélianisme fut, et se sut être, le
devenir-philosophie de tout un monde, et c’est pourquoi
il a pu être, même à travers sa négation,
la philosophie elle-même en son devenir-monde. Un devenir-monde
qui n’a sans doute pas encore déployé
toutes ses virtualités, à tel point que, de
nos jours encore, c’est bien de la philosophie de Hegel,
dont le destin est sur ce point également exceptionnel,
que se pose la question de son actualité.
I . HEGEL UNE VIE QUI SE FAIT SPÉCULATION
C’est l’un des thèmes contenus dans la
théorie hégélienne de la philosophie
que celui selon lequel toute philosophie, qui se définit
négativement par son rapport
aux autres au sein de l’histoire idéale de la
philosophie, élabore son contenu positif
nouveau à partir de l’histoire réelle,
essentiellement socio-politique, en laquelle elle est nécessairement
enracinée à l’égal des autres manifestations
culturelles de l’esprit. Une philosophie s’anticipe
donc dans un « besoin de philosopher » qui est
un besoin de la vie elle-même, en tant qu’elle
est d’abord la vie générale d’une
époque et d’un peuple; ce besoin traduit, même
en sa singularité individuelle, le déchirement
affectant, dans l’histoire ainsi mobilisée, l’existence
d’une communauté culturelle. Un tel besoin appelle
la réconciliation de la culture à partir de
sa totalisation idéale dans une nouvelle philosophie.
Ainsi, l’élévation progressive de Hegel
à la philosophie spéculative rationnelle qui
va définir le hégélianisme clôt
bien sa propre quête d’une réconciliation
qu’il ne trouvera qu’en elle.
1. Culture : Stuttgart
Georg Wilhelm Friedrich Hegel naît en 1770 à
Stuttgart, dans une famille de fonctionnaires
financiers du duché de Wurtemberg. Sa première
expérience culturelle, au lycée de Stuttgart,
consiste dans une imprégnation intense par la vie antique
gréco-latine. Comme il le développera plus tard,
la culture est aliénation
arrachant à l’étroitesse du Moi, accueil
et intégration de l’étranger, et le dépaysement
auprès des Grecs et des Romains, qui réalisèrent
le paradis de l’esprit humain, restera toujours, aux
yeux de Hegel, la culture fondamentale. Mais l’adolescent
accentue encore en lui l’aliénation culturelle,
pour autant qu’il reçoit le contenu étranger
selon la forme elle-même la plus étrangère
: il recopie par écrit des extraits de ses lectures;
au plus loin de la pratique subjectiviste du journal intime,
il se perd dans l’objet. Celui qui sera le philosophe
du sujet marque ainsi d’emblée son anti-subjectivisme
foncier, qui lui fera ultérieurement proclamer que
« tout commencement du savoir est l’autorité
» (Ph.R, II, 2, p. 204), dénoncer
le slogan « penser par soi-même », dont
le caractère pléonastique trahit l’exploitation
tendancieuse en faveur de l’arbitraire, ou critiquer
le culte romantique du Moi.
2. Idée de la liberté : Tübingen
Dès son séjour au Séminaire protestant
de Tübingen (1788-93), où il a pour condisciple
Hölderlin, puis Schelling, Hegel utilise les armes antiques
pour combattre la vie moderne enlaidie par l’individualisme
séparateur. La belle vie totale des Grecs faisait se
compénéter, dans l’identité d’Athéna
et d’Athènes, une religion et une politique offrant,
chacune, à l’homme, un milieu où, dans
la participation familière à la vie des dieux
ou de ses concitoyens, il était « chez lui »,
c’est-à-dire libre. Car, pour Hegel, la
liberté ne consiste pas à se retirer
dans son quant-à-soi en excluant ou refoulant l’Autre
– vaine entreprise, puisqu’on est, bien plutôt,
déterminé et asservi par le refoulé,
témoin du tout dont on s’exclut en rendant sa
puissance hostile –, mais à s’unir à
l’Autre pour se retrouver soi-même en lui, dans
la subsistance d’un tout, chez soi. La nostalgie d’une
telle liberté fait haïr un présent qui
oppose le Ciel et la Terre, leur exclusion réciproque
suscitant à l’intérieur même de
la religion (chrétienne) et de la politique (monarchique)
– parce que l’homme est un tout – une contradiction
qui annule leur destination salvatrice dans le pire des esclavages.
Rousseau est alors, pour Hegel et ses camarades, le recours
moderne contre la modernité.
On comprend que, en cette double exaltation, antique et moderne,
de la liberté, ils se soient d’abord enthousiasmés
pour la Révolution française, la célébrant
dans des fêtes républicaines, plantant un arbre
de la liberté, etc. Mais la perversion terroriste de
la Révolution détourne Hegel de la voie politique
de la libération de l’homme. Il
déclarera bien, revenant plus tard sur l’événement,
que ce fut « une sottise des temps modernes, de changer...
la constitution politique et la législation liée
à elle sans modifier la religion, d’avoir fait
une Révolution sans une Réforme » (Enc,
III, § 552, Rem., B, p. 338). Il faut changer l’homme
à l’intérieur de lui-même, l’éduquer
à la liberté, et, pour cela, il faut le prendre
tel qu’il est, c’est-à-dire comme fondamentalement
religieux : la conscience de l’absolu
est bien la conscience absolue. Le problème est donc,
pour le jeune Hegel, de réintroduire dans la religion
existante, le christianisme, l’affirmation de la vie
totale, réconciliée avec elle-même, bref
: libre. C’est à ce problème qu’il
tentera d’apporter une solution dans ses années
de préceptorat, d’abord à Berne, puis
à Francfort.
3. Libération : religion et raison : Berne
Inaugurant, à Berne (1793-1796) sa pratique de la réfutation
interne, qui consiste à faire désavouer les
conséquences d’un développement par son
propre principe, Hegel oppose à la religion chrétienne,
devenue purement « positive » en son autorité
seulement extérieure, factuelle, le Christ lui-même.
Faisant sienne, dans une Vie de Jésus
(1795, non publiée), la distinction, devenue habituelle
à l’époque des Lumières et aiguisée
par Kant, entre le positif et le « naturel » alors
épuré par celui-ci en l’intériorité
rationnelle, il présente un Christ kantien exaltant
la raison pratique : l’autonomie contre l’esclavage.
La libération de l’existence religieuse est attendue
de sa moralisation. Cependant, le noyau antique de l’idée
hégélienne de la liberté va faire éclater
son revêtement kantien. Si Kant identifie le positif
au particulier et le naturel-rationnel à l’universel
séparé du particulier, à la loi, Hegel
a toujours visé dans l’universel le total, c’est-à-dire
ce qui inclut en lui le particulier au lieu de l’exclure.
Et il ne va pas tarder à définir explicitement
le positif comme l’opposition même de l’universel
et du particulier.
4. Libération : religion, histoire et raison : Francfort
a. Religion
C’est pendant son séjour à Francfort (1796-1800)
que Hegel propose une nouvelle version de la libération
religieuse de l’humanité moderne. Dans son manuscrit
: L’esprit du christianisme et son destin;
il oppose à la religion judaïque de la loi, que
Kant n’a fait que rationaliser et qui exemplifie désormais
la positivité asservissante, la religion de l’amour
qui réunit les opposés et, par là, rend
vivant l’universel singularisé, tout en sauvant
le singulier universalisé. L’amour semble bien
surmonter tout destin : celui-ci, « conscience de soi-même,
mais comme d’un ennemi » (Hegels theologischeJugendschriften
[Hegel:Écrits théologiques de jeunesse],
éd. H. Nohl – cité : N,
Tübingen, 1907, p. 283), est l’affirmation du tout
dans un individu qui, se fixant à sa particularité,
se rend hostile la puissance de ce tout à laquelle
il ne peut échapper, puisqu’il y est immergé;
mais l’amour, comme totalisant, identifie l’individu
à son principe, dont la puissance l’affirme alors.
Pourtant, la belle âme de Jésus elle-même
rencontre le destin le plus ignominieux. C’est que la
réconciliation de l’existence par l’amour
ne réunit l’universel et le particulier, l’identité
et la différence, que dans la subjectivité s’abstrayant,
en son élan universaliste, des différences réelles
constitutives du monde objectif, dont l’organisation
concentre sa vigueur dans le pouvoir étatique. La vie
est ainsi plus puissante que l’amour, qui n’en
exprime qu’un côté abstrait. Mais, si les
Grecs avaient raison de lier intimement le côté
subjectif (religieux) et le côté objectif (politique)
de l’existence, il n’est pas possible de répéter
leur solution dans un contexte marqué par l’affirmation
de plus en plus forte – dont témoigne le christianisme
lui-même – de l’individu. C’est même
dans la sphère objective de la vie que cette affirmation
compromet le plus la réalisation d’une existence
totale. Hegel, qui s’intéresse à l’économie
politique – il commente l’économiste Stewart
–, reconnaît l’importance sociale de la
propriété privée, mais comme une menace
pour la communauté politique. Il lui faut donc élaborer
une solution nouvelle du problème de la libération
de l’homme à l’époque moderne, dans
l’impuissance désormais discernée du subjectivisme
chrétien et du totalitarisme païen.
b. Histoire
L’attention plus historique aux moments de l’histoire
auparavant appréciés normativement fait reconnaître
la nécessité qui développe la liberté
d’abord logée dans le passé en un présent
alors à juger encore plus libre. Car Hegel souligne
désormais que la liberté consiste à être
chez soi dans l’Autre en tant qu’on
est un Soi, qu’elle est la promotion –
moderne –, et non pas l’absorption – antique
– de la singularité. Dans des études historiques
concrètes de la vie politique la plus actuelle –
qu’il s’agisse de la Suisse, du Wurtemberg, pays
qui lui étaient familiers, ou de l’Empire allemand
lui-même (manuscrit de La constitution de
l’Allemagne) –, Hegel intègre
l’affirmation de la liberté dans la nécessité
historique, comme son motif et son résultat essentiels;
l’idéal est saisi comme l’idéalisation
de soi d’un réel dont le devenir nécessaire
est lui-même libérateur de l’homme. Le
mot d’ordre optimiste de Hegel qui va quitter Francfort
peut bien être celui de « la réunion avec
le temps » (N, p. 351). Cependant,
la réconciliation du réel et de l’idéal
se fait encore en dehors de l’idée ou de la raison.
c. Histoire et raison.
Certes, Hegel projette bien – ainsi qu’il l’écrit
en 1800 à Schelling – d’élever son
idéal de jeunesse, celui d’une vie totale libre
et heureuse, à une forme réflexive au sein d’un
système; mais la réflexion, en tant que mise
à distance de soi ou différenciation,
ne peut exprimer systématiquement l’identité
du tout. C’est bien pourquoi, à Francfort, Hegel
l’a d’abord opposée, en sa promotion philosophique,
à la saisie, mystico-religieuse, du tout qu’est
l’être : « La philosophie doit cesser avec
la religion, précisément parce qu’elle
est une pensée » (N,
p. 348). On participe au tout, on ne peut proprement le savoir.
Pensée, réflexion, entendement – tous
termes encore synonymes pour le jeune Hegel – déterminent,
différencient, séparent, même quand ils
prennent, par exemple dans le kantisme, le nom de «
raison », l’universel identique à soi (le
concept) et la particularité différenciée
(l’intuition). Ils ne peuvent, par principe, saisir
ce qui est, en tant que tout, à la fois, identiquement,
identique à soi et différent de soi, l’identité
qui se différencie en des organes et les différences
qui s’identifient en un organime, bref ce que Hegel
appelle alors la vie, « liaison de la liaison et de
la non-liaison » (ibid.). C’est une telle
vie qu’il aperçoit dans l’histoire, qui
fait bien se réaliser l’existence réconciliée
(identique à soi) de la liberté dans et par
les déchirements (la différence) de la nécessité.
Tel est le sens vrai de l’idéal de jeunesse :
l’idéalisation de soi (historique) du réel,
que Hegel veut penser, mais qu’il ne peut penser par
la pensée telle qu’il l’a d’abord
appréhendée, à savoir comme l’exercice
de l’entendement philosophant. Cependant, le voeu même
de Hegel, de penser le tout réel, anticipe négativement
– puisque « le besoin est... la conscience de
l’unité des deux extrèmes » (Vorlesungen
über die Philosophie der Weltgeschichte – Leçons
sur la philosophie de l’histoire mondiale
– WG –, éd. Lasson,II-IV,
Hambourg, F. Meiner Verlag, 1968, p. 733) – la réconciliation
désormais prochaine de la pensée et de la vie.
5. De Iéna à Berlin
a. La dialectique réconciliatrice.
La réconciliation de la pensée et de la vie,
qui définit la spéculation hégélienne,
s’accomplit avec l’installation professorale de
Hegel à l’Université de Iéna, ce
centre intellectuel et culturel de l’Allemegne à
l’époque. Hegel entre ainsi en spéculation
en devenant professeur de philosophie, scellant par là
en sa vie même l’unité que sa philosophie
enseigne entre elle-même et son enseignement; il conclut
une tradition préparée par Wolff et illustrée
par Kant, Fichte et encore Schelling, tradition qui déclinera
après lui, puisque les grandes novations de la pensée
deviendront extra-scolaires, chez Kierkegaard, Marx ou Nietzsche.
A Iéna, Hegel rejoint son cadet du séminaire
de Tübingen : Schelling, qui l’y avait devancé
comme successeur de Fichte. C’est, d’ailleurs,
une réputation de schellingien qu’il acquiert
à travers ce qui est pourtant le Manifeste inaugural
du hégélianisme, à savoir l’article
de 1801 sur « la différence des systèmes
philosophiques de Fichte et de Schelling ». Certes,
il reprend le thème fichtéen-schellingien du
vrai comme identité (dans le Moi ou la nature) de l’identification
de soi (la position par le Moi de lui-même, la nature
en son affirmation comme productivité infinie) et de
la différenciation d’avec soi (la position par
le Moi du Non-Moi, la nature en tant que s’opposant
à elle-même dans des produits finis); et il applique
bien ce thème, non pas au Moi, mais à cet absolu
dans lequel Schelling fait reposer le contenu de la philosophie
de la nature (proprement schellingienne) et celui de la philosophie
transcendantale du Moi (développée par Fichte).
Cependant, la célèbre formule du texte de 1801
: « l’absolu est l’identité de l’identité
et de la non-identité » exprime l’apport
novateur de Hegel : la dialectisation stricte
de la totalité qu’est l’être en sa
vérité ou l’absolu.
Fichte et Schelling affirment, le premier, que le Moi, pour
être concret, le second, que la nature, pour
être vivante, doivent être, non seulement identiques
à eux-mêmes, mais aussi différents
d’eux-mêmes. De sorte que la progression du discours
fichtéen sur le Moi et celle du discours schellingien
sur la nature, puis sur l’absolu, ne peuvent être
dites « dialectiques » qu’en un sens (trop)
large du terme, car leur moteur n’est pas la contradiction
(animant tout « dialogue » et s’intériorisant
dans la dialectique), mais le manque
de la détermination initiale par rapport à ce
qu’il s’agit encore de penser et qui n’est
donc d’abord présent que dans le sujet pensant,
et non pas dans l’objet pensé. Une telle «
dialectique », proprement finaliste ou téléologique
en son principe, libère du contenu pensé, dont
le développement immanent est négligé,
une réflexion alors formelle sur lui, qui ne peut se
présenter comme une véritable spéculation.
Hegel, au contraire, fonde la progression de la philosophie
comme science dans le contenu à chaque fois pensé,
pour autant qu’il discerne qu’une détermination,
au sein et en raison même de son identité à
soi, parce qu’elle est identique
à elle-même, se différencie en et d’elle-même,
se renverse et contredit en son Autre. La dialectique hégélienne
mérite une telle désignation car elle exploite
le caractère dialectique, auto-négateur, de
toute détermination.
Mais, en saisissant que le passage de l’identité
à la différence, dont l’origine pré-détermine
la fin, le passage inverse de la différence à
l’identité – c’est-à-dire
la vie elle-même telle que l’a caractérisée
Hegel – est lui-même identifié à
lui-même, puisque c’est le premier terme qui se
fait le second, la pensée se pense, en son identité
prioritaire à elle-même, dans et comme la vie
même. On voit qu’une telle identité de
la pensée et de la vie repose sur la présence
en toutes deux du processus d’auto-différenciation
de l’identité que Hegel appelle la raison. Celle-ci
conjoint l’exigence – idéaliste –
de l’identité et l’exigence – réaliste
– de la différence. Or, cette conjonction des
deux exigences ne constitue pas une unité neutre, indifférente,
ne se différenciant donc pas en une identité
et une différence qui, ainsi non comprises à
partir de leur unité principielle, restent en leur
sens différentes de celle-ci et l’une de l’autre;
elle est, bien plutôt, une unité hiérarchisée
par l’intégration de la différence à
l’identité. L’identité visée
dans l’absolu ne saurait se nier, dans sa pensée
effective, comme une différence de l’identité
et de la différence; elle doit, tout au contraire,
être pensée de telle sorte que l’identité
soit le principe de la différence. L’identité
figure bien deux fois dans la formule de l’absolu comme
« identité de l’identité
et de la non-identité » : une fois
comme moment opposé à la non-identité
ou différence, une fois comme le tout des deux moments.
Mais la traduction ontologique d’une telle structure
logique de l’absolu exprime celui-ci comme l’unité
pensante de la pensée et
de la réalité, ou l’unité subjective
du sujet (l’identité à soi du Moi=Moi)
et de l’objet (objection, opposition, différence).
Le principe de l’idéalisme hégélien
comme philosophie spéculative du sujet est ainsi fixé.
b. De la dialectique à
son sujet : Iéna
Pendant son séjour à Iéna (1801-1807),
Hegel va développer les implications de ce principe.
D’abord à travers ses articles du Journal
critique de la philosophie (Foi
et savoir, texte sur le Droit naturel...),
qu’il dirige avec Schelling, dans leur combat commun
contre les philosophies réflexives de l’entendement.
Mais la divergence s’accuse entre le rationalisme schellingien
et un rationalisme hégélien qui se réalise
de plus en plus manifestement comme un rationalisme du sujet.
Schelling objective ou naturalise l’identité
immédiatement posée, non médiatisée
avec elle-même en un Soi, de la nature et de l’esprit
: nouveau Spinoza, il fait de ceux-ci des attributs différents
d’une substance s’affirmant immédiatement
à travers eux. Mais Hegel – qui dira plus tard
que l’on ne peut en rester au spinozisme par où
l’on doit cependant commencer en philosophie –
entreprend la réalisation de ce qu’il présentera
comme sa tâche essentielle : penser l’absolu non
pas simplement comme substance,
mais aussi comme sujet.
C’est ce qui le conduit d’abord à faire
se réconcilier entre elles les deux dimensions antérieurement
soulignées de la réalité réconciliées
avec la pensée : la réalité religieuse
et la réalité historique. Il avait placé
la vérité religieuse dans la vie totale éternisée
naturellement du paganisme grec, que ne pouvait égaler
le christianisme, même ramené à l’amour
en Jésus de la première communauté. Il
réintroduit maintenant dans la religion l’auto-différenciation
du Soi qui, par sa négativité, dramatise l’histoire;
c’est-à-dire qu’il s’élève
du divin substantiel du paganisme au Dieu personnel du christianisme,
son intérêt n’allant plus, certes, au récit
évangélique de la vie de Jésus, mais
à la réflexion dogmatique sur le processus de
la vie trinitaire et de l’Incarnation christique. Inversement,
de même que Hegel découvre l’histoire en
Dieu, il découvre Dieu dans l’histoire et, plus
généralement, à travers elle, dans la
vie du monde, même et surtout en ses aspects négatifs;
le sens, en son unité dialectique, étant ainsi
logé dans la réalité mondaine, celle-ci
peut être l’objet, en ses déterminations
universelles, de la philosophie spéculative. Comme
on le voit, la réconciliation de la Terre et du Ciel
s’opère moyennant le discernement, en eux, de
l’unique processus identique à soi de l’auto-différenciation
de l’identité, et, conséquemment, de l’auto-identification
de la différence – ou de la réalisation
du rationnel fondant la rationalisation du réel –,
qui constitue la raison. Un tel discernement de l’omniprésence
agissante de la raison dans l’être est dès
lors au principe de l’unification du contenu de cet
être, de l’objet de la théologie à
celui de la physique, dans un système spéculatif
total.
Les cours que Hegel va dispenser à Iéna contiennent
les esquisses successives de ce système dont il fixe
et publie le programme définitif en 1807, peu avant
la fin de son séjour. Le système de la philosophie
comme science totale ne peut laisser hors de lui sans se contredire
l’accès même qui mène à lui,
le devenir-philosophie de la vie même de Hegel. Mais,
alors, ce devenir est arraché à sa simple facticité,
élevé à sa rationalité, justifié
philosophiquement; l’introduction
à la science devient ainsi, traitée scientifiquement,
la première partie de cette science qui, exposée
pour elle-même, ne sera plus que la seconde partie d’elle-même.
Le système de la science doit alors exposer, d’abord
l’auto-développement du sujet fini, humain qui,
en son expérience, s’élève au sujet
absolu – telle sera La phénoménologie
de l’esprit –, puis l’auto-développement
pour lui-même de ce sujet absolu parcourant le cycle
complet de ses déterminations – telle sera l’Encyclopédie
des sciences philosophiques. Cependant, les
deux grandes oeuvres ainsi programmées de la science
hégélienne devront se faire écho l’une
l’autre, se réfléchir l’une dans
l’autre, et confirmer par là, chacune à
l’intérieur d’elle-même, l’unité
de cette science. Car l’expérience du sujet fini
n’est rien d’autre que la manifestation mondaine
du sujet absolu, qui est lui-même sa propre manifestation
et, par conséquent, s’expérimente lui-même
en celui-là; et le développement du sujet absolu
lui fait poser en lui-même une détermination
qui a pour contenu le sujet fini s’élevant à
lui. La science peut bien être une partie d’elle-même,
puisque chacune de ses parties est le tout du savoir qui se
dit absolument, une fois à travers son moment fini
affirmant l’infini, l’autre fois à travers
son moment infini affirmant le fini. Aussi, l’ouvrage
publié en 1807, La Phénoménologie
de l’esprit, peut-il bien comporter une
Préface qui est en fait la préface de tout le
système hégélien et constitue, en vérité,
sa plus belle présentation par Hegel lui-même.
En un sens, Hegel a achevé sa tâche. Au moment
même où il terminait la rédaction du livre,
une époque s’achevait pour l’Allemagne
au bruit des canons de Iéna. Il verra lui-même
passer à cheval le nouveau maître de l’Europe,
l’« âme du monde ». Ce monde fascinant
le distrait de la spéculation et, pendant plusieurs
mois, il dirige La gazette de Bamberg.
Mais si, comme il le déclarait à Iéna,
la lecture du journal est une sorte de prière du matin
réaliste, la prière spéculative, comme
insertion rationnelle dans le tout, rappelle bientôt
Hegel à la philosophie, pour qu’il y dise absolument
l’absolu.
c. Le développement encyclopédique
du sujet absolu : de Nuremberg à Berlin
En assumant les fonctions modestes de proviseur du lycée
de Nuremberg, où il enseigne aussi la philosophie et,
quand il le faut, les autres disciplines (1808-1816), Hegel
compose et publie à part, dans le développement
détaillé d’une « Grande Logique
», ce qui sera la première partie du système
encyclopédique : la Science de la Logique
(1812-1816). Il retrouve l’Université, d’abord
à Heidelberg (1816-1818), puis à Berlin, où
il mourra à la tâche, en pleine gloire –
celle de la philosophie faite professeur –, en 1831.
En 1821, paraissent les Principes de la philosophie
du droit, développement d’une autre
partie du système. Mais la grande oeuvre de toute la
période est l’exposition réitérée
de ce système en sa totalité. Sous la forme
d’un Abrégé de l’Encyclopédie
des sciences philosophiques – édité
à trois reprises (1817,1827, et 1830) – étonnant
« manuel » à l’usage des étudiants
et auditeurs de Hegel ! Et sous la forme des cours eux-mêmes
sans cesse repris, où le Maître en expliquait
et commentait les diverses parties, parmi lesquelles, entre
autres, la philosophie de l’histoire, l’esthétique,
la philosophie de la religion, et l’histoire de la philosophie.
Ces parties inédites du Système furent publiées
après sa mort par les disciples de Hegel dans la première
édition de ses Oeuvres complètes
(1832-1842), de même que les « Additions »
orales aux textes que lui-même avait publiés.Tous
ces cours du professeur sont infiniment précieux par
l’accès plus facile qu’ils ménagent
aux écrits du philosophe.Tant la spéculation
hégélienne en sa rationalité fait violence
à notre entendement !
II. LA SPÉCULATION HÉGÉLIENNE
L’extrême difficulté du discours hégélien
– encore renforcée par son exceptionnelle densité
– vient de l’étrangeté de sa démarche
spéculative pour l’entendement, qu’il s’agisse
de l’entendement ordinaire, le sens commun, ou de l’entendement
savant, scientifique ou philosophique. Le principe de cet
entendement est, en effet, le principe d’identité
ou de (non-)contradiction, qui est précisément
violé par la raison spéculative en tant qu’il
fait reposer l’identité sur l’exclusion
de toute différence, opposition ou contradiction. Car
cette raison montre bien plutôt que la fixation à
soi de l’identité, comme différente
de la différence, la rend différente d’elle-même,
opposée à elle-même, contradictoire –
c’est là son côté dialectique –,
tandis qu’elle se sauve elle-même, est véritablement
ce qu’elle doit être, identique à soi,
en accueillant et incluant en elle cet Autre d’elle-même
que paraît être la différence. Avoir
la contradiction pour ne pas l’être,
se contredire pour ne pas être
contredit, ou dans un langage plus pathétique
: se perdre pour être sauvé, se sacrifier pour
triompher, mourir pour vivre ! Le hégélianisme
s’est bien voulu la rationalisation du message chrétien.
Une telle assomption de la contradiction par la spéculation
hégélienne revêt alors deux formes, qui
représentent deux degrés de son aliénation
maîtrisée. Celle-ci consiste d’abord, pour
elle, à s’affirmer en affirmant l’Autre
d’elle-même, ce qui
est autre qu’elle, puis à s’affirmer en
affirmant l’Autre dans elle-même,
ce par quoi elle est autre qu’elle-même. L’Autre
de la spéculation, c’est l’expérience,
le côté objectif de la vie; de même que
la spéculation a promu la vie, en son côté
subjectif – l’existence – comme son sujet,
de même la promeut-elle, en tant qu’expérience,
en objet d’elle-même. Mais l’activité
pensante ne peut maîtriser son identification à
la passivité, au pâtir, à l’épreuve
qu’est toute expérience que si elle intériorise
d’abord cette contradiction : on ne peut être
soi dans l’autre que si l’on a d’abord traduit
l’autre en soi-même. C’est pourquoi la spéculation
hégélienne est la maîtrise de soi d’un
acte de pensée qui se contredit au coeur de lui-même.
1. Spéculation et expérience
a. La promotion spéculative
de l’expérience
Hegel achève le mouvement, inauguré par Kant
et développé par Fichte et Schelling, de réunion
du contenu de l’expérience, tel qu’il se
livre a posteriori, et du contenu
de la raison philosophante, originairement a priori.
Kant faisait de l’a priori
la condition de possibilité de l’a
posteriori. Selon Fichte, ils se recouvrent
par leur contenu, et leur différence est celle de deux
modes d’appréhension de ce contenu : dans l’immédiateté
d’un fait (l’a posteriori)
ou dans la genèse de son sens (l’a
priori). Pour Schelling aussi, l’expérience
reçoit comme être ce que la philosophie construit
comme devenir. Mais, aux yeux de Hegel, la genèse fichtéenne
et la construction schellingienne sont limitées par
un formalisme répétitif qu’il s’agit
de dépasser. La spéculation hégélienne
veut exprimer en elle tout le contenu
sensé de l’expérience, mais aussi n’exprimer
que lui : « Il faut dire
que rien n’est su qui ne soit
dans l’expérience »(Phg.
E, VIII, cf : H, 2,p. 305 – L,
p. 519 – J L, p. 696), car, « de même que
l’esprit qui est là n’est pas plus riche
que la science, de même, en son contenu, il n’est
pas davantage plus pauvre »(ibid., cf. : H,
2, p. 310 – L, p. 528 – JL, p. 692). Une telle
équation n’a de sens et de portée véritable
qu’autant que c’est le contenu total, théorique
et pratique, extérieur et intérieur, de la conscience,
qui définit, pour Hegel, l’expérience,
ainsi prise par lui en un sens considérablement élargi
par rapport à la philosophie antérieure. Il
y insiste dans l’Encyclopédie
: « Il est important que l’on comprenne, au sujet
de la philosophie, que son contenu n’est aucun autre
que le contenu consistant… constitué en monde,
monde extérieur et intérieur de la conscience,
– que son contenu est l’effectivité. La
conscience la plus prochaine de ce contenu, nous la nommons
expérience » (Enc,
I, § 6, B, p. 168). Cette affirmation de l’identité
de contenu entre l’expérience et la spéculation
n’a rien de contingent : elle est fondée au coeur
même de la théorie hégélienne de
l’absolu comme théorie de l’identité
de l’être, conçu finalement en son sens
pur par la philosophie spéculative, et de sa manifestation,
reçue d’abord sensiblement par la conscience.
Un tel accord, spéculativement fondé, de la
spéculation et de l’expérience justifie
spéculativement celle-ci en la faisant intervenir positivement
dans le destin même de celle-là. D’abord,
de manière encore extérieure, dans les conditions
mêmes d’existence de la philosophie. Sa naissance
: « La naissance de la philosophie...
a l’expérience, la
conscience immédiate et raisonnante pour point de départ
» (ibid., § 12, p. 176). Son développement
: « C’est en un sens juste et profond que la philosophie
est redevable de son développement à l’expérience
» (ibid., Rem., p. 178). Sa fin : « Cet
accord [de la philosophie avec l’expérience]
peut être regardé comme une pierre de touche
au moins extérieure de la vérité d’une
philosophie » (ibid., § 6, p. 168). De
ce conditionnement général du contenu de la
philosophie par celui de l’expérience témoigne
le fait que l’histoire de la philosophie, tout en étant
spécifique, n’est pas séparable de l’histoire
culturelle, et qu’une philosophie, en sa relation négative
à la précédente, puise dans la culture
le matériau positif de sa novation. La formation même
de Hegel a illustré un tel thème. Son érudition
scientifique fut et resta encyclopédique, au sens courant
du terme. – Mais la justification spéculative
de l’expérience la fait transposer à l’intérieur
même de la démarche philosophique. Le principe
général de l’identité de l’être
et de sa manifestation, qui fait que « tout doit nécessairement
parvenir à nous d’une manière extérieure
» (Vorlesungen über die Philosophie
der Religion – Leçons
sur la philosophie de la religion – Ph.R
–, éd. Lasson, II, 2, Hambourg, F. Meiner Verlag,
1966, p. 19), et que le sens même doit se donner sensiblement
à nous, être perçu comme un donné
positif, se traduit, au coeur de
la spéculation, par la nécessité où
est celle-ci de trouver le contenu
signifiant dont elle prouve l’existence. La spéculation
hégélienne se vit bien, en toute son activité
démonstratrice, comme une réception, une perception
intellectuelle du contenu avéré. Elle lit le
sens vrai comme une objectivité idéale qui la
fait se constituer en une expérience spéculative.
Hegel répète que le mouvement de la spéculation
n’est pas celui, arbitraire ou, en tout cas, formel,
dans l’extériorité d’une méthode
générale, d’un sujet pensant faisant violence
à l’objet pensé, mais l’auto-mouvement,
toujours spécifié, du contenu objectif lui-même.
Le hégélianisme est bien la promotion spéculative
conséquente, et donc absolue, de l’expérience,
puisqu’elle va jusqu’à l’affirmer
d’elle-même et en elle-même.
b. Le dépassement spéculatif
de l’expérience.
Cependant, si, pour la spéculation, le sens est objet,
l’objet est précisément en lui-même
un sens, l’auto-détermination ou l’auto-différenciation
de son identité à soi qui définit la
raison. La promotion spéculative de l’expérience
est donc celle de la raison faite expérience, de la
réalité en tant qu’elle résulte
de l’agir efficient (wirken)
qu’est la raison, bref de l’effectivité
(Wirklichkeit). L’effectif
peut bien faire s’affirmer la raison philosophante,
puisqu’en lui c’est déjà la raison
qui s’affirme. Au fond, l’accord de la raison
et de l’expérience est l’accord de la raison
avec elle-même en ses deux usages, idéel et réel,
subjectif et objectif, spéculatif et mondain. Une telle
confirmation d’elle-même lui fait négliger
dans l’expérience le contenu irrationnel fait
de déterminations singulières (choses, événements),
voire particulières, répétitives, ou
même générales, dont l’inexistence
ne remettrait pas en question, en le rendant contradictoire,
le sens universel de l’être comme totalité
rationnelle.
Un tel existant extra-rationnel, non « effectif »,
simple possible en son être, purement contingent, constitue
le « positif » au sens précis du terme;
il est en dehors du champ de la spéculation. Il n’intéresse
que les sciences « positives », dont seuls les
principes et lois fondamentales font partie de l’encyclopédie
spéculative. La raison hégélienne n’a
jamais prétendu régir en son détail tout
le champ de l’expérience et de la vie. Elle sait
qu’il y a de l’irrationnel. Plus encore : elle
sait qu’il est rationnel qu’il y ait
de l’irrationnel, dans la nature, dans
l’histoire. Car cet irrationnel exprime l’essence
même de l’élément, du milieu, de
la différence que l’absolu identique à
soi a dû déployer pour s’y manifester ou
différencier, et qui, déployé absolument,
excède ce qui, de lui, est maîtrisé en
son contenu par cet absolu, sans pourtant pouvoir menacer
cette maîtrise. Par là, le positif, dont le contenu
échappe à la raison, lui est encore conforme
en son statut, et confirme ainsi
sa puissance. Seule une raison pleinement assurée de
sa puissance peut se montrer libérale !
Or, la raison ne peut ainsi maîtriser l’expérience
en la comprenant, c’est-à-dire en la prenant
ensemble, en l’unifiant ou identifiant – ce qui
suppose qu’elle l’ait différenciée
en son identité et en ses différences mêlées
au sein du tout syncrétique selon lequel elle s’offre
immédiatement à l’intuition – qu’en
mettant en oeuvre l’activité de différenciation
ou détermination qu’est l’entendement.
Cependant, la détermination
du tout ne peut ne pas nier purement et simplement celui-ci,
expression du vrai, que si elle se fait sa détermination
elle-même totale, le tout
des déterminations : retour rationnel
au tout intuitionné exploré
par l’entendement. La spéculation
hégélienne est l’actualisation accomplie
de cette raison qui élève l’expérience
à la vérité de son sens par le détour
de sa négation intellectuelle.
Le hégélianisme se construit contre la promotion
philosophique immédiate de
l’expérience, notamment prise comme révélation
géniale du vrai. La Préface de La
phénoménologie de l’esprit
dénonce vigoureusement les « discours prophétiques
» qui, dans un certain romantisme philosophant, méprisent
la détermination ou différenciation caractéristique
de l’entendement, et interdisent, par un tel culte de
la pensée immédiate, en même temps son
élévation à la scientificité et
sa communication universelle. Alors, on utilise les déterminations
du discours pour nier la détermination dans la pensée
et affirmer une identité dont le contenu est ainsi
purement formel. Contre une telle « philosophie de l’identité
», avec laquelle on a parfois confondu le hégélianisme,
Hegel rappelle que la spéculation vraie ne pose l’identité
qu’est en son fond l’absolu qu’à
travers sa différenciation de soi, c’est-à-dire
sa manifestation déterminée : « quand
l’on parle de philosophie de l’identité,
on en reste à l’identité abstraite, à
l’unité en général, et l’on
se détourne de ce qui seul importe, de la détermination
de cette unité en elle-même... La philosophie
tout entière est un système de la détermination
de l’unité... La chose principale est la différence
de ces déterminations de l’unité »(Ph.
R, I,1, p. 199).
Il faut donc faire l’éloge de l’entendement,
ce pouvoir de détermination, de limitation, qui, seul,
permet de faire quelque chose de grand, dans la pensée
comme dans l’action. D’abord, pris pour lui-même,
abstraitement, ce pouvoir de la différenciation, séparation,
abstraction, est le pouvoir le plus grand qui soit : «
L’activité consistant à séparer
est la force et le travail de l’entendement,
de la puissance la plus étonnante et la plus grande
qui soit, ou, plutôt, de la puissance absolue »(Phg.
E, Préface, cf : H, 1, p. 29 –
L, p. 48 – JL, p. 93); activité absolue, car
c’est l’activité même de l’absolu,
puisqu’agir c’est toujours nier et que, donc,
l’absolu, comme identité, ne peut, s’il
agit, que se différencier. Mais l’intervention
de l’entendement doit être appréciée
aussi positivement en sa destination : il brise, certes, l’unité
totale de l’intuition, toutefois en tant qu’elle
est confuse et pour permettre sa reconstruction maîtrisée.
C’est donc seulement quand il oublie cette finalité,
qui le relativise, et qu’il se fixe à lui-même
en s’absolutisant, que l’entendement mérite
les reproches que Hegel lui adresse également. Tel
est le cas de l’entendement à l’oeuvre
dans les sciences empiriques (souvent
mécanistes) et dans les philosophies réflexives
(analytiques); à son oubli du tout, Hegel oppose l’attention
que continue de porter à celui-ci, même au prix
de quelques contradictions, l’entendement naïf
du bon sens. Ce rappel du bon sens n’est pourtant pas
un rappel à lui, mais, bien plutôt, un appel
à dépasser l’entendement par lequel toute
culture doit passer. Ce dépassement est la raison.
Tout ce qui a sens doit, par conséquent, être
saisi par la spéculation selon les exigences de l’entendement
dépassé en raison. D’abord selon celles
de l’entendement, puis selon celles de son dépassement
rationnel. Mais ce dépassement, comme toute négation,
comporte lui-même deux étapes. Il n’est
réel, incontesté, qu’en tant qu’il
est l’oeuvre de ce qui pourrait le contester, c’est-à-dire
de l’entendement lui-même : son auto-dépassement,
son auto-négation, donc encore
son affirmation. La négation réelle de l’entendement
n’est alors vraie que comme la négation, seconde,
de son auto-négation, et c’est à travers
cette seconde négation que se pose la raison. C’est
cette seconde négation qui est décisive : elle
n’est pas du tout – contrairement à une
pratique assez répandue du commentaire hégélianisant
– une simple suite de la première.
Il y a donc trois moments dans la saisie spéculative
de tout sens offert à la conscience. 1) En son moment
d’entendement, la pensée
détermine ou différencie un sens d’un
autre en le posant comme identique à lui-même
en sa définition stricte (A est A). Un discours n’a
de sens, même quand il dit que rien n’a de sens,
qu’en restant identique à lui-même dans
les termes qu’il emploie; le souci hégélien
de la distinction des concepts, en leurs nuances les plus
fines, est, à cet égard, exemplaire. C’est
ce sens des distinctions, et des distinctions les plus nuancées,
qui doit habiter aussi le lecteur de Hegel, toujours tenté
par l’impatience qui lui fait lire, dans une détermination,
plus que ce qui lui appartient effectivement. 2) Mais le sens
d’un discours ne peut identifier réellement le
cours, le mouvement, la différenciation de ses termes
seulement identiques à eux-mêmes que si ceux-ci
s’identifient entre eux en se différenciant de
leur propre identité, en se niant; ce qu’exige
le caractère lui-même déterminé,
fini, de cette identité. Une telle négation
de soi d’une détermination constitue son moment
dialectique (A est non-A). Le dialectique
assure par là en même temps la différence
et l’identité d’un discours, sa réalité
et sa nécessité : « Le dialectique constitue...
l’âme motrice de la progression scientifique,
et il est le principe par lequel seul une connexion
et nécessité immanente vient dans
le contenu de la science » (Enc,
I, § 81,Rem., B, p. 344). Rien d’étonnant,
donc, à ce qu’il ait pu faire désigner
l’ensemble du processus spéculatif comme la dialectique.
Cependant, si la dialectique met l’être en mouvement,
c’est en l’anéantissant : le scepticisme,
qui s’en tient au dialectique, fait bien de l’auto-négation
de A un pur néant. Mais si, trouvant partout de la
contradiction, il conclut qu’il n’y a rien, c’est
parce qu’il identifie encore l’être à
l’identité à soi excluant toute différence
: il relève bien encore de l’entendement, dont
il est ainsi la simple auto-négation. Pris pour lui-même,
le dialectique libère la place pour la raison, mais
n’indique encore que négativement son être.
3) Pourtant, l’auto-négation de A, déterminée
par son sujet A, est, en vérité, un néant
déterminé, limité, nié, donc un
être négatif (A est non-[A égal à
non-A], soit B). Cet être ne peut alors qu’avoir
en lui, sans l’être, la contradiction, se contredire
sans être contredit, en donnant un sens nouveau au contenu
contradictoire ainsi recueilli et sauvé en son identité.
Dans le sens saisi comme ce qui s’identifie à
soi en sa différenciation, est posée la raison
elle-même. Tel est le moment absolu de la spéculation.
Il peut bien être appelé spéculatif,
car il permet au discours philosophique d’être
spéculatif en reflétant, sans y rien changer,
son objet : car celui-ci déjà, grâce à
lui, est un sens (par son identité à soi) en
tant même que discours (par sa différence d’avec
soi), bref un discours sensé.
Ainsi, la spéculation, sans aucunement le mutiler,
maîtrise rationnellement le tout que l’expérience
livre en son immédiateté massive sans offrir
de prise pour sa conquête. Cependant, la maîtrise
de l’altérité extérieure s’opérant
à travers la maîtrise de l’altérité
intérieure qui réfléchit la première,
le triomphe de la spéculation consiste, pour elle,
à maîtriser la dialectique ultime qui ne peut
pas ne pas l’aiguiser contre elle-même en son
moment spéculatif ou synthétisant. Dialectique,
non plus seulement dans la spéculation,
mais de la spéculation.
2. Spéculation et dialectique
a. Pensée d’un tout
et dialectique
La pensée qui n’est pas seulement pensée
d’entendement ou pensée dialectique, mais pensée
spéculative, ne s’effectue pas dans un acte absolument
simple, qui s’opposerait, comme synthèse, à
la thèse par laquelle l’entendement pose une
détermination et à l’antithèse
par laquelle il oppose celle-ci à elle-même.
L’acte spéculatif actualise en lui, en leur donnant
un sens à son propre niveau, le geste d’identification
et le geste de différenciation. Il s’effectue
à la fois comme identification de la différence
maintenue telle et comme différenciation de l’identité
tout autant maintenue telle. Ce qui fait apparaître,
dans le sens ainsi appréhendé, la synonymie,
exploitée par Hegel, de son caractère total
et de son caractère concret.
Le concret, c’est ce qui résulte d’un «
cum-crescere », d’un « croître-ensemble
». Croître : se déployer, s’étendre,
se distendre, se différencier; ensemble : en s’unissant,
unifiant, identifiant. Le concret, c’est bien ce qui
est à la fois, identiquement, identique à soi
et différent de soi, unité de l’unité
et de la multiplicité, totalité. Penser une
totalité, c’est alors identifier la différence
tout en différenciant l’identité, synthétiser
tout en analysant, par conséquent réunir deux
activités d’orientation opposées. L’entendement,
même philosophant, ne peut guère les mener ensemble,
en dépassant leur être contradictoire immédiat
dans une pensée se contredisant, c’est-à-dire
s’affirmant en son identité dans la domination
de leur jeu opposé. D’où l’extrême
rareté de la spéculation, qui exige de la pensée
une torsion inouïe sur elle-même.
Mais tout agir, y compris l’agir pensant, exigeant la
détermination, la difficile unification de la raison
spéculante doit être déterminée;
cette raison exploite donc l’un de ses éléments
déterminants pour orienter leur unification, soit l’identification
ou la synthèse, soit la différenciation ou l’analyse.
Dans la mesure où la spéculation est la totalisation
des totalités subordonnées que sont les déterminations
de l’absolu, son unité comme pensée totale
du tout requiert un choix général du style,
soit analytique, soit synthétique, de son exposition
de ce tout. Le choix hégélien est tel qu’il
accuse le caractère dialectique de la spéculation,
par la tension entre le tout exposé et l’exposition
de ce tout.
b. Pensée totale du tout
et dialectique
Que la pensée du tout soit – en vertu de l’identité
de l’être et de la pensée – une pensée
totale, c’est ce qui s’avère en elle par
la circularité qui la fait revenir, dans l’une
de ses déterminations ainsi prouvée comme la
dernière en son contenu, sur la première; l’analyse
du contenu de la spéculation hégélienne
le montrera. Mais le problème est, pour l’instant,
celui du sens du parcours d’un tel cercle. Faut-il partir
de l’absolu comme identité concrète de
toutes les différences ou différenciations de
l’être et suivre le mouvement – analytique
– par lequel il se différencie d’une telle
identité pour poser, exposer, extérioriser ces
déterminations ainsi libérées, mais dans
la précarité d’un être abstrait
? Voie de l’« émanation » ? Ou bien,
inversement, partir des déterminations abstraites,
simples en leur vacuité, sans vérité
et sans être, et suivre le mouvement – synthétique
– moyennant lequel être, pour elles, signifie
la composition de l’être plus concret, plus total
où elles peuvent subsister, et ce, jusqu’à
ce que soit posé l’absolu qui se pose soi-même
en posant toutes choses. Voie de l’«évolution»
?
Hegel choisit la voie de l’évolution, qui part
de l’abstrait, du fini, comme il est normal quand il
s’agit, pour le savoir absolu, de s’exposer, de
se différencier, de se rendre fini. Et c’est
seulement cette voie qui permet de poser le vrai comme vrai,
qui l’avère et le prouve en conférant
ainsi une nécessité scientifique à la
spéculation. Partir du concret ou du vrai, qui comme
tel, se suffit à lui-même et n’a besoin
de rien, c’est présenter son activité
d’auto-différenciation ou auto-détermination
comme absolument gratuite et libre, sans aucune nécessité.
Au contraire, partir de l’abstrait, qui se révèle
pour lui-même privé d’être, c’est,
puisqu’il y a de l’être, établir
l’être du concret qui nie un tel non-être,
et qui peut offrir à l’abstrait, non privé
de sens, l’être relatif d’une propriété
– d’un « moment » – de lui-même.
Alors, la progression spéculative de l’abstrait
au concret est pleinement fondée, et ce pour autant
qu’elle fonde le fondement:
c’est le non-être du point de départ qui
prouve l’être du point d’arrivée,
lequel, par la vérité de son sens, est bien
plutôt le point de départ. La progression
a la signification d’une régression.
La preuve spéculative est une médiation qui
se supprime elle-même en livrant l’immédiat
qui médiatise, bien plutôt, ce qui paraissait
le médiatiser. Formulation variée de la tension,
de la contradiction même, selon laquelle est mise en
oeuvre la spéculation hégélienne. Celle-ci
s’assume bien dialectiquement.
Mais, insistons-y, cette dialecticité est au service
du but spéculatif, celui de l’établissement
de la vérité absolue comme identité de
la pensée et de l’être. Alors que la paisible
déduction va du même au même en restant
dans le contexte de l’affirmation, la dialectique spéculative
exploite la vertu de la négation, plus précisément
de la double négation : elle expose l’auto-négation
de l’abstrait, pour lui-même faux, puis elle nie
cette auto-négation, et c’est alors que s’affirme
le concret ou le vrai. Car Hegel est en quête de l’affirmation
absolue, et il recherche l’être en la force de
sa parfaite identité à soi : il est fondamentalement
parménidien. Mais c’est un parménidien
exigeant, qui, pour être assuré qu’il n’érige
pas en être ce qui serait encore du non-être,
recherche partout la contradiction, pour la surmonter et s’en
délivrer : car tout est contradictoire, sauf le tout,
qu’il ne s’agit pas de proclamer prématurément.
D’où la patience infinie de la science spéculative
hégélienne, qui séjourne autant qu’il
le faut dans le négatif, pour que sa négation
soit complète, pour que sa contradiction soit totalement
contredite, par conséquent la vérité
absolument avérée. En Hegel, Parménide
triomphe à travers la libération totale d’Héraclite
! Le hégélianisme a bien voulu clore l’histoire
de la philosophie en faisant retour à son commencement
parménidien, mais par l’intégration, à
l’affirmation quasi ponctuelle de l’éternel,
de l’affirmation elle-même en devenir –
dans le flux de l’histoire – du devenir.
Ne peut-on pas dire, cependant, qu’une certaine dialectique
se joue encore d’une telle intégration spéculative
de la dialectique, dans la mesure où le devenir de
la spéculation hégélienne, de son premier
exposé total dans La phénoménologie
de l’esprit à son second exposé
total dans l’Encyclopédie des sciences
philosophiques, est plus qu’une simple
succession et introduit dans l’oeuvre de Hegel une véritable
tension?
c. Dialectique des deux pensées totales du
tout
Certes, Hegel présente La Phénoménologie,
en la publiant, comme la première partie, introductive,
du système scientifique dont l’Encyclopédie
devait constituer la seconde partie : après la science
comme relation introductive à elle-même, la science
en son exposition absolue. Mais, lorsqu’il publie l’Encyclopédie,
il n’est plus question, à ses yeux, de l’introduction
phénoménologique : l’économie totale
du système de la science est bouleversée, dans
la séparation du thème introductif et du thème
phénoménologique.
D’une part, le système encyclopédique
comprend, parmi ses moments, un moment « phénoménologique
», mais qui perd toute fonction introductive. Il exprime
une détermination particulière
de l’absolu comme esprit, la conscience, en laquelle
l’esprit se met à distance de soi, comme un objet
face à un sujet, et peut ainsi se donner en spectacle
à lui-même, s’apparaître, se phénoménaliser.
Réduite à l’étude d’une simple
forme de l’esprit, la phénoménologie de
l’Encyclopédie perd
le riche contenu qui introduisait la conscience au savoir
absolu hégélien comme aboutissement de l’histoire
de toute la culture. C’est là, il est vrai, perdre
ce par quoi La Phénoménologie de
l’esprit anticipait le contenu total de
la spéculation en en réfractant, et par là
compliquant, la dialectique à travers celle de l’un
de ses moments (la relation conscientielle : sujet-objet);
perdre, par conséquent, ce qui rendait l’introduction
plus difficile à lire que ce à quoi elle introduisait
!
C’est pourquoi, d’autre part, l’introduction
que l’Encyclopédie
ménage à elle-même n’a plus rien
de phénoménologique. Cette introduction au point
de vue absolu consiste dans la simple critique des autres
«positions de la pensée relativement à
l’objectivité» ou à la vérité,
c’est-à-dire des philosophies pré-hégéliennes.
Le Concept préliminaire [Vorbegriff]
de l’Encyclopédie –
l’introduction en question – fait ainsi appel,
non plus à la raison complexe mobilisée par
La Phénoménologie,
mais à l’entendement philosophant, certes au
nom de la raison, mais selon son style libre, pour juger de
ses usages non rationnels. Telle est la nouvelle introduction
que Hegel dit vouloir substituer, dans l’Encyclopédie,
à La Phénoménologie.
Au demeurant, il tend désormais à souligner
que la décision de philosopher spéculativement,
la liberté s’accomplissant librement en la pensée
qui s’oublie totalement dans l’être pensé,
excède tous les conditionnements subjectifs d’une
telle décision.
Cependant, Hegel n’oublie aucunement La
phénoménologie de l’esprit,
et la mort le surprend même en train de procéder
à une refonte de l’ouvrage, peu après
qu’il a publié une troisième édition
de l’Encyclopédie des sciences philosophiques.
Comme si son oeuvre se vivifiait dans cet échange entre
ses deux grandes versions totales d’elle-même,
s’incluant l’une l’autre par les correspondances
qui ont été soulignées entre elles, et
pourtant exclusives l’une de l’autre précisément
par le sens total de chacune d’elles.
III – LA PHÉNOMÉNOLOGIE
SPÉCULATIVE
1. Le sens du développement phénoménologique
a. Sa portée
La Phénoménologie de l’esprit
n’est pas, quoi qu’on ait répété,
un ouvrage pédagogique s’adressant
à la conscience naturelle ou commune pour la conduire
au savoir absolu. Sa difficulté sans égale dans
le hégélianisme montre assez que Hegel parle
à une conscience déjà, non seulement
philosophique, mais spéculative, capable de saisir
la nécessité dialectique de l’élévation
du savoir naturel au savoir absolu. L’ouvrage n’introduit
pas (par l’effet de sa lecture) à la spéculation.
Il démontre la nécessité, pour la conscience
animée par le souci impérieux de la vérité,
et de la vérité totale, de s’introduire
– en s’arrachant à sa fixation à
tel ou tel moment ou aspect d’elle-même –
au savoir absolu qui, seul, fait s’identifier concrètement
ou se totaliser tous ses pouvoirs. Il est une justification
spéculative de l’élévation de la
conscience au savoir spéculatif hégélien.
Au fond, Hegel s’adresse à lui-même et
justifie sa propre élévation au hégélianisme.
Il veut prouver à la conscience refusant la contradiction
et assumant ainsi, librement, sa destination foncièrement
philosophique, mais toujours tentée de se reposer et
fixer en l’une de ses déterminations –
la certitude sensible, le désir du plaisir, la science
d’entendement, le service de la cité, le culte
de l’art, l’engagement religieux... –, que
le sensualisme, le scientisme, l’étatisme, l’esthétisme,
le fidéisme...,et les philosophies qui les exaltent,
sont contradictoires. Et que, donc, vivre totalement, pleinement,
librement en philosophant, c’est vivre en se comprenant
de façon hégélienne.
b. Son contenu
Ce moteur est la dialectique du savoir conscientiel en la
dualité (sujet-objet) duquel s’apparaît,
se phénoménalise l’absolu comme esprit
ou savoir. L’opposition de l’objet à l’identité
à soi du sujet le fait s’opposer à lui-même
en lui-même, et, donc se révéler pur non-être
au sujet; mais celui-ci, qui n’a de sens que par rapport
à l’objet, vit alors son propre anéantissement.
L’expérience de la conscience, l’expérience
qu’est la conscience – puisque l’objet est,
en tant qu’autre que le sujet, trouvé, reçu,
éprouvé par lui – est bien, au sens négatif
du terme, une « épreuve », un « calvaire
», un « chemin du désespoir ». Cependant,
la loi de la dialectique spéculative fait que l’auto-négation
d’une forme de la conscience est niée elle-même
dans la position d’une nouvelle forme, plus concrète
et plus vraie, d’elle-même, jusqu’à
ce que se pose le savoir absolu; celui-ci totalise à
ce point son contenu qu’il y est immédiatement
présent à lui-même, dans le dépassement
de l’opposition conscientielle. Comme le savoir phénoménal
est cette dialectique spéculative
qui enchaîne l’auto-négation d’une
forme de la conscience et la position d’une nouvelle
forme, il ne l’a pas : seul
la sait en sa nécessité le phénoménologue,
savoir absolu sachant absolument son apparition comme clôture
de toute apparition, de tout phénomène, de l’esprit.
c. Son procédé
La contradiction du savoir phénoménal, qui mobilise
le développement de celui-ci, est manifestée
de la façon suivante. Le savoir de l’objet distingue
de lui-même, en tant qu’il est savoir de l’objet,
ce avec quoi, en tant que savoir,
il doit cependant être identique, et qui constitue ainsi
pour lui une norme dont il a l’idée. Cette idée
normative du vrai est celle de l’identité
à soi du contenu objectif, différencié,
dont la conscience fait l’expérience, ou plutôt
d’un aspect, d’un moment sélectionné,
par nécessité, au sein de la richesse infinie
de ce contenu; c’est cette idée, à chaque
fois déterminée, du vrai que le savoir veut
actualiser dans chacune de ses effectuations, qu’il
expérimente et vérifie. Mais, identité
abstraite, différenciée, elle ne peut permettre
d’identifier la différence de l’expérience,
et c’est pourquoi la conscience doit procéder
selon une démarche plus concrète pour réussir
cette identification. Le succès de celle-ci la fait
s’objectiver en une identité qui définit
la nouvelle idée du vrai : « Ce nouvel objet
contient la nullité du premier : il est l’expérience
faite sur lui »(Phg. E, Introduction,
cf. H, I, p. 75 – L, p. 89 – JL, p. 143).
Mais l’objectivation de l’identification
subjective dans une identité qui, comme objective,
est plongée dans le milieu de la différence,
condamne cette identité à ne pouvoir définir
une règle d’identification adéquate de
l’expérience. Et ce, jusqu’à ce
que l’identification et la différenciation (ou
objectivation) soient tellement identifiée en celle-là
comme identification rationnelle que son objectivation soit
son absolue confirmation.
d. Son ordre
La Phénoménologie
analyse le développement de la conscience réelle
selon ses grands « moments » : ce terme, pris
spéculativement, n’a pas de sens temporel, mais
désigne un degré dans l’ordre de fondation
de l’être. Ainsi, conscience, conscience de soi,
raison, esprit, religion et savoir absolu n’ont pas
d’existence autonome et, par conséquent, ne constituent
pas, par eux-mêmes, des « figures » réelles,
auto-suffisantes, de la conscience : celle-ci, au sens large
du mot, n’existe jamais seulement comme « conscience
» (stricto sensu : conscience
de l’objet comme tel), ou comme conscience de soi, etc.
L’étude successive des moments de la conscience
expose donc la dialectique, non existentielle, mais essentielle,
qui montre qu’un moment, même complètement
développé, ne peut être que comme porté
par le moment suivant; celui-ci devient alors l’objet
de l’analyse, qui le ressaisit d’abord en sa manifestation
la plus simple. Par exemple, la pleine conscience de l’objet
– comme saisie intellectuelle de l’être
vivant – requiert manifestement la conscience de soi,
dont la figure initiale est le désir. Le premier moment
étudié est donc le savoir en son aspect immédiat,
en sa structure la plus simple : telle est la « certitude
sensible », présence directe au sujet d’un
objet réduit à un « ceci » sensible.
Mais ce savoir élémentaire ne se révèle
être réellement un savoir qu’inséré
dans le savoir en son moment le plus concret, synthèse
ou totalisation de tous les moments examinés antérieurement.
Cette dialectique des moments de la conscience établit
la fausseté des philosophies qui absolutisent ces moments
– sauf le dernier, qui se dit dans le hégélianisme
– en eux-mêmes privés d’être.
Si la dialectique des moments de
la conscience ne signifie donc par leur succession réelle,
il y a, par contre, une dialectique réelle dans
chaque moment : celle des « figures » qui, par
exemple, fait passer, à l’intérieur de
la « conscience », de la certitude à la
perception, puis à l’entendement. Cependant,
une distinction s’impose encore. Les figures des trois
premiers moments (conscience, conscience de soi, raison) sont
successives, mais non historiques, alors que celles des moments
suivants déterminent le sujet communautaire –
l’« esprit » – dont le temps lui-même
universel est l’histoire : cet esprit se développe
à travers les figures de l’antiquité païenne,
puis du monde chrétien de la culture... Ce qui ne fait,
certes, pas de La Phénoménologie
un ouvrage de philosophie de l’histoire, car Hegel choisit
dans l’histoire des étapes significatives par
leur sens interne, sans penser pour elle-même la nécessité
objective de son devenir.
Le grand point d’inflexion de la dialectique phénoménologique
marque le passage des figures de la conscience individuelle
aux figures de l’esprit qui est un monde. Seul, cet
esprit, le Soi communautaire, existe par lui-même, tandis
que le Moi individuel, même s’élevant à
l’universalité rationnelle, n’a pas d’existence
indépendamment de son socle communautaire ; La
Phénoménologie situe l’affirmation
individualiste à l’intérieur du monde
de l’esprit, comme sa figure historique moderne. Le
sujet effectif de tout le savoir conscientiel – du contenu
de la phénoménologie de l’esprit
–, c’est, en vérité, l’«
esprit », qui s’actualise dans ses divers modes,
comme conscience, conscience de soi, raison et, en se dépassant
lui-même sur son propre sol, comme religion, puis savoir
absolu. L’articulation fondamentale de la conscience
est alors celle qui fait diverger l’esprit en son moment
réel, socio-politico-culturel (Chapitre VI : L’esprit),
et en son moment idéel (Chapitre VII: La religion).
Les figures vraies, accomplies, de ces deux aspects de l’esprit
: la « belle âme » où se volatilise
l’objectivité historique, et le sujet absolu
où l’essence s’incarne, sont ce dont la
réunion négative produira le savoir absolu.
2. Le contenu du développement phénoménologique
a. La dialectique de la conscience
La conscience en général, savoir qui distingue
de soi ce qui est su en le saisissant sous une forme
objective, vise d’abord sous cette forme un contenu
lui-même objectif, l’objet au sens matériel
du terme, la chose. Telle est la conscience au sens précis
du mot. Pour elle, le vrai est l’objet, en tant que
son altérité le fait rencontrer d’abord
dans la surprise d’un « il y a » : l’objet
sensible singulier, le « ceci
» – « ici » ou « maintenant
» – de la certitude sensible.
Mais le savoir d’un tel objet se vit comme son appropriation
ou sa maîtrise dans l’identification à
soi d’un matériau sensible divers, alors nécessairement
saisi comme synthétisé, unité d’une
pluralité, donc universalité.
Le ceci ne peut être su qu’à travers un
mouvement d’appropriation qui le constitue en un «
ceci » synthétisant plusieurs « ceci »,
une « chose » réunissant
en elle plusieurs données sensibles alors rabaissées
à de simples « propriétés
» d’elle-même. La conscience comme perception
s’emploie à prendre possession de ce nouvel objet,
l’objet sensible universel. Mais elle va éprouver
qu’elle ne peut vraiment saisir en leur identité
– constitutive du vrai – l’identité
à soi de la chose et la différence de ses propriétés
que si elles ne sont pas des réalités sensibles,
en tant que telles exclusives, mais des idéalités
pouvant comme telles passer l’une dans l’autre.
L’objet vrai, c’est donc l’objet non sensible,
intelligible, dont la détermination ou différence,
qui lui permet de se traduire sensiblement (comme le divers
sensible), est posée par son identité, laquelle
est réciproquement posée par la première.
Un tel objet, fait de la différenciation de soi de
l’identité (l’expansion, la répulsion)
et de l’identification de la différence (la contraction,
l’attraction), c’est la force.
Celle-ci est pensée par l’entendement, mais encore
comme réalité sensible; contradiction supprimée
quand l’entendement pense l’intelligible comme
intelligible ou comme l’intérieur
des choses. Pensé comme intérieur des choses,
il devient la loi. Mais la pensée
de la loi ne peut vraiment identifier l’identité
posée en celle-ci et la différence de ses termes
qu’en la visant comme vie
: car le vivant différencie immédiatement son
identité en des membres qui n’ont d’être
que dans leur non moins immédiate identification en
leur tout organisé. Or, un tel processus, par lequel
ce qui est identique à soi se différencie de
soi en s’identifiant aussitôt avec soi dans cette
différenciation, est immédiatement réalisé
pour la conscience dans sa conscience d’elle-même.
La conscience de soi est, pour elle-même comme sujet,
la visée d’un objet qui n’en est pas un,
puisqu’il est le sujet lui-même (Moi=Moi). L’objet
vrai ne peut être su qu’autant que le sujet se
sait lui-même.
Ce caractère essentiel de la conscience de soi est
bien vécu immédiatement par celle-ci, qui n’est
pour elle-même qu’à travers la négation
de l’objet; telle est l’expérience du désir.
Le développement phénoménologique établit
ainsi que, non pas en son existence, mais en son sens, la
conscience de soi conditionne la conscience (de l’objet).
b. La dialectique de la conscience
de soi
Le soi est nécessairement pour lui-même ce qui
est vrai. Mais il l’est d’abord en son immédiateté,
c’est-à-dire comme Soi singulier.
Comme tel, il a à avérer, à confirmer
son identité à soi, dans l’expérience
qu’il fait de son rapport à un autre Soi singulier,
l’Autre, l’objet qui compte désormais pour
lui. C’est là le processus de la reconnaissance.
Celui-ci ne réalise pas sa destination : que le sujet
soit reconnu comme sujet par l’autre sujet reconnu lui-même
comme tel par le premier et donc comme capable d’une
reconnaissance ayant quelque prix. Les sujets ne pouvant se
confirmer tels qu’en niant en eux l’existence
simplement objective, la vie même, le processus de la
reconnaissance est un combat à la vie et à la
mort. Or, celui-ci ne peut se terminer positivement, dans
le maintien de la vie de chacun, que si l’un des sujets
renonce à nier la vie, trop attaché qu’il
reste à la sienne propre et se fait objet de l’autre,
qui s’impose alors à lui comme sujet élevé
au-dessus de la vie, puisqu’il ne craint pas la mort.
Cependant, le sujet reconnu – le maître –
ne réalise pas dans sa vie même la signification,
ainsi purement formelle, de sa maîtrise reconnue : son
désir garde un caractère naturel, puisqu’il
ne nie pas réellement sa nature dans un travail qu’il
fait bien plutôt faire par le sujet non reconnu, l’esclave.
Quant à celui-ci, il réprime bien sa nature
dans le travail, se maîtrise effectivement en se faisant
ce qu’il est, mais cette maîtrise n’est
pas pour lui-même, qui se juge bien plutôt comme
un simple objet à travers le regard sur lui de son
maître. Il y a donc une contradiction : ou bien un pour-soi
pour lui-même, mais formel, ou bien un pour-soi réel,
mais non pour lui-même. La négation de cette
contradiction est la position du pour-soi comme pour-soi à
la fois réel et pour lui-même, du maître
qui travaille ou du travailleur qui est son propre maître.
Mais le travailleur qui maîtrise son travail, c’est
le travailleur intellectuel, le penseur.
Le sujet ne peut se confirmer comme sujet qu’en tant
qu’il se comporte comme sujet pensant; s’affirmant
par là en son universalité.
Le sujet comme sujet s’universalisant dans la pensée
se confirme dans l’objet redevenu son Autre en en faisant
un être pensé : il
se retrouve dans le monde empirique, et par là s’en
libère, en l’insérant dans les déterminations
universelles de la pensée. L’absolutisation d’un
tel moment de la conscience sera le stoïcisme,
et c’est par cette concrétisation historique
que Hegel exemplifie ce qui n’est qu’un moment
abstrait présent en toute connaissance humaine. –
Mais le sujet pensant ne peut établir absolument sa
souveraineté sur l’objet que si, ne se contentant
pas de le faire être en le pensant (maîtrise relative),
il le fait disparaître en son être pensé
(maîtrise absolue). C’est ce pouvoir négateur
de la pensée qu’a illustré son absolutisation
historique dans le scepticisme.
– Or, la conscience pensante, universelle, ne triomphe
qu’autant qu’elle peut nourrir sa négativité
du contenu mondain reçu par le conscience singulière
(d’abord sensible...). Elle ne peut donc pas ne pas
se vivre comme conscience double, opposée à
elle-même, par là malheureuse.
Mais le malheur répugnant à lui-même,
se niant, la conscience malheureuse s’oppose spontanément
la conscience vraie comme réunissant en elle l’essence
universelle (pensante) et l’existence singulière
(sensible). Elle s’emploie alors à la réaliser
en elle en supprimant se propre singularité, qui l’en
sépare; mais, dans cette ascèse et mortification,
elle s’affirme encore comme l’agent singulier
de celle-ci. Elle est alors nécessairement conduite
à l’idée que seule une autre conscience,
comme elle singulière pour pouvoir la
sauver, mais identique déjà à l’essence
universelle, pour pouvoir la sauver,
peut faire se réaliser en elle l’identité
de la singularité et de l’universalité,
de la sujectivité et de l’objectivité,
de la conscience de soi et de la conscience. Mais ce Médiateur
(figure très abstraite et exemplifiable de façon
multiple) n’est que l’idéalisation de soi
que la conscience ne peut pas ne pas réaliser en elle-même
en se faisant conscience rationnelle.
c. La dialectique de la raison
La conscience rationnelle affirme le vrai comme identité
du sujet et de l’objet, du Soi et de l’être.
Le Soi est donc pour lui-même la certitude d’être
toute réalité. Cependant, cette assurance subjective
s’oppose à la réalité même
de la différence du sujet et de l’objet, toujours
éprouvée par la conscience comme telle. Celle-ci,
qui nie ainsi par sa condition objective son idée d’elle-même
posée alors comme but, doit réaliser, objectiver,
vérifier une telle idée d’abord seulement
subjective.
La raison entreprend de se vérifier, dans le développement
phénoménologique, d’abord comme identification
théorique, donc à
travers l’objet
même, du sujet et de l’objet. Elle
s’affirme ainsi comme raison qui se cherche dans l’objet
alors exploré et observé. Cette raison
observante se déploie dans l’étude
de la nature objective, puis de la nature subjective, psychologique,
enfin de leur rapport. Mais tout ce déploiement de
la recherche de l’identité du sujet et de l’objet
comme identité objective
avoue sa fausseté dans son résultat absurde
: « l’être de l’esprit est un os ».
L’identité du sujet et de l’objet ne peut
être que subjective, non pas
de l’ordre de l’être, mais de l’ordre
du faire, du se-faire.
La raison est ainsi l’identification pratique,
subjective, du sujet et de l’objet.
Cette «effectuation de la conscience de soi rationnelle
par elle-même» parcourt trois étapes à
travers lesquelles cette conscience de soi se donne un contenu
de plus en plus universel. C’est d’abord comme
singulière qu’elle veut produire son identité
avec l’objet dans le plaisir.
Puis comme unité immédiate de sa singularité
et de son universalité, donc à travers la loi
du coeur, qu’elle se mobilise contre le
monde à transformer. Enfin, comme universelle, qu’elle
cherche à y réaliser la vertu,
mais en découvrant finalement qu’il contient
déjà lui-même une universalité.
C’est bien l’universalité qui peut médiatiser
le sujet et l’objet alors complices dans une réalisation
par là rationnelle de la
raison.
Une telle réalisation rationnelle de la raison consiste,
pour la conscience, à assumer l’identité
du sujet et de l’objet comme une identité qui
est pour autant qu’elle est
opérée et qui est
opérée pour autant
qu’elle est. Cette identité
de l’être et de l’à-faire est l’affaire
ou la Chose même (Sache selbst),
une « cause » dans laquelle l’individu s’engage.
Mais l’identité de l’être –
universel et objectif – et du Soi – principe subjectif
de détermination –, en tant qu’elle est
d’abord affirmée immédiatement, ne médiatise
pas en eux-mêmes ses termes l’un avec l’autre.
Leur lien ainsi extérieur à eux, formel, donc
subjectif, échoit par là au Soi. Celui-ci, en
son souci de rationalité, se fait alors « raison
législatrice » puis « raison examinant
les lois » : mais une telle affirmation subjective
de la raison fait poser – arbitrairement – comme
également rationnels des contenus pratiques contradictoires,
dont l’existence révèle le non-être
de celle-là. Ce qui est, c’est, par conséquent,
l’unité objective du
Soi et de l’être, du singulier et de l’universel,
le Soi universel objectif, l’« esprit ».
d. La dialectique de l’esprit
L’esprit ce n’est pas la raison que l’on
ne fait qu’avoir, mais la
raison en tant qu’on l’est:
l’universel ne peut être affirmé réellement
que par lui-même, non par la singularité d’un
Moi; l’identité ne peut être au terme si
elle n’est pas à l’origine. C’est
dire que l’identité du Soi et de l’être
n’est pas d’abord seulement posée dans
et par le Soi comme contenu-but d’une certitude subjective
d’être toute réalité, contenu-but
qu’il s’agirait de retrouver dans la réalité
ou de poser en elle. Elle est, bien plutôt, une identité
vécue originairement comme étant,
une vérité à
laquelle la conscience se sait participer. Or l’être,
en tant qu’il est l’identité de Soi et
de l’être, le sujet objectif ou l’objet
subjectif, c’est un Nous,
le sujet communautaire, «l’individu qui est un
monde».
Une telle identité est d’abord vécue par
le Soi comme l’englobant immédiatement dans le
Nous : telle est la vie éthique (Sittlichkeit)
pleinement réalisée dans l’antiquité
grecque. Le développement impérial – romain
– de la cité distend le lien de l’individu
et du tout, du sujet et de son monde : ou plutôt, puisque
ce lien est nécessaire, le fait exister comme non-lien,
aliénation du Soi à ce qui reste sa
substance. Mais l’universel substantiel ayant toujours
prise sur la singularité subjective qui s’est
aliénée à lui, cette aliénation
survenue naturellement s’aliène à elle-même,
aliénation seconde qui constitue la culture.
Tel est le monde moderne, celui de la reconquête, par
l’auto-négation des individus, du tout ainsi
constitué volontairement par eux : la Révolution
française, qui en est l’aboutissement, veut bien
reconstruire contractuellement en son État la communauté
naturelle de la Cité antique. Mais l’échec
– dans la Terreur – de l’entreprise de reconstruction
extérieure, socio-politique,
de l’identité spirituelle de la singularité
et de l’universel, libère sa reconstruction
intérieure, proprement morale, entreprise
dont le sol est essentiellement allemand. Dans la moralité,
où l’esprit est certain de lui-même comme
réconciliation de Soi et de l’être, la
subjectivité va s’affirmer comme étant,
en elle-même, la substance absolue. Telle sera la «
belle âme » romantique, figure ultime du processus
historique de l’esprit parvenu au seuil du savoir absolu.
Le sujet s’affirme, en elle, dans sa forme absolue,
par la dissolution ironique de toute barrière objective.
Cependant, l’absolutisation de soi du sujet singulier
se faisant substance universelle ne peut échapper au
vide du sujectivisme que si elle s’objective dans l’intériorité,
en s’assumant comme la reprise subjective du mouvement
objectif par lequel l’essence
substantielle se fait sujet singulier. Mais la conscience
de ce mouvement fondateur où l’essence infinie
se fait elle-même l’identité, le lien d’elle-même
et du Soi fini, c’est la religion.
e. La dialectique de la religion
La conscience religieuse se vit d’abord comme le lien
humain de l’homme à un Dieu qui est pour lui-même
et qui sera saisi seulement au terme du développement
de celle-là comme lien divin de lui-même à
l’homme. La dialectique de la religion est donc le mouvement
progressif de sa fondation, comme telle, en Dieu lui-même,
qui va finalement se révéler comme étant
en lui-même religion, et, du même coup, révéler
la religion comme étant en elle-même divine,
et non pas seulement humaine. La religion, comme conscience
de l’identité absolue du Soi et de l’être,
appréhende d’abord cette identité sous
la forme de son moment immédiat, celui de l’être
: telle est la religion naturelle,
qui immerge le Soi divin dans la nature et les objets naturels.
La deuxième figure de la religion consiste, pour celle-ci,
à saisir l’identité divine du Soi et de
l’être sous la forme de son moment médiat,
celui du Soi : le dieu est l’objectivation du Soi qui
se crée son être au lieu de le trouver, et telle
est la religion-art. Enfin, en sa
troisième et ultime figure, la religion se représente
Dieu sous la forme même de l’identité du
Soi et de l’être, de l’esprit et de la nature
: l’Esprit incarné, le Dieu-Homme. Alors, dans
le christianisme, l’essence de la religion, le lien
entre Dieu et l’homme, est posé, manifesté
dans son objet lui-même. Telle est la religion
manifeste, qui clôt le développement
de la religion par ce retour d’elle-même à
son principe essentiel.
Mais la religion, même achevée, demeure une conscience
de l’identité vraie de l’être et
du Soi, qu’elle continue d’objectiver et séparer
d’elle-même. Le contenu absolu est encore en quête
de la forme absolue de sa présentation.
f. Le savoir absolu
Il naît de la réunion de la forme
absolue du savoir, présente abstraitement – dans
le vide de tout contenu – au sein de la belle âme
où se clôt le devenir réel historico-culturel
de l’esprit, et du contenu
absolu encore accueilli dans la forme limitée de la
conscience chrétienne. Cette
réunion exige le dépassement du subjectivisme
de la belle âme, qui dissout finalement le sujet, et
de l’objectivisme qui affecte encore la réconciliation
avec elle-même de l’âme chrétienne
par ailleurs cultivée, qui ne pense pas véritablement
un contenu absolu alors voué à la précarité
suffisamment attestée par les vicissitudes de l’histoire
du christianisme. Le penseur spéculatif, dont l’histoire
de la philosophie a formé la démarche pensante,
anime celle-ci en exploitant conjointement la proposition
de la belle âme, où se récapitule l’histoire
réelle de l’esprit : « Le Soi est Être
», et la proposition du christianisme accomplissant
l’histoire idéelle de cet esprit : « L’Être
est un Soi ». Certes, une telle réunion, nécessairement
opérée par son terme actif, le Soi libéré
par la belle âme, ne pouvait subvenir qu’après
l’apparition de celle-ci, c’est-à-dire
au terme du mouvement historique de réalisation culturelle,
socio-politique, du dogme chrétien. Mais, en l’opérant,
ce Soi se dépasse lui-même en se faisant le Soi
rationnel alors capable d’exploiter le contenu concret
de la révélation christique. Le vrai, comme
une telle unité du sujet absolu et de l’objet
absolu, constitue le savoir absolu.
Cependant, le savoir absolu n’est ici réalisé
qu’en son sens général. Il n’est
que la « science en général » ou
le « savoir » comme tel. Mais, en rester là,
ne pas développer, différencier ce savoir, à
partir de lui-même, en une science complètement
déterminée, le maintenir, comme principe du
savoir, à côté
du savoir déterminé hérité de
la conscience non spéculative, c’est se condamner
à nourrir le premier par le second, dans l’extériorité
d’une simple « application ». C’est,
aux yeux de Hegel, ce que fait Schelling, qui remplit la simple
forme du savoir absolu d’un contenu hétérogène
reçu d’ailleurs, et pratique ainsi un mélange
de formalisme et d’empirisme. Il faut donc, tout au
contraire, laisser le savoir absolu s’auto-déterminer
en la richesse d’une encyclopédie philosophique.
IV. L’ENCYCLOPÉDIE SPÉCULATIVE
1. Sens du développement encyclopédique
a. La dialectique encyclopédique
Dans le savoir absolu se déployant encyclopédiquement,
l’absolu se sait selon toutes ses déterminations.
De la plus simple, la plus immédiate, la plus inévitable
: « être », mais qui étant la plus
abstraite, la plus détotalisée, la moins concentrée,
a le moins de force pour être. Jusqu’à
la détermination la plus éloignée de
l’être par son sens, la plus complexe, concrète
ou totale, et qui, parce qu’elle est ainsi la plus unie
en sa richesse la plus grande, a le plus de force pour être;
le plus de force aussi pour faire être également
même celle qui a le moins d’être, l’«
être » initial par la position ou la pensée
duquel elle se définit : car l’absolu se détermine
bien finalement comme la pensée de l’être,
le savoir spéculatif absolu dont le premier acte, dans
l’Encyclopédie, est
de penser l’être. Et, entre l’absolu comme
être et l’absolu comme pensée de l’être,
toutes ses autres déterminations s’ordonnent
entre elles, de sorte que chacune est fondée en son
être abstrait par la suivante, à laquelle elle
fournit son contenu alors concrétisé. Chacune
de ces déterminations, relativement, et la détermination
ultime, absolument, sont ainsi posées, à partir
des déterminations antérieures qu’elles
présupposent, comme se posant elles-mêmes en
posant complètement – abstraitement et concrètement
– leurs présuppositions.
Prenons un exemple, le plus simple, le premier ! Quel que
soit l’absolu, il est. Mais s’il n’était
qu’être, il ne serait pas : en effet, l’être,
sans contenu déterminé, n’est rien, il
est aussitôt néant; cependant, affirmer le néant,
c’est encore dire qu’il est. L’être
est donc nécessairement, mais il ne peut être
seulement : être, ni, non plus : non-être, puisqu’il
y a passage immédiat entre être et non-être.
Ce qui est, c’est ce passage, le devenir. Comparativement
: être et non-être, à leur niveau, sont
contradictoires, donc ne sont pas, mais, dans leur unité,
le devenir, qui, par eux, se contredit, ils profitent de l’être
de celui-ci, ils sont sauvés en leur abstraction.
En elle, ils reçoivent même un sens concret,
plus vrai et plus réel : l’être, comme
« moment » du devenir, comme devenu, est passage
du néant à l’être, apparaître,
et le néant, comme devenu, est passage de l’être
au néant, disparaître. Exprimé en sa vérité,
tel qu’il se pose, le devenir est ainsi l’unité,
non plus de l’être et du néant, mais de
l’apparaître et du disparaître. Comme tel,
il a pleinement posé sa présupposition et par
là, s’est pleinement posé lui-même.
Mais la dialectique s’empare aussitôt de lui...
On voit que la position de soi de l’absolu se déploie
à travers la dialectique de ses déterminations
ou prédicats : être, devenir, etc., qui constituent
à chaque fois son contenu. Le sujet de ces prédicats,
l’absolu, n’est lui-même posé que
par le dernier d’entre eux, dont le sens est leur totalisation,
comme telle auto-suffisante et, par là, auto-constituée
en sujet. – Cela signifie, du point de vue de la connaissance,
gnoséologiquement, que la
spéculation hégélienne utilise la proposition
habituelle au discours en quelque sorte à contresens
: cette proposition identifie statiquement le prédicat
au sujet présupposé, alors que la spéculation
compose dynamiquement le sujet à travers la dialectique
de ses prédicats. Ce qui fait que le sens de chacune
des propositions spéculatives ne se livre que par leur
totalisation, et qu’on ne peut donc vraiment lire l’Encyclopédie
qu’après l’avoir lue, donc en la relisant
! – Du point de vue de l’être, ontologiquement
parlant, il faut dire qu’aucune détermination
de l’absolu n’a d’être par elle-même,
puisqu’il n’est lui-même, le sujet de toutes
ses déterminations, qu’en étant leur totalisation
dans la dernière d’entre elles, à savoir
la science spéculative elle-même, dont l’auto-position
clôt sa propre mise en oeuvre.
b. Les étapes du développement
encyclopédique
L’absolu est pour Hegel l’être total, c’est-à-dire
comportant en lui-même une pluralité ou une différence,
une identité, et l’identité de cette différence
et de cette identité non simplement juxtaposées.
Se déterminer, c’est donc, pour l’absolu,
exposer sa totalité selon l’un de ses trois moments
constitutifs fondamentaux : l’identité à
soi, la différence d’avec soi, et l’identité
des deux. Chacun de ces moments est
donc institué en « élément
» ou milieu
de l’exposition du tout, lequel s’expose ainsi
trois fois, à chaque fois comme tout de ses trois moments,
mais à chaque fois aussi réfracté en
tant que tel à travers l’un de ces moments promu
en élément ou milieu de vie du tout. Hegel décrit
bien ainsi l’organisation du tout de la science spéculative
ou de ce que – reprenant sa définition par Kant
comme totalité rationnelle – il appelle l’«
Idée » de la philosophie : « Chacune des
parties de la philosophie est un Tout philosophique, un cercle
se fermant en lui-même, mais l’Idée philosophique
y est dans une déterminité ou un élément
particuliers... Le Tout se présente par suite comme
un cercle de cercles, dont chacun est un élément
nécessaire, de telle sorte que le système de
leurs éléments propres constitue l’Idée
tout entière, qui apparaît aussi bien en chaque
élément singulier »( Enc,
I, § 15, B, p. 181).
Il y a trois grands cercles, trois « parties »
de la science encyclopédique. 1) L’absolu, comme
totalité qui s’expose dans la dialectique de
ses trois moments à travers l’élément
promouvant le moment de l’identité à soi
ou de l’universalité, est l’Idée
logique; il s’agit de la totalité
rationnelle de l’être, envisagée en son
sens, et s’organisant donc en des déterminations
qui, en leur idéalité, sont dans l’identité
les unes à l’égard des autres. 2) Puis,
comme totalité s’exposant dans l’élément
procuré par son moment de la différence d’avec
soi, l’absolu se réalise comme nature;
dans la nature, l’absolu déploie ses déterminations
en les dispersant comme différentes les unes des autres,
extérieures les unes aux autres. 3) Enfin, l’absolu,
en tant qu’il expose sa totalité dans l’élément,
lui-même plus concret et total, de l’identité
de l’identité et de la différence, se
fait esprit; alors, ses déterminations
se réalisent en étant à la fois intérieures
et extérieures les unes aux autres. – Disons
encore, si l’on veut, que l’Idée logique
est le sens – intérieur
– de l’être, la nature la sensibilisation
– extériorisation – de ce sens, et l’esprit
la sensibilisation de ce sens comme
sens, l’extériorisation de l’intérieur
qui s’intériorise en elle-même; la nature
est « l’Idée en son être-autre »,
l’esprit « l’Idée qui, de son être-autre,
fait retour en soi-même » (Enc,
I, § 18, B, p. 184).
Ces trois « parties » fondamentales de la science
spéculative ne doivent pas, selon Hegel, être
autonomisées comme des « espèces »
dont l’objet, chaque fois, existerait en lui-même
: «Dans la nature, ce n’est pas quelque chose
d’autre que l’Idée qui serait connu, mais
elle y est dans la forme de l’aliénation,
tout comme dans l’esprit c’est la même Idée
qui est en tant qu’étant pour soi
et que devenant en et pour soi»
(ibid.). Ce qui est, c’est le processus unique
à travers lequel se fait être, en sa vérité
d’esprit, l’absolu. Ainsi, s’il existe une
nature, c’est parce que l’absolu existe comme
autre que la nature : s’il n’existait que la nature,
il n’existerait rien, puisque sa contradiction interne
(l’intérieur – le sens – comme extérieur)
la ferait sombrer dans le néant. C’est parce
que l’absolu est esprit et que, comme esprit, il se
fait lui-même dans une activité dont la négativité
suppose un être à nier, qu’il y a une nature.
L’esprit ne peut se poser qu’en se présupposant
une nature, dont la contradiction, c’est-à-dire
la nullité, propre atteste l’existence nécessaire
de ce qui le nie, cet esprit même. Tel est donc le sens
du grand cycle de l’Encyclopédie
: « Science de la logique », « Philosophie
de la nature », « Philosophie de l’esprit
», trois moments d’une seule et même science
philosophique.
2. Le sens
a) La logique ontologique
La « Science de la logique », première
partie de l’Encyclopédie,
est une logique ontologique ou une ontologie logique. D’abord,
le savoir absolu, dont La Phénoménologie
de l’esprit a justifié la genèse,
affirme, dans le dépassement de la structure conscientielle
: sujet-objet, l’identité de l’être
et de la pensée. Ensuite, il étudie, en son
moment logique initial, l’être lui-même
en son sens général, abstraction faite de sa
diversification ou sensibilisation naturelle ou spirituelle,
c’est-à-dire l’être identique à
une pensée non encore aliénée à
sa pure identité à soi par une différenciation
sensible d’elle-même. Bref, la « Science
de la logique », achèvement, selon Hegel, de
toute l’ontologie ou métaphysique traditionnelle,
est l’exposition de soi de l’être ou de
l’absolu en son sens. Elle répond à la
question : que doit être l’être, pour être?
On a vu qu’il ne pouvait être simple être,
il ne peut davantage être simple devenir, ni, on le
verra, simple substance, simple cause, simple objet; il lui
faut être sujet, et sujet dont le rapport à soi-même
est du type de la pensée... Ainsi, bien loin de ne
saisir que des formes sans contenu, la logique hégélienne
a pour objet le contenu essentiel en ses formes déterminantes,
l’absolu en son sens immédiatement accessible
à la pensée pure et qui se démontrera
tel par sa dialectique propre, puisqu’il s’identifiera
pleinement à lui-même en tant que pensée
de soi. Écoutons Hegel : « La Logique... doit
être saisie comme le système de la raison pure,
comme le royaume de la pensée pure. Ce royaume est
la vérité elle-même, telle qu’elle
est sans voile en et pour soi; pour cette raison, on peut
dire : ce contenu est la présentation de Dieu tel qu’il
est dans son essence éternelle, avant la création
de la nature et d’un esprit fini » (Science
de la logique, I : L’être, trad.
P. J. Labarrière et G. Jarczyk, Paris, Aubier-Montaigne,
1972, p. 19). Hegel présente ainsi sa Logique comme
la rationalisation du dogme chrétien, selon lequel
Dieu se détermine, en son essence originaire, comme
le « Verbe ».
b. Les moments du sens : être,
essence, concept
Le sens de l’être comme totalité se détermine
ou différencie lui-même dans les trois éléments,
ici idéaux, formés à partir des trois
moments de cette totalité : identité, différence,
et identité de l’identité et de la différence.
Le sens total de l’être se détermine d’abord
dans l’élément de l’identité
à soi : il est ce qu’il est, il est.
Puis dans l’élément de la différence
d’avec soi, il est ce qu’il est sur le mode de
ne pas l’être, mais de l’avoir : tel est
le sens de l’être comme essence
de lui-même. Enfin dans l’élément,
total, de l’identité de son identité à
soi et de sa différence d’avec soi, il est lui-même
dans ce qui n’est pas lui, dans ce qu’il a, où
il peut donc se saisir (greifen)
absolument de lui-même : tel est le sens de l’être
comme concept (Begriff). Logique
de l’être, logique de l’essence, logique
du concept : voilà les trois moments de la Logique
ontologique de Hegel.
Ce qu’il est, l’être l’est d’abord
sur le mode de l’identité à soi abstraite
ou de l’immédiateté (« être
»). Il adhère à lui-même en chacune
de ses déterminations, qui, en leur sens, ne renvoient
aucunement les unes aux autres. Par sa qualité,
une chose est fixée à elle-même; sa quantité,
d’abord, comme telle, purement extérieure à
son être qualitatif, l’affecte bien en tant qu’elle
devient sa mesure (à 100
degrés, l’eau s’évapore), mais elle
ne l’insère alors réellement dans une
série que pour l’observateur extérieur.
Dans l’être, quelque chose ne devient extérieur
à soi qu’extérieurement. Les déterminations
de l’être étant ainsi abstraitement identiques
à elles-mêmes et, en elles-mêmes, sans
rapport les unes avec les autres, leur dialectique est, pour
chacune, son passage dans une autre,
un devenir extérieur à
elle. La mise en relation des déterminations du sens
comme être ne constitue pas leur contenu, mais incombe
à la pensée logicienne. La pensée de
l’être n’égalise donc pas encore
l’être pensé
et le penser de cet être.
Contradiction qui doit être dépassée.
Elle l’est en partie, lorsque l’être est
pensé comme essence. Alors,
le devenir qui fait passer d’une
détermination à une autre
se supprime comme tel, en s’intériorisant dans
chaque détermination, pour constituer son propre
contenu. En son identité propre, chaque détermination
est sa différence d’avec une autre : c’est
le moment de la différence qui vient au premier plan.
Les déterminations sont donc intérieures les
unes aux autres, mais comme extérieures les unes aux
autres : elles se réfléchissent
les unes dans les autres, paraissent
les unes dans les autres. Alors que, par son sens explicite,
« être »ne renvoie pas à «
non-être », ni « quelque chose » à
« autre chose », « essence » et «
phénomène », « substance »
et « accident », « cause » et «
effet »... sont des corrélatifs s’appelant
l’un l’autre directement en leur sens opposé.
Chaque terme est posé par
l’autre, comme ce qu’il n’est pas. Mais
c’est là précisément aussi la limite
de l’essence. En celle-ci, une détermination
pose l’autre, mais ne se
pose pas en cette autre ni, plus profondément, en cette
position de l’autre : elle est
cette position qui lui fait avoir l’autre, elle ne l’a
pas et, donc, ne la maîtrise pas. Ou encore : elle est
bien à la fois pour elle-même identique à
elle-même et différente de l’autre, mais
elle n’est pas différente de l’autre en
tant qu’elle est identique à elle-même,
de telle sorte qu’elle ne se
différencie pas de l’autre. C’est donc
de l’extérieur, dans la pensée logicienne,
toujours, que la mouvement de l’essence peut être
posé. La pensée de l’être comme
essence maintient ainsi en elle la différence de l’être
pensé et du penser de cet
être. L’identité spéculative de
l’être et du penser exige alors que soit posé
dans l’être pensé le processus pensant,
qui identifie l’identité et la différence
des déterminations signifiantes.
Le processus de l’être, comme devenir extérieur
au sens qu’il revêt dans chacune de ses déterminations,
et le processus de l’essence, comme processus intérieur
à ses déterminations mais qui les maintient
extérieures les unes aux autres, sont des processus
objectifs. A la « Logique
objective » qui rapproche
en elle la Logique de l’être et la Logique de
l’essence, s’oppose la « Logique subjective
», qui saisit le sens de l’absolu comme concept.
Car, ici, chaque détermination se pose
dans l’autre, reste elle-même dans l’autre
qu’est déjà la position de cette autre,
est identique à elle-même dans sa différenciation
d’avec elle-même, qu’elle maîtrise
alors et dont elle se saisit pleinement. Ayant pour sens un
tel processus maîtrisé de lui-même, qui
le fait se retrouver, être chez lui dans ce qu’il
pose, l’absolu est libre et,
se posant dans ce qu’il pose, pose un être également
libre. Un tel processus par lequel un être libre pose
librement un être libre est, au plus loin de la simple
production, caractéristique
de l’absolu comme essence, une création
d’un objet. Après l’absolu comme substrat
en devenir (être), puis l’absolu
comme substance productrice (essence),
voici l’absolu comme sujet créateur (concept).
Développement ainsi pleinement
maîtrisé de lui-même, le concept est l’activité
totalement présente à elle-même : ce à
quoi il est présent – lui-même comme concept
subjectif – et ce qui lui est présent –
lui-même comme concept objectif – se transpénétrent
dans sa totalité absolue que Hegel désigne comme
l’Idée. Celle-ci, en
se médiatisant ainsi parfaitement, en elle-même,
avec elle-même, retrouve
l’immédiateté de sa première détermination
: l’être. Mais, en posant librement sa totalité
comme simple être, en libérant cette totalité
dans l’élément formé par ce moment
d’elle-même le plus différent de sa vérité,
l’Idée crée (au sens spéculatif
du terme) la nature.
3. La Nature
a. Le sens général
de la nature
La nature est la totalité, intérieure à
soi, de l’Idée, qui se réalise dans l’élément
absolutisant l’être en son abstraction ou séparation
d’avec soi, bref dans l’extériorité
réciproque, le divers sensible. La totalité
intérieure du sens existe comme extériorité
sensible : « La nature s’est produite comme l’Idée
dans la forme de l’être-autre » (Enc,
§ 247). Une telle altérité ou extériorité
n’affecte pas seulement la relation de la nature à
l’Idée, ou à la réalisation accomplie
de celle-ci, à l’esprit. Elle est l’Idée
– sens de tout ce qui est – comme extérieure
à elle-même en elle-même, qui est l’intériorité
ou l’identité absolue; la nature est donc d’abord,
originairement, elle-même extérieure
à elle-même. C’est pourquoi
les déterminations conceptuelles sont, dans un tel
milieu extérieur à soi, extériorisées
les unes par rapport aux autres : la nature est la coexistence
des règnes, des espèces et des individus. La
différence vient au premier plan, d’abord en
sa forme naturelle la plus positive : l’espace. L’identité
de l’Idée y demeure cachée, le concept
n’y est pas extériorisé comme concept
: il ne peut être posé comme concept de la nature
que de l’extérieur de celle-ci, par l’esprit
qui la connaît. Même dans sa réalisation
la plus concrète, la plus totale, celle de l’organisme
vivant, la nature ne peut se réunir, s’identifier
à elle-même sans reste. Puisque la nature est
la différence de l’absolu, la différence
absolue, il n’y a donc pas d’identité naturelle
de la nature, et c’est la raison pour laquelle on ne
saurait diviniser ce qui, originairement différent
de soi, ne peut être par soi-même : « La
nature est en soi, dans l’Idée,
divine; mais telle qu’elle est,
son être ne correspond pas à son concept; elle
est, bien plutôt, la contradiction non résolue
»(ibid.,§ 248, Rem.).
Pourtant, le principe de la nature étant l’Idée
qui s’est aliénée en elle, pétrifiée
en elle, l’extériorité naturelle doit
bien manifester en elle la puissance identifiante de cette
Idée. Elle la manifeste d’abord négativement.
Ainsi l’être vivant, qui réalise en son
organicité la totalité qu’est l’Idée,
mais comme extérieure, dans l’extériorité
naturelle, au reste de la nature, consomme ce reste, en faisant
ainsi triompher extérieurement le sens intérieur
total de la nature sur son extériorité sensible.
Mais l’Idée limite aussi positivement
son aliénation naturelle, en l’organisant dans
un «système de degrés». Leur hiérarchie
soumet, à chaque fois, le type d’être naturel
en lui-même le moins organisé, le plus extérieur
à soi en ses parties, à celui qui totalise davantage
celle-ci : « La nature animale est la vérité
de la nature végétale, celle-ci de la nature
minéralogique; la Terre est la vérité
du système solaire »(§ 249, Addition). La
philosophie spéculative de la nature, qui exploite
une telle systématisation de ses degrés, justifie
l’affirmation de chacun de ceux-ci comme la négation
du non-être où sa contradiction interne précipite
dialectiquement celui qui le précède. Un tel
exposé spéculatif fait donc résulter
chaque degré du précédent, mais ce devenir
rationnel ne traduit aucunement, pour Hegel, un devenir réel,
empirique, naturel : « La nature est à considérer
comme un système de degrés,
dont l’un naît nécessairement de l’autre
et représente la vérité la plus prochaine
de celui dont il résulte; toutefois non pas de telle
sorte que l’un serait engendré naturellement
à partir de l’autre, mais à l’intérieur
de l’Idée qui constitue le fondement de la nature
»(§ 249).
C’est dire que la nature renferme une dialectique, mais
idéelle, conceptuelle, non pas empirique ou extériorisée
naturellement. Puisque seul le concept, intériorisation
vraie de l’être et de son devenir, reste identique
à lui-même en son développement et ne
fait que changer de forme, seul il renferme une métamorphose.
Et, dans la nature, seul l’être vivant, qui réalise
le concept comme tel, présente aussi en lui-même
une telle métamorphose. Mais aussi seulement en tant
qu’individu, car l’extériorité
à soi de la nature sépare d’elle-même
sa production suprême, la vie, et l’empêche
de s’affirmer comme une unité, une continuité,
elle-même empiriquement réelle des vivants. Hegel
rejette donc la thèse évolutionniste
: les séries en lesquelles on peut classer les vivants
n’ont pas de sens temporel, et, dans la nature, les
espèces coexistent toutes; la nature n’a pas,
à proprement parler, d’histoire. A l’opposé
de tout continuisme, Hegel souligne les discontinuités
naturelles : la nature procède par sauts
qualitatifs entre les règnes et les espèces.
Bref, elle exprime bien partout, de sa détermination
la plus abstraite à sa détermination la plus
concrète, le primat de l’abstraction ou de la
différence; elle demeure, jusqu’à sa cîme,
la « contradiction non résolue ».
Certes, l’identité ayant toujours prise, dans
la hégélianisme, sur la différence, la
nature est bien soumise à la nécessité,
identité de termes existant comme différents.
Cependant, cette nécessité – qui rend
possible la présentation spéculative de la nature
comme une « totalité organique » –
ne fait que dominer, dans l’ensemble, une « contingence
indifférente » et une « indéterminable
absence de règle »(§ 250) liée au
primat empirique de la différence qui caractérise
la réalisation naturelle de l’Idée. La
contingence de la nature s’intensifie même avec
l’existence des formations les plus organiques et concrètes,
qui ont à identifier une différence de plus
en plus riche, et, donc, à maîtriser une contingence
de plus en plus insistante. La nature est bien un milieu par
principe incapable de répondre, à leur hauteur,
aux exigences de l’Idée : il y a une «
impuissance de la nature » (ibid.) à
traduire l’identité à soi de l’Idée
dans la différence constitutive de son élément.
Une telle irrationalité, inéliminable, se marque
notamment dans les formations anormales, monstrueuses, dont
la présence même n’a rien ici d’anormal
ou de monstrueux, qui puisse faire douter de l’existence
de la raison absolue. Dans la mesure où l’esprit
se présuppose une telle nature, pour se poser comme
esprit, il est, lui aussi, affecté en sa réalisation
différenciée, particulière, par la présence
d’une telle déraison rationnellement à
sa place dans la nature.
b. L’articulation générale
de la nature
La nature, aliénation de l’Idée qui est
son sujet, est nécessairement le mouvement de s’aliéner
à elle-même, c’est-à-dire, de faire
s’intérioriser son extériorité.
Ce mouvement, qui ne peut aboutir, puisque c’est cette
extériorité qui s’intériorise,
parcourt trois étapes, qui coexistent assurément,
mais se succèdent quant au sens : nature mécanique,
nature physique, nature organique.
La nature, en tant que mécanique,
présente une unité de l’extériorité
matérielle qui est elle-même extérieure,
en celle-ci, à elle-même : c’est là
l’unité cherchée, idéale, de la
pesanteur, qui se réalise comme le centre matériel
du système solaire. Mais, en celui-ci, l’unité
donnant forme à la matière reste extérieure
à elle; l’identité de la différence
confirme celle-ci en étant différente d’elle.
Contradiction qui se supprime par la réunion de l’identité
donnant forme ou qualifiante et de l’être matériel
extérieur à lui-même; ils se réunissent
en l’être qualifié, le corps
[Körper], objet de la physique.
Le corps physique (physico-chimique),
individualisé ou indivis, puisqu’il a en lui-même
la principe unifiant sa différence (inévitable),
est cependant immédiatement celle-ci. Rivé ainsi
à elle, il est lui-même emporté par le
rapport, d’opposition, qui la relie nécessairement
aux différences extérieures et le livre ainsi
à leur totalité naturelle. Un corps (Körper)
n’est arraché à une telle contradiction
que si son identité, au lieu d’être
sa différence intérieure, la domine, l’a,
et, par elle, le milieu extérieur qu’elle représente
en lui, c’est-à-dire que s’il est comme
tel une totalité. C’est là, quant au sens,
le corps [Leib] vivant ou organique.
Le corps organique est ainsi une
totalisation de la nature en lui-même (par exemple,
il l’assimile, il la voit, etc.), et sa
différenciation consiste elle-même, pour lui,
à s’articuler en des parties qui sont des touts
subordonnés, des membres. Mais, Tout naturel,
l’organisme est encore soumis à la différence
qui le sépare d’autres Touts semblables et dont
le lieu identifiant est, à ce niveau, le genre.
Celui-ci rappelle à lui le vivant, positivement, dans
l’union des sexes, et, négativement, dans la
mort. Le vivant ne peut donc se maintenir en sa singularité
ou différence tout en actualisant son principe, l’universalité
ou identité du genre, du tout de la vie : son être
est son non-être. Une telle contradiction signifie que
ce qui est, c’est l’identité réelle
de l’universel ou du tout de la nature, et de la différence
qui lui donne l’effectivité. Tel est l’esprit,
le tout qui est un Moi et le Moi qui est un tout. –
« L’esprit est ainsi issu de la nature. Le but
de la nature est de se mettre à mort et de faire éclater
l’écorce de son être immédiat, sensible,
de se consumer comme un phénix, pour se dégager,
rajeunie, de cette extériorité en surgissant
comme esprit »(Enc, §
376, Addition). Or, si l’esprit surgit de la nature,
ce n’est pas naturellement, empiriquement, mais quant
au sens, et au sens dialectiquement
développé : l’auto-négation de
la nature signifie la position de l’esprit. C’est,
d’ailleurs, par cette découverte du sens du processus
naturel que la philosophie de la nature de Hegel – certes
liée, en son contenu empirique, à l’état
des sciences de son époque – peut être
considérée, par des voix autorisées,
comme un précieux objet de méditation pour les
savants eux-mêmes de notre époque. Elle constitue
une partie très remarquable du système hégélien.
4. L’esprit
Intériorisation en un Soi de l’extériorité
naturelle, l’esprit réalise l’Idée
comme telle. En lui, l’absolu se présente comme
faisant retour à lui-même, en l’identité
à soi de son sens, à partir de sa différence
complètement déployée dans la nature.
Il se pose tel qu’il est, identification de son identité
et de sa différence, totalisation de soi. Dès
lors, ses déterminations ne peuvent être ni purement
intérieures – comme dans l’identité
du sens – ni purement extérieures – comme
dans la différence de la nature –, les unes aux
autres. Elles se distinguent entre elles au sein de leur totalité
comme des moments dans chacun desquels
celle-ci s’exprime en les imprégnant de sa richesse.
C’est pourquoi, pris au plus près de la nature
qu’il rend intérieur à elle-même,
l’esprit est déjà présent en tant
qu’il s’en libère; inversement, en sa cime
où il laisse le sens se dire en sa pureté, il
reste toujours immergé dans le sensible. La nature,
chez l’être spirituel, est toujours déjà
spirituelle; et l’esprit assume encore naturellement
son élévation au-dessus de la nature. Aussi
est-il difficile de ressaisir, à chaque fois, ce qui
appartient proprement à la détermination étudiée
dans la totalité spirituelle exprimée à
travers elle.
L’esprit s’auto-détermine selon les trois
moments de l’Idée érigés, une fois
de plus, en éléments ou milieux de son déploiement
: le moment de l’identité à soi ou de
la subjectivité, le moment de la différence
d’avec soi ou de l’objectivité, et le moment
de la subjectivité objective ou de l’objectivité
subjective. Comme esprit subjectif,il
se développe à l’intérieur de lui-même,
nature intériorisée, jusqu’à ce
que sa subjectivité, complètement construite
comme telle, puisse devenir objet à elle-même.
Devenu ainsi objet à lui-même, esprit
objectif, l’esprit s’avère,
comme objet spirituel, le maître
de toute objectivité, intègre
la première nature dans la seconde nature, celle du
droit (au sens large du terme).
Mais les limitations de l’objectivation du sujet comme
sujet, de la naturalisation de l’esprit
comme esprit, le font s’affirmer
dans l’élément constitué par l’identification
d’un sujet et d’un objet alors égalisés
l’un à l’autre par leur commune universalité.
L’esprit se réalise, dans un tel élément,
en son infinité : se manifestant ainsi à lui-même
tel qu’en lui-même, il s’accomplit comme
esprit absolu.
a. L’esprit subjectif
L’esprit subjectif se constitue dans l’intériorisation
de soi du contenu naturel ainsi maîtrisé, dans
l’élévation au sens du sensible par là
rabaissé à un simple moment : la négation
du sensible où le sens s’est aliéné
fait exister sensiblement le sens comme tel.
Ce moment de subjectivation de soi spirituelle de l’objectivité
naturelle s’opère en trois étapes.
1) L’esprit, comme intériorisation, idéalisation,
identification de soi de l’extériorité
naturelle, est l’« esprit-nature » ou l’âme,
objet de l’ anthropologie.
Bien loin d’être extérieure au corps, l’âme
en est l’intériorisation : l’esprit c’est
la nature devenant présente immédiatement à
elle-même et qui, par là, cesse d’être
proprement nature, puisqu’elle est ce qui est hors de
soi. L’anthropologie hégélienne, qui anticipe,
mais dans la fermeté des concepts, nombre de thèmes
que la postérité croira découvrir, analyse
ainsi la sensation, le sensible
devenant en lui-même sens, et l’habitude,
par laquelle l’âme, auto-négation du corps,
se réapproprie le corps comme un moment d’elle-même,
transparent à elle-même. Attentif à toutes
les modalités de l’insertion naturelle de l’âme
(vie cosmique, particularisation géographique «
raciale », différence sexuelle, alternance veille-sommeil,
magnétisme et somnambulisme, folie, etc.), Hegel montre,
contre tout naturalisme (raciste, notamment), comment la naturalité
se résout progressivement en un simple moment de l’esprit;
d’emblée, l’animalité humaine n’a
plus rien d’animal.
2) L’intériorisation de l’extériorité
naturelle fait s’extérioriser le contenu de celle-ci
comme un objet pour ce qui se vit
désormais comme un sujet.
L’âme devenant ainsi conscience
s’oppose le contenu naturel comme un objet dont, libérée
par là-même, elle peut prendre possession, qu’elle
peut vraiment maîtriser. C’est la phénoménologie
qui étudie les formes de cette structuration : sujet-objet
qui fait entrer l’âme dans le règne de
la puissance, mais aussi de la scission et du malheur. La
phénoménologie, comme partie du système
hégélien, analyse les formes
théoriques – certitude sensible, perception,
intellect – et pratiques – désir, reconnaissance
intersubjective – de la mise à distance de soi
du contenu originel de la sensation et du sentiment caractéristiques
de l’âme.
3) Enfin la psychologie expose la
réappropriation par l’esprit du contenu qu’il
s’est, en tant que conscience, opposé. L’esprit
se pose alors comme esprit, comme posant la nature qu’il
s’est d’abord présupposée : il se
différencie en lui-même, il s’extériorise
comme tel, par exemple dans le langage, pour recouvrir et
maîtriser positivement les différences de l’extériorité
naturelle. Hegel analyse ici les structures d’une telle
auto-différenciation ou auto-détermination de
l’esprit posant à partir de lui-même le
contenu d’abord présupposé naturellement.
Structures théoriques : représentation, mémoire,
pensée, et pratiques : volonté, libre arbitre...
Cependant, l’investissement de l’objet par le
sujet est un investissement subjectif, dont
l’accomplissement est la position du sujet comme
sujet. Il a maîtrisé l’objet,
mais seulement à l’intérieur de lui-même,
et c’est le contenu de l’objet, c’est-à-dire,
au fond, de la nature, qu’il s’est approprié.
Il s’est construit comme sujet dans cette subjectivation
de l’objet. Il lui faut vérifier sa certitude
d’être, en tant que sujet, le maître de
tout objet, en s’objectivant comme un tel sujet, en
triomphant objectivement de l’objet.
b. L’esprit objectif
L’esprit, parvenu à la conscience de lui-même
comme esprit, comme cette identité à soi, cet
être-chez-soi au sein de la différence originellement
naturelle, qui le rend libre, réalise ou vérifie
une telle liberté dans le milieu d’existence
qui est le sien. Cette objectivation de l’esprit en
sa liberté est ce que Hegel désigne, au sens
général du terme, comme le droit.
L’être de l’esprit consistant, pour lui,
à se faire, à se poser, à s’objectiver,
son objectivation le change et, par là-même,
se change elle-même. L’esprit objectif ou le droit
se développe ainsi en trois étapes. Sa liberté
se vérifie d’abord dans la maîtrise de
son milieu d’existence comme milieu extérieur,
objectif, chosiste : telle est l’appropriation
régie par le droit abstrait.
Puis le développement de celui-ci fait s’intérioriser
la liberté comme maîtrise du milieu intérieur,
subjectif, de l’existence : la moralité
réclame de l’homme qu’il soit maître
chez soi en lui-même et, indirectement, du milieu extérieur,
à travers son action. Enfin
la dialectique de la moralité montre que la liberté
ne peut se réaliser effectivement que dans le milieu,
objectif en tant que subjectif ou subjectif en tant qu’objectif,
de la vie éthique (Sittlichkeit)
de la communauté.
1) Le droit abstrait réalise
la liberté abstraite du Moi s’affirmant immédiatement
comme personne, dans l’objectivité
elle-même immédiate, et par là elle-même
abstraite, de la chose : celle-ci,
en tant qu’elle porte formellement la marque de mon
Moi lui-même formel, est ma propriété.
Mais le lien ainsi seulement formel, donc contingent, entre
la propriété et le propriétaire, dépend
de la relation entre les propriétaires s’accordant
par contrat. Or, l’objectivation
de la liberté personnelle dans le milieu, non plus
chosiste, mais intersubjectif, d’une volonté
commune aux Moi, est fragilisée par le fait que cette
volonté, qui représente le droit, dépend
de chaque volonté individuelle. La non-violation
du droit suppose alors que la personne veuille, non pas immédiatement
ce qui est ou parait être
son droit, mais que le droit soit,
que la volonté commune soit comme ce qui ne doit pas
dépendre de la volonté singulière, bref
comme un universel. Un tel vouloir de l’universalité
du vouloir, réfléchi normativement en lui-même,
est le vouloir moral d’un
Moi qui n’est plus simplement une personne, mais un
sujet.
2) La moralité est le moment
subjectif de l’objectivation du sujet, qui fait passer,
par sa négativité même, d’une objectivation
abstraite, précaire, au fond sans vérité,
à l’objectivation vraie, car concrète,
de ce sujet. La liberté ne peut régner au dehors
que si elle règne au dedans. Ce règne moral
de la liberté ne requiert pas seulement la maîtrise
de l’action par le propos que celle-ci objective, ni
même celle du propos par l’intention qui unifie
et universalise sa teneur et sa valeur. Car cette universalité
ne peut réconcilier les sujets entre eux dans un monde
alors susceptible de les objectiver que si chacun se détermine,
comme conscience morale (Gewissen),
par l’universalité d’un Bien
élevé, par sa normativité absolue, au-dessus
de toute situation particulière. Cependant, une telle
démarche de style kantien ne peut surmonter la contradiction
opposant un universel dont l’abstraction ne lui permet
pas de se déterminer par lui-même et une auto-détermination
singulière en proie au vertige du subjectivisme. En
vérité, l’universalité effectivement
réconciliatrice du sujet et de l’objet, par là
libératrice, ne peut être affirmée par
un sujet simplement moral, c’est-à-dire non originairement
universel, mais seulement par un sujet universel en sa vie
même. Une telle universalité vivante est la
communauté, dont la vie s’actualise
dans les moeurs (ethos).
3) La vie éthique est la
vie communautaire à laquelle participent, activement
mais comme à un être
qui les porte, les individus. Elle est le « Bien vivant
»(PPD, § 142, D, p. 191),
qui est tout autant qu’il
est fait. Hegel reprend ici le grand
thème antique de la vertu comme assomption par l’individu
des moeurs de la communauté. Cependant il fait droit
aussi à la libération moderne de l’individu,
qu’il s’agit d’intégrer à
la vie du tout sans l’absorber en elle. La vie éthique
se développe, elle aussi, à travers trois moments
: vie familiale, vie sociale, vie politique.
La famille universalise la singularité,
mais de façon immédiate, donc en mêlant
singularité et universalité, qui, de la sorte,
ne sont affirmées véritablement ni l’une
ni l’autre. La communauté familiale est limitée,
et ce milieu éthique rétréci freine la
libération du Moi : la tension alors aiguisée
entre l’exigence du tout et celle du Moi traduit la
contradiction qu’est l’existence familiale livrée
à elle-même. C’est en se relativisant comme
moment d’un tout éthique plus vaste que la vie
dans la famille peut surmonter et tolérer sa tension
essentielle.
Ce milieu est d’abord le milieu, développé
dans le monde moderne, de la société
civile (bürgerliche Gesellschaft).
En celle-ci, le moment de l’universalité et celui
de la singularité sont libérés, à
tel point que la vie éthique semble détruite.
D’un côté, l’individualisme, l’égoïsme,
s’y affirme à plein dans la sphère de
l’économie, que Hegel introduit dans la spéculation
philosophique. Mais, de l’autre côté, la
solidarité de fait qui s’intensifie dans la division
du travail pèse comme un destin
sur des individus qui ne se reconnaissent plus dans un monde
inexorablement conduit à la crise. L’organisation
– système des états sociaux professionnels,
administration judiciaire du droit, politique économique
– à travers laquelle la vie éthique non
disparue cherche à surmonter cette manifestation scindée
d’elle-même, ne peut y réconcilier l’esprit
objectif avec lui-même. La société ne
peut donc, elle-même aussi, surmonter et tolérer
sa négativité essentielle qu’en étant
insérée dans une totalité éthique
vraie, unie comme la famille et riche comme elle-même,
à savoir la totalité étatique.
L’État est le milieu
éthique fondateur : une communauté éthique
n’est viable qu’autant qu’elle comporte
une dimension politique, aussi fruste soit-elle. Mais le développement
historique a libéré cette dimension pour elle-même,
comme le moment éthique qui porte les autres. Si la
famille est la vie éthique posée selon son identité,
et la société cette même vie éthique
posée selon sa différence, l’État
la réalise concrètement comme identité
de son identité et de sa différence. L’État
rationnel ou vrai est un tout non fabriqué par les
individus à travers un contrat. Il est organisé
selon des pouvoirs distincts – constitutionnellement
– mais soumis à l’un d’entre eux,
qui incarne le tout étatique, le pouvoir princier.
La force qu’il obtient ainsi lui permet d’être
d’autant plus libéral : le citoyen est libéré
par lui d’abord en sa qualité d’homme,
qu’il cultive dans la vie sociale. L’État
hégélien, fort et autoritaire,
n’a cependant rien de totalitaire, car il laisse se
déployer en son sein une société civile
où l’exigence de solidarité, reconnue,
cède le premier rang à l’exigence libérale
de l’affirmation des individus.
L’État politiquement fort et socialement libéral
constitue, pour Hegel, la vérité de l’esprit
objectif. Il clôt, en son sens essentiel, le long mouvement
de l’histoire universelle,
tout entière ordonnée à la réalisation
objective de la liberté, comme réconciliation
de l’individu avec son monde. Dans sa « Philosophie
de l’histoire », Hegel analyse les conditions
et les étapes de cette réalisation mondaine
de la liberté. L’histoire apparaît comme
conduite par un « esprit du monde
» [Weltgeist] qui fait triompher,
à chaque fois – à travers les «
ruses » de sa raison, exploitant positivement le négatif,
telle la passion des « grands individus de l’histoire
mondiale » – l’État le plus avancé
dans la libération objective de l’existence.
Lorsque l’idée de l’État rationnel
s’est déterminée comme réalisable
dans la conscience universelle, alors l’histoire –
dont le sens universel s’est révélé
– n’a plus qu’à la réaliser
empiriquement, dans des vicissitudes que le philosophe n’a
pas à prophétiser. Il sait qu’il est rationnel
que, dans l’histoire comme dans la nature qu’elle
présuppose, tout ne soit pas rationnel, si le tout,
lui, l’est. Mais l’esprit objectif a plus fondamentalement,
une rationalité en elle-même
limitée. L’État universel n’étant
pas possible – une unité réelle, objective,
est nécessairement opposée, exclusive –,
les États les plus rationnels sont encore condamnés
aux conflits. La guerre manifeste ainsi la limite de la raison
objective, et l’esprit du monde se signifie par là
comme l’anticipation abstraite de l’esprit aussi
supra-objectif que supra-subjectif, c’est-à-dire
de l’esprit absolu.
c. L’esprit absolu
L’esprit ne peut s’affirmer absolument qu’en
ancrant sa manifestation subjective et sa manifestation objective,
affectées d’une négativité les
fragilisant ontologiquement et, donc, empiriquement aussi,
au sein de sa manifestation totale ou concrète. Il
se manifeste alors à lui-même comme ayant son
être dans cette manifestation : l’esprit absolu
est l’esprit qui se révèle, fait relation
de lui-même, se relativise comme absolu en tant, précisément,
qu’il se relativise ou se révèle ainsi.
Sphère d’une auto-manifestation de l’identité
de l’absolu et de sa manifestation, de Dieu et de sa
révélation, incarnation ou humanisation, l’esprit
absolu peut être désigné comme une religion.
Mais la religion, comme totalité concrète, ne
peut être que l’unité d’elle-même
et de son Autre, à savoir
de la religion pré-religieuse qu’est l’art
et de la religion post-religieuse qu’est la philosophie.
L’art exprime dans le sensible
l’unité du sens et du sensible, du divin et de
sa manifestation. Mais il ne parvient pas immédiatement
à l’expression sensible adéquate du divin,
à la figure vraie de l’esprit, qui est la figure
humaine. L’art symbolique
(l’architecture) oriental dit ainsi l’infini par
un matériau (colossal) trop éloigné de
la figure de l’esprit. C’est l’art classique
de la sculpture grecque qui sait manifester sensiblement le
divin comme esprit. Mais l’esprit figuré n’est
pas vraiment l’esprit : l’esprit n’est
pas figuré, il se configure
dans une auto-négation de lui-même ! L’art
essaie bien, se dépassant en quelque sorte artistiquement
dans l’art romantique, de
suggérer, par l’emploi d’un matériau
sensible évanescent (peinture, musique, poésie),
que le divin n’est pas sensible, si le sensible est
divin, en tant qu’un simple moment de ce divin.
C’est pourquoi la religion,
en tant que telle, est la révélation de l’absolu
ou – comme elle l’exprime – de Dieu dans
un élément qui n’est pas le sensible immédiatement
présent, mais le sensible dépassé dans
la représentation. Celle-ci
conserve le contenu sensible, mais l’idéalise
en lui faisant dire des relations constitutives du sens. Aussi
bien, la représentation religieuse de Dieu s’accomplit-elle
en l’exprimant comme la réalisation de l’Idée,
à travers le dogme chrétien de l’Incarnation.
De même que l’esprit absolu se réalise
sensiblement dans l’art classique grec, de même
il se réalise représentativement dans la religion
chrétienne. Celle-ci saisit Dieu comme l’unité
de Dieu et de l’homme, unité divine, aux yeux
de Hegel : « Une religion est la production de l’agir
divin, non une invention de l’homme; c’est une
production de l’agir divin... en l’homme »(Ph.
R.,I, 1, p. 44). Mais, si le contenu religieux
accompli dans le christianisme est absolument vrai pour Hegel,
l’esprit cultivé dans l’histoire de la
philosophie ne peut se réconcilier totalement, en sa
forme pensante, avec un tel contenu qu’en élevant
celui-ci de son expression représentative à
son expression conceptuelle.
La philosophie spéculative
dit le sens du sens réalisé dans la nature et
dans l’esprit, comme sens.
Elle est l’expression logique du logique et de sa réalisation
naturelle et spirituelle. Elle réconcilie ainsi parfaitement
avec lui-même tout l’être, en tant qu’il
peut être dit, par conséquent en son sens universel.
Elle est la liberté absolue. Mais le philosophe spéculatif
sait qu’il n’est possible qu’en se nourrissant,
en leur pleine actualisation par lui-même, de toutes
les figures vraies de l’esprit, qu’il confirme
et conforte inversement en les justifiant en leur limites
mêmes. Le savoir absolu n’est que comme savoir
d’un homme assumant ses responsabilités familiales,
sociales, politiques et religieuses. Hegel sait que la philosophie,
comme l’art et la religion, sont constituées
en leur devenir, en leur différence,
en leur existence objective, par l’esprit objectif et
l’histoire politique : toute philosophie, même
la philosophie absolue, est « en son temps saisi dans
la pensée »(PPD, Préface);
même dans son cas, l’oiseau de Minerve prend son
vol à la tombée de la nuit. Mais il sait aussi
que, en leur être, les formations
de l’esprit objectif, récapitulation de la nature
et de l’esprit fini, se fondent sur l’esprit absolu,
religieux, dont la spéculation est l’accomplissement
pensant. Préservé de tout philosophisme, Hegel
a célébré la philosophie comme la clef
de voûte du plus monumental édifice qu’elle
ait construit. Du dernier, en tout cas.
Bernard BOURGEOIS
Professeur Émerite de Philosophie
à l'Université de Paris I - Sorbonne,
Membre de l'Institut
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